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126 | C HAPITRE 3 LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D ’ UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

126 | C HAPITRE 3 LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D ’ UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA

« orphelins du sida », les programmes excluent les enfants qui ne sont pas orphelins, mais dont les parents sont infectés par le VIH. Ces enfants sont pourtant confrontés à des problèmes de pauvreté, de stigmatisation ou de déscolarisation similaires à ceux que rencontrent les enfants orphelins. Enfin, la critique a même été formulée à une plus large échelle, soulignant que dans un contexte de pauvreté généralisée, l’accès aux soins, l’éducation ou la nutrition étaient des problèmes qui concernaient la majorité des enfants d’une communauté.

B - Les « OEV » : l’émergence d’une nouvelle catégorie institutionnelle

Les critiques formulées concernant la catégorie des « orphelins du sida » a donné lieu à l’émergence de nouvelles dénominations permettant de caractériser l’impact de l’épidémie sur les enfants. Les enfants sont désormais l’objet de caractérisations telles que celles «d’orphelins à cause du VIH/sida », « d’enfants rendus orphelins par le VIH/sida » ou encore « d’enfants affectés par le VIH/sida » lorsqu’il s’agit de désigner les enfants vivant dans une famille dont une ou plusieurs personnes vit avec le VIH. Mais dans ce contexte d’inflation lexicale, c’est la catégorie des « orphelins et enfants vulnérables » qui va s’imposer à partir de la fin des années 1990. Cette catégorie et son acronyme « OEV » – qui tend notamment à être utilisé comme substantif pour désigner les enfants – sont devenus une composante institutionnelle et interventionnelle majeure de la réponse collective concernant les enfants. Au niveau international, ce sont les expressions « orphans and vulnerable children » et son acronyme « OVC » qui s’imposent, l’anglais étant la langue de travail dominante dans le système onusien et plus généralement de l’aide international. « Orphans and vulnerable children » figure ainsi dans l’intitulé de nombreux rapports ou dans la dénomination des politiques nationales ciblant les enfants. Elle désigne le sous-groupe des enfants dans les populations désignées comme « vulnérables », mais fait également l’objet de sessions dédiées à l’occasion ainsi que des guides, ressources et sites internet dédiés100. Elles peuvent également, figurer sur le mur d’une association, comme l’illustrent cette photo prise à Ouagadougou en 2005.

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AFFICHAGE PUBLIC DES

«

ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES

»

Illustration 3. Mur d’une association, Ouagadougou, 2005- Source : Hejoaka

100 Voir par exemple la plateforme OVC Support à l’adresse suivante : www.ovcsupport.net.

CHAPITRE 3. LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D’UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA |127

En dépit des recherches menées, je n’ai pas été en mesure d’identifier avec précision la date à laquelle la catégorie des « orphelins et enfants vulnérables » a formellement émergé. Dans le rapport Children on the Brink publié en 2000, la catégorie n’est pas encore utilisée de façon formelle, mais la référence à la « vulnérabilité » des enfants apparaît de façon récurrente. On peut donc dire que si l’institutionnalisation de la catégorie n’était pas encore effective, l’idéologie sous-jacente de la vulnérabilité structurait déjà les réponses apportées. La dénomination « orphans and vulnerable children » apparaît dans certains rapports et évaluations réalisées à la fin des années 1990 dans les pays africains comme la Zambie ou l’Ouganda, particulièrement touchés par l’épidémie101. Mais elle ne deviendra une catégorie institutionnelle largement utilisée, qu’à partir du début des années 2000. La Déclaration d'engagement sur le VIH/SIDA adoptée en juin 2001 lors d'une session extraordinaire de l'Assemblée générale de l'ONU (UNGASS) – dont trois articles sont consacrés aux « enfants rendus orphelins ou vulnérables par le VIH/SIDA » – peut être considérée comme l’événement en marquant l’institutionnalisation à un niveau international.

L’utilisation de la notion de « vulnérabilité » n’est spécifique ni aux enfants, ni au champ de la lutte contre le sida. La fabrique de la catégorie des « orphelins et enfants vulnérables » constitue au contraire un des artefacts produits autour de la notion de « vulnérabilité » qui connaît un usage inflationniste depuis les années 1990. Pouvant désigner des situations individuelles autant que collectives, des fragilités matérielles aussi bien que morales, la notion de « vulnérabilité » est actuellement utilisée par les politiques publiques et par les organismes internationaux pour désigner des populations telles que les enfants, mais également les femmes, les personnes âgées, les travailleurs précaires, les personnes en situation de conflit et/ou déplacées ou encore les personnes souffrant d’un handicap et de maladies chroniques. Le concept de vulnérabilité s’est imposé à la fin des années 1980 avec le développement de recherches sur la gestion des risques et des catastrophes naturelles. Il est aujourd'hui couramment utilisé pour caractériser un état de fragilité, une propension à subir des dommages ou une faible capacité à faire face à des événements désastreux (Soulet, 2005). Si la vulnérabilité est devenue une catégorie de l’action publique, il est intéressant de noter que dans le contexte de l’épidémie de sida, les « groupes vulnérables » sont dissociés des « groupes à risque » que sont les « hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes », les « travailleuses du sexe » ou les « consommateurs de drogues injectables ». En effet, à la différence des femmes et des enfants, les hommes sont appréhendés en tant que groupe social, mais jamais en tant que groupe, vulnérable en soi. Lorsqu’ils le sont, la vulnérabilité est associée à un autre facteur social comme la pauvreté, l’immigration, l’usage de drogues.

Depuis quelques années, les interventions mises en œuvre autour des « orphelins et enfants vulnérables » est également devenue l’objet de critiques. En premier lieu, c’est la cristallisation persistante des politiques et interventions autour de la figure des « orphelins du sida » qui est mise en cause. Cela a suscité des critiques qui ont on été portées sur la scène scientifique et politique à travers notamment un article, publié en mai 2008 dans la revue scientifique AIDS Care. Les auteurs y invite les acteurs internationaux à revoir la définition de la notion « d’orphelin » (Sherr, et al., 2008, p. 535). L’UNICEF pris acte de ces revendications à travers un communiqué de presse publié en août 2008. L’administration y

101 On peut par exemple citer les rapports Report on DCOF’s Zambia Program (PCI) produit par Williamson en 1997 et Review of

Orphans and Vulnerable Children (OVC) Program Implementation in Zambia: A Consultancy Report to Project Concern International, produit par Serpell en 1998 où apparaît la formulation « orphans and vulnerable children ».

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