• Aucun résultat trouvé

I UN BREF HISTORIQUE DU TRAITEMENT SOCIAL ET POLITIQUE DES ENFANTS DANS LA RÉPONSE À L’ÉPIDÉMIE.

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

I UN BREF HISTORIQUE DU TRAITEMENT SOCIAL ET POLITIQUE DES ENFANTS DANS LA RÉPONSE À L’ÉPIDÉMIE.

À travers la description des principaux acteurs et l’analyse des configurations sociales et politiques, l’analyse vient éclairer les conditions du traitement à la marge et dual dont les enfants vivant avec le VIH ont été l’objet. Rendre compte du traitement politique et social des enfants au fil des trois décennies qui composent l’histoire de la lutte contre le sida comprend indéniablement une part d’arbitraire. La temporalisation en quatre périodes que j’ai retenu, repose sur la combinaison de dates historiques de la lutte contre le sida – comme l’introduction des trithérapies en 1996 ou la Déclaration d’engagement de l’UNGASS de 2001 – et d’événements plus contextuels, marquant des avancées significatives les mobilisations collectives concernant les enfants.

A - 1981-1989. Du « cancer gay » au SIDA : l’émergence d’une « nouvelle maladie » d’adultes ?

Les premières années de l’épidémie (1981-1989) sont marquées par la mobilisation de la communauté scientifique dans la compréhension de cette nouvelle maladie, l’attentisme des États et l’émergence des associations dans lesquelles le « mouvement gay » va jouer un rôle central (concernant le cas de la France, voir par exemple Barbot, 2008; Broqua, 2005; Pinell, 2002). En 1981, les premiers cas d’un syndrome d’origine inconnue sont découverts chez cinq homosexuels blancs hospitalisés au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Los Angeles. Ceux-ci présentent un tableau clinique caractérisé par une pneumonie rare causée par Pneumocystis carinii. Le 5 juin 1981, le bulletin hebdomadaire du Center for Disease Control d’Atlanta (CDC) – agence américaine centralisant les informations sur la situation des maladies infectieuses – fait état du décès de 31 malades homosexuels des suites de cette « nouvelle maladie », alors dénommée GRID (Gay-related immune deficiency) ou encore le « cancer gay ». Rapidement, d’importantes découvertes médicales vont venir éclairer l’histoire naturelle de la maladie et la construire en tant que nouvelle entité nosographique. En 1982, si l’étiologie de la maladie demeure inconnue, les principaux modes de transmission sont identifiés. Dès 1982, à côté de la transmission sexuelle et sanguine, la transmission verticale de la mère à l’enfant est mise en évidence, quatre cas de sida ayant été diagnostiqués chez des enfants nés de mères ayant le sida (Grmek, 1989, p. 79). Cette même année, les acronymes AIDS en anglais (pour Acquired Immune Deficiency Syndrome) et SIDA en français (pour Syndrome d’Immuno-déficience Acquise) sont officiellement définis et adoptés par le CDC, puis entérinés par l’ensemble de la communauté scientifique internationale. L’année suivante, le virus responsable de la maladie est identifié par l’équipe du Pr Luc Montagnier de l’Institut Pasteur de Paris90. En 1984, le virus est appelé VIH – pour Virus de l’Immuno-déficience Humaine – après avoir été dénommé HTLV dans un premier temps.

En dépit de cette description précoce de l’histoire naturelle de l’infection à VIH incluant les enfants, le sida a longtemps été perçu comme une maladie d’adultes. Fait révélateur, à la différence des « hémophiles », des « usagers de drogues injectables », des « homosexuels » ou des « prostituées », les enfants n’ont jamais représentés un des « groupes à risque » institués par l’épidémiologie, autour desquels

90 Le Pr Luc Montagnier et le Pr Françoise Barré-Sinoussi reçurent le Prix Nobel de Médecine en 2008 pour leur découverte du virus

de l’immunodéficience humaine.

