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III LE DESSIN D’ENFANT COMME TECHNIQUE D’ENQUÊTE EN ANTHROPOLOGIE

Plan de thèse

III LE DESSIN D’ENFANT COMME TECHNIQUE D’ENQUÊTE EN ANTHROPOLOGIE

Avec l’observation participante et l’entretien, le dessin d’enfant est la troisième technique que j’ai utilisée pour mon enquête de terrain. Le dessin d’enfant a été utilisé de différentes manières et à divers moments de l’enquête, comme nous le verrons dans le développement suivant. Le dessin d’enfant a en effet joué une fonction « d’ice breaker », de support d’entretien, de source d’information, mais également d’illustration des résultats produits dans le cas de l’enquête, notamment pour ce qui concerne les connaissances et les représentations que les enfants ont du sida.

L’analyse de l’utilisation du dessin comme technique d’enquête qui est ici présentée se base une analyse critique d’un corpus de dessins que j’ai constitué dans le cadre de cette thèse. J’ai en effet collecté quatre cent cinquante-trois dessins auprès d’enfants et d’adolescents âgés de sept à dix-neuf ans, à Bobo- Dioulasso entre les mois d’octobre 2005 et d’octobre 2009. Plus précisément, le corpus se compose :

− 176 dessins collectés auprès d’enfants vivant avec ou affectés par le VIH, − 53 dessins collectés en novembre 2005 au sein d’un projet scolaire associatif77,

− 324 dessins collectés dans le cadre de l’étude « VIH/SIDA, traitements antirétroviraux et stigmatisation : Connaissances, perceptions et attitudes des enfants à Bobo-Dioulasso et Dafinso (Burkina Faso) » réalisée sous ma direction entre juin et octobre 200978

Après avoir présenté les conditions de production et d’usage du dessin d’enfant d’un point de vue historique, social et culturel, je proposerai à partir de mon expérience de terrain une analyse critique et pratique des avantages et des limites de l’utilisation du dessin dans l’enquête avec les enfants en anthropologie.

77 Il s’agit du projet socio-éducatif « Éducation sans Frontières » de Bobo-Dioulasso.

78 Les objectifs et la méthodologie de l’enquête sont présentés dans l’annexe 7, pp 424-425. Cette enquête porte au total sur 1090 enfants.

Quatre types d’outils, 1) le questionnaire, 2) le dessin, 3) la rédaction et 4) le commentaire d’image ont été utilisés. Les résultats du volet utilisant le questionnaire sont présentés au chapitre 7.

CHAPITRE 2.ENQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES, ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES |95

A - Perspectives historiques sur le dessin d’enfant

Si le dessin d’enfant a suscité l’intérêt des pédagogues, artistes et psychologues depuis la fin du XIXe

siècle (Pernoud, 2003)79, les anthropologues ne s’y intéressent que depuis les années 1980, et ce principalement à travers l’utilisation qui peut en être faite en tant que technique d’enquête. Les rares travaux anthropologiques réalisés avant cette date ne considéraient le dessin d’enfant qu’à travers des questionnements concernant l’origine de l’art, les peuples « primitifs » ou sur les jeux et les activités enfantines (voir par exemple Griaule, 2001 [1933]; Van Gennep, 1911, cité par Joly, 2009). Une approche anthropologique du dessin d’enfant reste à écrire comme le souligne Isnard (2004, pp. 40-43).

Si le dessin d’enfant constitue une activité universelle et intemporelle, les productions graphiques enfantines des siècles passés ont laissé peu de traces. De rares dessins ancestraux ont en effet été découverts et pu être conservés. Les graphismes enfantins tels que ceux de Novgorod dans le nord-ouest de la Russie – réalisés sur des feuilles de bouleau et datés de 1230 – ou de Sorèze dans le Tarn (XIIe

siècle) demeurent exceptionnels (D. Fabre & Baldy, 2009, pp. 152-163). Citons également les dessins réalisés par le roi Louis XIII au début du XVIIe siècle. Ils ont été rassemblés par l’entremise de Jean Heroard qui était alors le médecin personnel du roi. Outre la tenue d’un journal sur la santé du roi, Jean Heroard collecta les dessins qu’il réalisa entre 1601 et 162880. Des figurations de dessins d’enfants se donnent également à voir dans le support original qu’offre la peinture européenne du XVIe au XIXe

siècle81. Certains artistes ont intégré des représentations de dessins d’enfants dans leur peinture comme le figurent des œuvres telles que : Giovanni Francesco Caroto dans Ritratto di fanciullo con disegno (1520), David Allan dans Le Génie inculte (1775), Thomas Eakins dans Une rue à Séville (1870), Vittorio Matteo Corcos dans Portrait de Yorik (1882), Évariste Carpentier dans Un Chef d’œuvre incompris (1885-1895 ?) ou Giacomo Balla dans Fallimento (1902)82.

Au-delà des problèmes de conservation posés par la nature des matériaux et des supports utilisés, les dessins d’enfants ont longtemps été considérés comme une valeur négligeable. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que les productions graphiques enfantines ont été socialement reconnues.

Cela traduit le nouveau regard porté sur les enfants par les pédagogues, psychologues et artistes. À la fin du XIXe siècle, dans un contexte de démocratisation et de laïcisation de l'enseignement scolaire en

France, le dessin a suscité l’intérêt de nombreux pédagogues qui y voyaient des outils éducatifs fondamentaux. En France, l’enseignement du dessin devient obligatoire dès l’école primaire en 1882 et se fait à partir du dessin géométrique. Mais cette « pédagogie de la contrainte » n’aura qu’un temps limité. Sous l’influence des psychologues et des théories développementalistes qui privilégient la libre expression de l’enfant, le dessin imposé sera remplacé quelques années après par le « dessin libre » perçu comme un

79 Voir également les bibliographies établies sur le dessin d’enfant par Naville (1950) concernant la période précédant la Seconde Guerre

mondiale, Stora de1945 aux années 1960 (1963), ainsi que Wallon (1985).

80 Voir à ce propos l’article de David et Himmelfarb édité dans un numéro spécial « L’enfant » de la Nouvelle revue de psychanalyse qui

présente des reproductions de dessins réalisés par Louis XIII ainsi que des extraits du journal de son médecin (1979, pp. 270-330).

81 Notons que les enfants ont également été les modèles des peintres, la figure de l’enfant étant largement présente dans la peinture

européenne à partir du XVIe siècle. L’historien Ariès base d’ailleurs ses analyses de l’émergence d’un « sentiment de l’enfant à partir du XVIIe siècle en Europe, sur les représentations iconographiques de l’enfant dans la peinture de cette époque (1973 [1960]). Le portrait d’enfant a également constitué à partir du XVIe siècle, un genre prisé dans la peinture européenne. Voir, à ce sujet Pernoud (2007) et Morel

(1997).

82 Ces œuvres figurant des dessins d’enfants sont citées par Georgel dans le numéro de la revue Gradhiva « Arts de l’enfance, enfances de

l’art » (2009, pp. 56-81).

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