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Plan de thèse

48 | I NTRODUCTION GÉNÉRALE

l’espace à la fois physique et relationnel où se déroule l’essentiel des soins et traitements des enfants. Analysant les usages rhétoriques de la « famille élargie » et de la « solidarité traditionnelle africaine », nous montrerons à partir de cas ethnographiques que ces discours institutionnels occultent les dimensions genrées du « travail domestique de santé » (Cresson, 1995; Fassin, 2006) qu’impliquent les soins et traitements des enfants. De même, ils masquent la configuration d’isolement dans lequel se retrouvent au quotidien les parents en raison du secret entourant la maladie. Enfin, loin d’être de simples catégories interventionnelles, les « orphelins du sida » sont également devenus une figure iconique de l’épidémie comme nous le décrirons au chapitre cinq, lequel porte sur l’iconographie de l’enfance au temps du sida. Il s’agira ici d’analyser les usages politiques et moraux de l’image des enfants dans le contexte de l’épidémie. La photo des enfants est en effet très largement utilisée dans la presse écrite et en ligne, mais également dans la communication institutionnelle. L’utilisation massive de l’image des «orphelins du sida » n’est pas sans rappeler celle des « enfants de la famine » dans les années 1970 et 1980. Pour quelles raisons ce support de représentation qu’est l’image est-il ainsi utilisé dans le contexte du sida concernant l’enfant ? Qu’est-ce que ces usages nous disent des constructions politiques et morales de l’enfance contemporaine au temps du sida ? Quelles sont les implications de cette catégorisation sur l’expérience de la maladie par les enfants ? Mais les usages politiques et moraux qui sont faits de l’iconographie des enfants au temps du sida ne sont pas sans conséquence sur les politiques publiques, les représentations collectives des « orphelins du sida » et plus généralement des enfants en Afrique sub-saharienne. Pour conclure ce chapitre, on s’intéressera ainsi aux implications de la dépolitisation de la question des enfants qu’induisent ces constructions virtuelles des « enfants du sida ».

La troisième partie propose une analyse socio-anthropologique de l’annonce de la maladie aux enfants qui a n'a pas été traitée en tant que fait social et processus relationnel. Elle s’articule autour de trois chapitres qui décryptent le « mouvement de l’annonce » aux enfants. Elle se décompose en trois figures principales que sont le non-dit, la révélation et le soupçon. Le chapitre 6 montre que si le sida n’est pas nommément dit, des discours plus ou moins explicites sont de facto produits autour de « la maladie ». Le sida fait, en effet, l’objet d’usages euphémiques générateurs de quiproquos sur ce qui est dit ou non du « sida » à l’enfant. Le chapitre 7 porte sur le moment singulier que constitue la révélation de leur maladie aux enfants. Or, d’un point de vue institutionnel, l’annonce aux enfants se caractérise par ce que j’appelle une « politique du silence » marquée par un « double standard ». En effet, alors que l’annonce de leur statut aux adultes est réalisée par des professionnels de la santé et du conseil, dans le cadre de procédures standardisées, l’information des enfants est demeurée absente de l’agenda des politiques internationales de lutte contre le sida. Dans ce contexte, l’ethnographie de l’annonce que je propose met en évidence cinq figures principales que sont : « l’annonce raisonnée », « l’annonce imprévue », « l’annonce accidentelle », « l’annonce sauvage » et « l’annonce exutoire ». Enfin, alors que l’annonce est classiquement pensée de façon binaire – information versus non-information – le chapitre 8 traite du soupçon de la maladie. En effet, comme nous le verrons plus explicitement dans ce chapitre, nombre d’enfants suspectent leur maladie. L’analyse des raisons et des circonstances dans lesquelles les enfants sont amenés à « découvrir » leur maladie, nous amènera au final à décrypter ce qui se joue hors-cadre aux frontières de la dissimulation et de la révélation.

La quatrième partie de cette thèse traite de l’expérience quotidienne des enfants en s’attachant à décrire ce qu’implique de vivre et de grandir au quotidien avec le sida. Le chapitre 9 aborde la question de l’expérience en montrant comment celle-ci est conditionnée par l’incertitude. Pour les enfants sous traitement, vivre avec le sida implique au quotidien de prendre des traitements, le plus souvent « en

