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CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

190 | C HAPITRE 5 U NE ÉPIDÉMIE F AMILIALE

secret d’un tiers est motivée par le bien-être de l'enfant afin de garantir la continuité du traitement et du suivi médical. Le conjoint, un membre de la famille ou les enfants peuvent être mis dans le secret. Au sein des couples divorcés ou séparés, des mères qui n’avaient jusqu’alors pas informé leur ex-conjoint de leur séropositivité ont décidé de révéler la maladie de l’enfant, et par conséquent, dans le même temps leur propre statut. Une mère relate ainsi les raisons qui l’ont amenée à annoncer sa maladie au père de son enfant :

Mon mari m’a laissée il y a trois ans pour partir avec une femme plus jeune. À cette époque j’étais souvent malade. Lorsque j’ai eu les résultats de mon test, je n’ai pas voulu lui dire. Quand notre fille a eu huit ans, il a voulu qu’elle parte habiter avec lui. Je lui ai dit que la petite avait le sida et qu’elle devait prendre des médicaments tous les jours. Comme il faut l’emmener régulièrement à l’hôpital et lui donner les médicaments tous les jours, elle est restée avec moi».

(Mère de Salimata, onze ans)

Le secret peut également être partagé avec les enfants, parfois dès l’âge de sept ans. Certaines mères ont ainsi informé leurs enfants afin qu’ils comprennent pourquoi ils doivent prendre quotidiennement leurs médicaments ou pour éviter qu'ils n’apprennent leur maladie d’une tierce personne. Dans certains cas, ce sont les frères et sœurs des enfants séropositifs qui peuvent être mis dans le secret afin d’aider leur mère à assurer la prise régulière des traitements, les visites à l’hôpital ou dans les associations de prise en charge. Une mère de quatre enfants, dont deux jumeaux infectés âgés de quatre ans, a ainsi été amenée à informer sa fille afin qu’elle l’aide dans la prise en charge des plus jeunes :

Depuis que je suis tombée malade, le docteur a vu que c’est ma mère seule qui s’occupe de moi. Il n’y a pas quelqu’un d’autre qui vient. Même la famille de mon mari là, elle ne vient pas me voir. Donc le docteur a vu ça et un jour il m’a demandé : « Où est ton mari là ? » J’ai dit que ça ne va pas, qu’il a quitté me laisser. Il a demandé pour sa famille. Je lui ai dit qu’ils ne veulent pas venir me voir. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai dit que je ne sais pas. Un jour, [le docteur] m’a dit qu’il veut que j’explique à ma fille ma maladie, car ma mère est tombée malade et moi aussi je ne suis pas bien guérie. Il a dit que je ne peux pas marcher pour venir prendre les médicaments tout le temps comme ça. C’est à ce moment que j’ai dit ça à [ma fille] et à mon frère. Mais mon frère, même s’il veut aller chercher les médicaments à l’hôpital, il ne sait pas écrire (Mère de jumeaux, quatre ans et demi)

Dans un contexte de traumatisme et d’isolement social induits par la découverte de la maladie ou après le décès du conjoint, les enfants sont, dans certains cas, les seuls interlocuteurs potentiels des parents. Ils se retrouvent être les « confidents inattendus » des adultes sur des questions taboues relevant des registres de la sexualité et de la mort. L’implication des enfants dans la gestion de la maladie et des traitements pose la question du rôle de la fratrie dans les soins, question sur laquelle nous reviendrons au chapitre 10 (pp. 310-315). Mais force est de constater que le traitement politique de la famille dans les politiques publiques occulte les relations entre frères et sœurs lorsque l’un d’entre eux est malade. Il semble donc que la famille soit essentiellement pensée en termes de relations intergénérationnelles, mais peu de relations intragénérationnelle, pour ce qui concerne les enfants.

CHAPITRE5. UNE ÉPIDÉMIE FAMILIALE |191

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Les analyses présentées dans ce chapitre ont permis de saisir à partir d’une analyse socio-historique du traitement des enfants dans la réponse internationale apportée à l’épidémie, le « traitement politique à la marge » des enfants vivant avec le VIH ont fait l’objet. Les « politiques publiques de l’enfance face au sida » se sont principalement construites autour de la catégorie ad hoc des « orphelins et enfants vulnérables ». L’action publique s’est principalement focalisée sur les dimensions sociales de l’impact de l’épidémie à travers la prise en charge des « orphelins du sida ». La catégorie des « orphelins et enfants vulnérables » a constitué une catégorie-écran qui a contribué à entretenir une ambiguïté autour de la réalité et de la diversité des situations vécues par les enfants « affectés » et les enfants « infectés ». Le développement de la prise en charge des enfants est plus le résultat de la « fenêtre d’opportunité » qu’a constitué l’accès au traitement pour les adultes, que l’effet d’une politique publique ciblant les enfants.

L’ambiguïté qui caractérise les « politiques publiques de l’enfance face au sida » est exacerbée par le traitement moral qui a été fait des enfants dans le contexte de l’épidémie. Personnifiant la quintessence de la vulnérabilité, les « orphelins du sida » sont en effet devenus une figure iconique de la lutte contre le sida, notamment parce qu’ils incarnent des « victimes morales » d’une épidémie considérée comme « immorale ». Leur popularité et la « passion » qu’ils suscitent sont alimentées par l’hypermédiatisation dont ils ont fait l’objet. L’image des enfants circule en effet à l’échelle internationale à travers la presse écrite, le photojournalisme, et plus récemment de la « nouvelle vitrine médiatique » que représente l’internet.

Enfin, l’analyse a également montré, que bien que le sida soit une « épidémie familiale », les problèmes spécifiques que posent la gestion de la maladie et des traitements des enfants vivant avec le VIH demeurent largement ignorés des politiques de lutte contre le sida. Les résultats présentés montrent notamment que la complexité des situations familiales et la dimension genrée inhérente à la gestion de la maladie et du traitement des enfants demeurent largement invisibles. D’autre part, paradoxalement, alors que le sida est communément caractérisé de « maladie du secret », l’isolement des parents dans les soins a peut été pris en compte. Les parents s’emploient non seulement à dissimuler la maladie à l’entourage social et familial, mais également aux enfants. En effet, comme nous allons le voir dans la partie suivante qui porte sur les dits et les non-dits de la maladie aux enfants, les parents souvent réticents à annoncer leur maladie aux enfants. Toutefois, un certain nombre d’enfants sont informés de leur maladie ou la suspectent. Le secret n’est plus alors seulement celui des parents, mais devient « leur secret » dont ils se révèlent être les gardiens scrupuleux.

PARTIE III

ETHNOGRAPHIE DE LANNONCE À LENFANT

DITS, NON-DITS ET SOUPÇONS AUTOUR DU SIDA

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