CHAPITRE 3. LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D’UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA |119

s’est structurée la réponse internationale apportée à l’épidémie91. Dans les pays du Nord, la visibilité sociale et politique des enfants est réduite et se produit essentiellement à travers la médiatisation d’histoires singulières d’enfants atteints par la maladie, comme celle de Ryan White. Enfant hémophile né en 1971 dans l’Indiana aux États-Unis, Ryan White est infecté par le VIH en 1984, suite à une transfusion sanguine. En raison de la peur ambiante de « contamination » qui prévaut alors, il est victime de nombreuses discriminations et est renvoyé de son école. La stigmatisation dont il est l’objet donnera lieu à une importante mobilisation sociale et médiatique en sa faveur, à laquelle prirent part des personnalités politiques comme le vice-président Dan Quayle et le Président George H.W. Bush ou du show-business comme Elton John et Michael Jackson. Il deviendra une figure emblématique nationale de la lutte contre les discriminations subies par les personnes vivant avec le VIH après avoir témoigné en 1988 devant la commission présidentielle sur le sida. Il décédera deux ans plus tard des suites du sida.

Dans les pays du Sud, le sida pédiatrique constitue la « tache aveugle » de l’épidémie (Elenga, et al., 2006), notamment en Afrique sub-saharienne, région la plus touchée par l’épidémie. Bien que certains scientifiques aient commencé à décrire le « désastre imminent » (Preble, 1990b) de l’impact de l’épidémie sur les femmes et les enfants, la réponse apportée au niveau national et international est celle de l’inaction. À la fin des années 1980, la féminisation de l’épidémie est déjà pourtant une réalité avérée, tandis que certaines villes africaines présentent des taux de prévalence variant de 5 à 35 % (Quinn, 1996).

B - 1989-1994 – L’émergence de la crise des « orphelins du sida »

Dans ce contexte d’invisibilité du sida pédiatrique, la prise en compte des enfants dans la réponse apportée à l’épidémie vient de la « crise des orphelins du sida» qui émerge à la fin des années 1980 en Afrique centrale et de l’Est. L’infection à VIH touchant majoritairement des populations en âge de procréer, des pays sub-sahariens comme l’Ouganda et la Tanzanie qui présentent alors des taux de prévalence particulièrement élevés, connaissent une augmentation exponentielle du nombre d’enfants orphelins. Les années 1989-1994 correspondent à une période d’évaluation épidémiologique de l’ampleur du phénomène des « orphelins du sida » et de sensibilisation de la communauté internationale autant que des autorités politiques nationales par les scientifiques et les acteurs de terrain.

La première étude quantitative visant à évaluer le nombre « d’orphelins du sida » est réalisée en 1989 en Ouganda, à l’initiative de l’antenne britannique de l’organisation de solidarité internationale Save the Children. Confrontée à la prise en charge d’un nombre croissant d’orphelins dans ses programmes de terrain, l’ONG internationale entreprend d’évaluer la situation. Réalisée sous la direction d’Hunter, en partenariat avec le Ministère du travail et des affaires sociales ougandais, cette étude donne lieu l’année suivante à la publication du premier article abordant la question des orphelins dans le contexte du sida en Ouganda (1990). Elle met en évidence l’existence d’un nombre élevé d’orphelins dans certaines régions ougandaises comme le Rakai, où 12,8 % des enfants ont perdu leur(s) parent(s) suite du sida ». En fait, la situation ougandaise préfigure la « crise des orphelins du sida » à laquelle vont être confrontés de nombreux pays sub-sahariens. En 1990, une évaluation du nombre d’orphelins conduite dans dix pays

91 Dans les pays anglo-saxons, la dénomination du "club des 4 H's" (hemophiliacs, heroin addicts, homosexuals and Haitians) sera

également attribuée, d’un point de vue épidémiologique, dès lors considérées comme des « groupes à risque. On parlera également de la maladie des « 5H », le cinquième « H » ayant été adjoint faisant référence au mot anglais « hooker » qui signifie « prostituée ».

Outline

Documents relatifs