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cachette », les traitements antirétroviraux étant des « identificateurs » de la maladie. Or, à l’encontre de ce que pensent les adultes, les enfants jouent un rôle proactif dans la gestion du traitement et de la maladie, s’attachant à en rappeler les heures de prise à leurs parents, prenant seuls leurs traitements en cas d’absence de ceux-ci, et veillent également à maintenir le secret entourant la maladie. Il se crée dans ces conditions une « complicité thérapeutique » entre les enfants et les parents, qui invite à interroger la recomposition singulière des relations intergénérationnelles provoquée par la maladie. Vivre au quotidien avec le VIH implique également pour les enfants de grandir avec un corps affligé par la maladie qui conditionne leur identité autant que les interactions sociales. Le sida s’incarne en effet dans un corps à la fois « suspect » – en raison des marques corporelles donnant une visibilité à la maladie – mais également « diminué » du fait des épisodes récurrents de maladies. Le corps de l’enfant également perçu comme contagieux, est donc potentiellement mis à distance par l’entourage. Mais vivre avec le VIH, implique également pour les enfants de « grandir à l’ombre de la mort ». Celle-ci est omniprésente dans leur quotidien, à travers le décès de leurs parents, les discours populaires mortifères ou encore les injonctions parentales invoquant la mort afin de les inciter à prendre leur traitement. Poursuivant l’analyse de l’expérience de la maladie vécue par les enfants, le chapitre 10 permettra d’explorer les mondes secrets au sein desquels les enfants évoluent au quotidien. Associée à la mort et à la sexualité, le sida est en effet communément caractérisé de « maladie du secret » du fait de la stigmatisation qui lui est associée. Toutefois, l’essentiel des travaux produits concerne les adultes. Le fait que le sida puisse également représenter pour eux un secret est largement ignoré. D’ailleurs, l’incapacité supposée des enfants à garder un secret est la principale raison avancée par les parents, pour expliquer qu’ils ne leur parlent pas du sida. Pourtant, comme nous le verrons dans ce chapitre, contrairement à ce que pensent les adultes, les enfants sont les « gardiens scrupuleux » de ce secret familial, qui en l’occurrence est également leur secret. Afin d’analyser « les mondes secrets » dans lesquels les enfants évoluent, on s’intéressera au « travail » produit au quotidien par les enfants afin de dissimuler leur maladie et leurs traitements. Ils doivent notamment se cacher des membres de leur entourage familial et souvent de leur fratrie. La réflexion portera ensuite sur l’expérience que les enfants ont de la stigmatisation associée au sida. Pris dans des relations de face-à-face où ils sont confrontés aux discours négatifs produits sur le sida, les enfants se retrouvent à devoir taire la maladie et à « faire semblant » afin de ne pas dévoiler leur secret. Enfin, le chapitre 11 aborde la question des adolescents vivant avec le VIH. Alors qu’ils ne sont plus systématiquement considérés comme des enfants, mais pas encore comme des adultes, les adolescents vivant avec le VIH connaissent des problèmes spécifiques qui demeurent largement impensés. Alors que le mode de transmission de la maladie influence l’expérience vécue par les adolescents qui peuvent avoir été infectés par voie materno- fœtale ou sexuelle, la spécificité du rapport au traitement, la place de l’adolescent dans la famille ou l’histoire thérapeutique constituent autant de dimensions de l’expérience de la maladie dont il s’agit de saisir la spécificité. Par ailleurs, le sida étant une maladie sexuellement transmissible, la sexualité des adolescents vivant avec le VIH est empreinte d’un double tabou associé à la sexualité infantile et juvénile, ainsi qu’à la sexualité des personnes vivant avec le VIH. Or, la sexualité conditionnant le mariage et la parentalité, elle représente une réalité impossible, venant hypothéquer l’avenir social et affectif des adolescents. Ce chapitre s’achèvera sur l’expérience de la grossesse chez des adolescentes séropositives. Au-delà de la souffrance physique et morale qu’elle induit, les cas de grossesses vécus par les adolescentes rencontrées sont les révélateurs sociaux de la violence des rapports de genre et d’âge sous-jacents à la vie sexuelle et sentimentale des adolescentes au Burkina Faso.

PARTIE I

POUR UNE ANTHROPOLOGIE AVEC LES ENFANTS.

QUESTIONS THÉORIQUES, ÉPISTÉMOLOGIQUES ET

MÉTHODOLOGIQUES

CHAPITRE 1

L’ANTHROPOLOGIE DE LENFANCE

FRANÇAISE

UN CHAMP DYNAMIQUE EN MUTATION

ans un article éponyme publié en 1981, Lallemand et Le Moal qualifiaient de « petit sujet » la place accordée à l’enfance au sein de l’anthropologie française, résumant ainsi le traitement fait des enfants au sein de la discipline :

À vrai dire, outre ces courtes mentions dans la littérature ethnographique pure (celle que n’entache aucune préoccupation explicite d’ordre psychologique ou psychanalytique) les données sur les enfants apparaissent éclatées, émiettées aux quatre coins d’un ouvrage, ou bien intermittentes, par le biais de certains articles. Car ce genre d’études ne constitue pas au même titre que l’histoire du peuplement, le système symbolique, les formes de production ou d’échange économique, un champ d’investigations ethnologiques reconnu comme tel » (1981, p. 12).

Trente ans après sa publication, force est de constater que cet article fait toujours référence. Caractériser l’anthropologie de l’enfance de « petit sujet » est devenu une litanie académique communément mobilisée dès lors qu’il s’agit de dresser un état des lieux de ce champ. Pourtant, considérer aujourd’hui l’anthropologie de l’enfance comme un « petit sujet » offre une description erronée de l’activité scientifique effective de ce champ de l’anthropologie. Selon l’anthropologue D. Bonnet, la question de savoir s’il existe ou non une anthropologie de l’enfance est un « non-sujet » comme elle le notait dans sa communication inaugurale du colloque international de Liège consacré à l’anthropologie de l’enfance43 :

By repeating, over and over again, that children are largely absent from ethnography, we start to think, or to lead our colleagues and even our funders

43 Il s’agit du colloque « Pour une anthropologie de l’enfance et des enfants. De la diversité des terrains ethnographiques à la

construction d’un champ » qui s’est tenu du 9 au 11 mars 2011 à Liège, à l’Université de Liège. Il est le premier colloque international

spécifiquement dédié à l’anthropologie de l’enfance organisé dans un pays francophone et présente l’originalité d’avoir réuni des anthropologues francophones autant qu’anglophones. Ce colloque a été organisé par deux anthropologues de l’enfance français, Élodie Razy, chargée de cours en anthropologie, Institut des Sciences Humaines et Sociales, Laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle, LAU/IIAC, Université de Liège, Belgique et Charles-Édouard de Suremain, chargé de recherche à l’IRD (UMR 208).

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