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CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

IV À PROPOS DE LA SOLITUDE DES PARENTS DANS LES SOINS

A - Taire la maladie et cacher les traitements

Paradoxalement, alors que le sida a souvent été qualifié de « maladie du silence », l’impact du secret sur les relations intrafamiliales et notamment le « travail de soins » dispensés aux personnes malades a été peu pensé (Hejoaka, 2009a). Dans le cas d’enfants vivant avec le VIH «que l’on ne peut confier à personne » comme le soulignait un des parents, le travail de soins requis par la gestion quotidienne de la maladie est façonné par le secret. Espérant ainsi prévenir toute forme de stigmatisation, les parents se retrouvent à soigner leur(s) enfant(s) dans le secret, limitant pour se faire, le recours aux soutiens sociaux et familiaux traditionnels. En effet, en Afrique de l’Ouest, la santé et les soins aux enfants est une pratique collective où certaines femmes notamment « vieilles femmes » – détentrices de connaissances et d’un savoir-faire singulier, assurent un rôle central dans les pratiques thérapeutiques, les soins et plus généralement l’éducation des enfants (voir par exemple Bezner Kerr, Dakishoni, Shumba, Msachi, & Chirwa, 2007; D. Bonnet & Pourchez, 2007; Rabain, 1979). Mais dans le cas du sida, contraints de taire la maladie et de cacher les traitements, les stratégies de dissimulation qu’ils développent confinent les parents à une situation de solitude dans les soins.

Les parents développent différentes stratégies de dissimulation. Ils s’emploient ainsi à cacher les traitements qui sont les principaux « identificateurs » (Goffman, 1975) du sida avec les signes cliniques. Certains parents vont jusqu’à faire brûler les emballages des médicaments, afin de s’assurer de ne laisser aucun signe révélateur. Lorsque l’entourage est témoin des prises quotidiennes des médicaments, les parents peuvent être interpellés sur les raisons de ce « traitement qui ne fini pas ou devoir justifier « pourquoi l’enfant va toujours à l’hôpital ». La prise en charge médicale des maladies chroniques infantiles étant embryonnaire, la maladie de l’enfant est objet à suspicion, pas nécessairement sur le fait qu’il s’agisse du sida, mais que le parent, et plus généralement la mère, se révèle incompétente à « soigner » son enfant137. Les parents peuvent alors se retrouver à devoir composer avec les recours thérapeutiques alternatifs – médecine traditionnelle ou pratiques magico-religieuses – proposés par l’entourage familial. De même, dans le cas de contraintes alimentaires associées à la prise des médicaments138, les parents doivent expliquer pourquoi leur enfant ne peut pas manger comme les autres. Ils doivent également demeurer discrets concernant certaines de leurs activités qui permettraient de faire un lien avec le sida. C’est notamment le cas lorsqu’ils fréquentent des associations de prise en charge qui sont largement médiatisées à la télévision burkinabè. Les parents peuvent alors devoir dissimuler les vivres

137 La responsabilité de la « bonne » ou au contraire de la « mauvaise » santé de l’enfant imputée aux mères a été analysée par Desclaux dans

le contexte du VIH (1996a). Pour une analyse critique de la notion de « négligence sociale » des mères dans le cadre de la malnutrition, l’article de Bonnet : La notion de négligence sociale, à propos de la malnutrition de l’enfant (1996).

138 Certaines molécules impliquent que le traitement soit pris en dehors des repas. Certains enfants étaient ainsi contraints de ne pas

manger deux heures avant la prise des médicaments et une heure après.

CHAPITRE5. UNE ÉPIDÉMIE FAMILIALE |189

qui leur sont distribués ou donner de faux prétextes pour justifier en obtention. Les tuteurs d’enfants orphelins mettent en avant le statut familial de ces derniers afin d’expliquer les dotations en vivre ou le paiement des frais de scolarités dont ils ont pu bénéficier.

Dans les cours familiales, préserver le secret est particulièrement difficile en raison du manque d’espace personnel. La tante de Nassita explique pour sa part les pratiques de dissimulation qu’elle développe, changeant le lieu où le traitement est donné en fonction des personnes en présence aux heures de prise.

Je lui donne ses médicaments très tôt le matin, avant la prière139. Comme c’est une grande cour, je ne peux pas lui donner ses médicaments sans que personne ne voie ça. C’est à cause de cela que je lui donne ses médicaments très tôt le matin. […] Mais le jour où on se réveille et que les gens sont déjà levés, je ne lui donne pas ses médicaments à la maison. Je cherche un autre coin. Mes enfants savent qu’elle prend les médicaments. Mais ils ne savent pas c’est quel médicament. Le jour où il y a des gens dans ma maison, j’amène l’enfant dans

la chambre de mon mari pour aller lui donner ses médicaments là-bas. (Tante de

Nassita, 12 ans)

Mais les stratégies de dissimulation ne se limitent pas à l’espace domestique. Le secret doit être préservé dans toutes les circonstances, ce qui devient particulièrement problématique lorsque les parents et les enfants se retrouvent à devoir prendre leurs traitement alors qu’ils se trouvent à l’extérieur de leur domicile, que ce soit pour quelques heures ou pour plusieurs jours lorsqu’ils « voyagent » en raison d’obligations familiales et sociales comme des mariages, des cérémonies funéraires ou pour assister un parent malade au village. Si des solutions sont facilement trouvées lorsqu’il s’agit de déplacements de quelques heures, cacher les traitements devient plus problématique lorsque les déplacements durent plusieurs jours et qu’il n’est pas toujours possible de se cacher pour prendre les traitements. La mère de Salimata explique ainsi la situation délicate dans laquelle elle a été lorsque sa fille qui est sous traitement a été chez son frère aîné à Ouagadougou pendant les vacances.

Mon grand frère lui il a compris. Parce que, quand [ma fille] est revenue de Ouaga, elle m’a expliqué comment le grand frère la très bien traitée. Elle a une heure pour manger. Si à 18h elle prend le médicament, il faut qu’elle attende 20h pour manger Donc le grand frère a décidé que si ce n’est pas à 20h, aucun enfant de la maison ne doit manger. Depuis ce temps, je n’ai pas vu mon grand frère. Mais, je sais que si on se voit, il va me demander. Il a dit à mon autre fille

que nous lui cachons quelque chose… ! (Mère de Salimata, 11 ans)

B - Partager le secret pour faciliter les soins

La charge émotionnelle et les contraintes inhérentes à la gestion quotidienne des traitements à long terme conduisent certains parents à partager leur secret avec une personne susceptible de les soutenir dans les soins à l'enfant. Dans un contexte social où le partage du statut demeure limité en raison de la stigmatisation associée au sida (Collignon, Gruenais, & Vidal, 1994; Tijou-Traoré, 2006), la mise dans le

139 Dans la religion musulmane, la première prière de la journée (Al-Fajr) s’effectuant à l'aube, lorsqu’apparaissent à l’horizon les

premières lueurs du soleil, la prise des médicaments peut ainsi être faite entre 5 h et 6 h selon les saisons de l’année.

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