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92 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Plan de thèse

92 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

communication) comme le propose Christensen (2004, p. 29). Comprendre la façon dont les enfants s’impliquent dans la recherche nécessite selon l’auteur de répondre aux deux questions suivantes : les pratiques employées dans l’enquête sont-elles en accord et font-elles sens avec l’expérience personnelle des enfants, leurs valeurs, leurs centres d’intérêt et leur routine quotidienne ? De quelles façons les enfants traduisent-ils et se représentent-ils la recherche relativement à leur vie quotidienne ? Tout au long des entretiens que j’ai réalisés avec les enfants, j’ai particulièrement été étonnée par la teneur et la densité des propos qu’ils me livraient. À mon sens, leur « engagement » dans les entretiens vient du fait que je m’intéressais à eux en tant que personne, mais plus encore au « problème » qui focalisait alors à ce moment-là toute leur attention. Par ailleurs, comme nous allons le voir dans le développement suivant, les entretiens ont offert à leur parole un espace d’expression quasi inexistant jusque-là.

Un espace de parole attendu

Souhaitant porter un regard réflexif sur les entretiens que j’ai réalisés avec les enfants, j’ai demandé à ceux que j’ai eu l’occasion de revoir, de me raconter comment ils avaient vécu cette expérience. L’entretien a ainsi souvent été pour eux le premier espace où ils ont ouvertement parlé de leur maladie et non du sida en tant qu’entité anonyme communément exprimée à travers des discours généraux, et d’autre part, de parler d’une réalité relevant du secret.

Pour moi, l’entretien a été dur parce que je n’avais jamais vu quelqu’un pour parler du sida avec lui. (Sophie, huit ans)

En dépit de l’information qu’ils ont été censés recevoir de leur parent concernant leur participation à l’enquête – mais sur laquelle je n’ai pas de visibilité, ce qui est effectivement dit à l’enfant m’étant inaccessible – nombre d’enfants n’ont a priori pas compris en quoi allait consister l’entretien. Ils s’interrogeaient ainsi sur la nature des questions qui allaient leur être posées comme l’évoque Adeline, treize ans.

Au début, j’étais gênée de parler de cela. Mais avec l’entretien que j’ai eu avec vous j’ai dit tout ce qui était au profond de mon cœur. Au début de l’entretien, je ne savais pas pourquoi j’étais venue. Mais au fil des questions, je me suis

rendu compte du pourquoi de ma venue. (Adeline, treize ans)

Certains enfants se sont montrés inquiets face à un « entretien » auquel nombre d’entre eux ont attribué un caractère scolaire. Certains ont dû ainsi penser qu’ils allaient être « interrogés » ou qu’il s’agissait d’évaluer leurs connaissances comme le décrit Alassane, douze ans.

C’était difficile pour moi parce qu’au début on se connaissait à peine avec Fabienne. On m’avait expliqué ce que j’allais faire comme travail avec Fabienne. On m’a dit qu’on allait parler du sida. J’étais inquiet, car je ne savais pas quelles questions [Fabienne] allait me poser. Je me demandais : « Est- ce que j’allais pouvoir parler avec elle ? ». (Allasane, douze ans)

Les entretiens ont représenté une expérience « difficile » pour les enfants pour plusieurs raisons. Le sida est un sujet douloureux dont il est particulièrement difficile de parler pour les personnes concernées, car il renvoie à une souffrance physique autant que psychique. Nombre d’entre eux ont par ailleurs vécu le décès de leurs parents. Si certains enfants avaient déjà eu l’occasion de parler du sida avec leurs parents,

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l’entretien a souvent été leur première occasion de verbaliser leur expérience du sida. « Parler du sida » ne doit pas ici être compris dans un sens large se résumant à des discussions impersonnelles que les enfants ont pu avoir sur le sida ou des discours socio-sanitaires et/ou des messages de prévention. « Parler du sida » suppose ici de verbaliser sa propre expérience, ce qui mobilise des enjeux psychologiques et émotionnels particuliers.

C’était difficile pour moi, car c’était ma première fois de parler de cela avec quelqu’un. Mais après l’entretien, les réponses que j’ai données aux différentes questions qui m’ont été posées, j’étais fier de moi même. Il y a des questions qui m’ont fait pleurer. Donc c’était difficile pour moi de répondre à ces questions. Mais je trouve que c’était bien. Le fait de ne pas répondre à certaines questions, cela m’a fait mal au cœur. (Ismaël, seize ans)

La difficulté des entretiens est également liée à la honte ressentie par les enfants, dans le fait d’évoquer avec une personne inconnue, des questions relevant de l’intimité et du secret. Par ailleurs, le sida demeurant particulièrement stigmatisé, bien que les enfants n’aient pas évoqué la peur d’être discriminés, le partage d’expériences concernant leur maladie peut être émotionnellement vécu comme une « révélation », durant laquelle ils peuvent craindre une rupture de confidentialité. Pour Issouf l’entretien a ainsi signifié partager « ses secrets » avec moi

C’était bien. Mais au début c’était difficile pour moi de parler avec Fabienne, car je n’étais pas habitué à elle. C’est difficile pour moi de dire mes secrets à quelqu’un que je ne connais pas. (Issouf, quatorze ans)

Dramame a quant à lui évoqué la honte qu’il a ressentie au début, sentiment qu’il convient de ne pas minimiser dans un contexte où le sida demeure fortement stigmatisé.

Ce n’était pas difficile. Mais au début j’avais honte, car c’était la première fois qu’on se voyait. (Dramane, dix-huit ans)

Un point positif qui peut être retenu des entretiens est que s’ils ont représenté des moments difficiles pour les enfants – et dans une moindre mesure pour moi –, ils ont également offert aux enfants des « espaces de parole attendus » comme le note Clarisse, seize ans.

Quand j’ai découvert ma sérologie, au départ c’était dur pour moi, car je n’avais personne pour lui en parler. C’est vrai que j’ai ma maman, mais je ne peux pas lui dire tout ce qui est dans mon cœur. J’ai eu du plaisir à faire l’entretien parce que cela m’a permis de me décharger de tout ce qui était dans mon cœur. Même présentement je ne peux pas parler avec ma maman. Si quelque chose m’a marqué ou m’a touché, je préfère écrire cela dans mon cahier de journal. Parce que je me dis qu’en lui posant certaines questions, elle va se fâcher contre moi. (Clarisse, seize ans)

Les entretiens ont, de ce fait, été investis par les enfants qui ont su utiliser cet espace de communication. L’extrait d’entretien réalisé avec Sophie placé en exergue de cette thèse en offre un exemple édifiant. Interrogée ultérieurement sur sa « révélation » au cours de l’entretien, Sophie me déclarera ainsi : « je t’ai dit ça parce que je sais que je peux parler avec toi ». Les entretiens ont ainsi joué

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