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166 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

166 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

de la photographie qu’ils caractérisent de « naturaliste », « humaniste » et « pluraliste », ils analysent dans quelles mesures les représentations photographiques s’inscrivent dans un certain nombre de stéréotypes véhiculés sur le VIH/sida ou rompent au contraire avec eux. Bleiker et Kay soulignent ainsi :

A symbolic representation of a person dying of AIDS-related illnesses can easily turn into an archetype, which feeds into deeply entrenched stereotypical images of Africa as a dark and homogenous continent, populated by nameless victims who are helplessly exposed to a never-ending series of crises. Suffering, then, becomes idealized and stigmatized at the same time a combination that is particularly fateful with regard to a disease like HIV/AIDS, which is already surrounded by a range of prejudices and taboos (Bleiker & Kay, 2007, p. 159). IV - DE L’ENFANT VIRTUEL À UNE RÉALITÉ DÉPOLITISÉE

Au terme de cette analyse des représentations visuelles mobilisées dans l’iconographie de l’enfant et des usages politiques autant que moraux qui en sont faits, intéressons-nous maintenant aux implications des constructions et de l’hyper-visibilité des enfants dans le contexte de l’épidémie de sida.

A - Une vision monolithique des enfants face au VIH

La médiatisation de l’image des enfants alimente une « bulle médiatique » qui contribue à instituer une vision monolithique et dépolitisée des enfants face au sida. La vision monolithique est notamment induite par la prééminence de la figure des « orphelins du sida » et ce en dépit des nombreuses critiques et recommandations qui ont été faites concernant l’usage d’une telle catégorisation, comme cela a été évoqué dans la première partie de ce chapitre. Cette vision monolithique s’incarne à différents niveaux.

En premier lieu, la focalisation sur les « orphelins du sida » se traduit par une occultation des enfants vivant avec le VIH qui sont essentiellement pensés à travers le prisme des dimensions biologiques et thérapeutiques. De même, les enfants « affectés » par le VIH, comme les catégorisent les nomenclatures lexicales des agences internationales, qui sont par exemple les enfants de parents vivant avec le VIH ou les frères et sœurs des enfants malades, sont également oubliés par les politiques publiques.

Deuxièmement, dans un contexte de ressources limitées, les enfants qui ne sont ni infectés, ni orphelins, ne représentent pas une « cible interventionnelle » privilégiée. Le fait qu’ils puissent être victimes de stigmatisation, qu’ils assistent leur(s) parent(s) dans leur traitement antirétroviral, voire les soins quotidiens lorsqu’ils sont dans un état grabataire, où qu’ils sont confrontés en tant que membres d’une fratrie à la maladie d’un frère ou d’une sœur, sont autant de situations qui font l’objet de peu de considérations dans les politiques publiques.

Troisièmement, les enfants représentés dans les photographies sont souvent de jeunes enfants. Or d’un point de vue épidémiologique, plus de 52 % des enfants orphelins ont plus de sept ans (UNAIDS, et al., 2004). Mais, d’un point de vue médiatique, représenter de jeunes enfants renforce le caractère de vulnérabilité attribué aux enfants, renforçant l’impact émotionnel de la « victime innocente » qu’incarne l’enfant.

Quatrièmement, concernant plus spécialement les enfants orphelins, les représentations visuelles produites à leur sujet font généralement abstraction du contexte familial autant que de l’environnement socio-économique et politique ainsi que de la dynamique épidémiologique. « Les orphelins du sida » font

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l’objet d’une vision stéréotypée, où ils apparaissent généralement à travers le prisme de « l’enfant africain ». La situation des enfants infectés et affectés par le VIH en Asie, en Europe centrale ou sur le continent américain fait l’objet d’un traitement accessoire. Les enfants orphelins sont également présentés comme abandonnés ou rejetés par leur famille – représentations auxquelles contribue grandement le cadrage des photographies en tendant à isoler l’enfant. Si un nombre croissant d’orphelins sont certes pris en charge dans un cadre institutionnel, la majorité des enfants orphelins vivent avec un de leurs parents ou des membres de leur famille élargie. Par ailleurs, si la prise en charge familiale des enfants orphelins pose d’importants problèmes en raison de transformation des structures familiales et de l’épuisement des solidarités « traditionnelles », les enfants effectivement exclus ou rejetés par leurs familles ne représentent qu’une faible partie d’entre eux.

La vision monolithique produite sur les orphelins se traduit également dans le défaut de prise en compte de la situation épidémiologique et socio-économique des pays. La prise en charge des enfants orphelins pose des problèmes différents dans des pays à forte prévalence comme l’Afrique du Sud ou le Zimbabwe comparativement à des pays comme le Sénégal où l’épidémie n’est pas généralisée au niveau de la population. La médiatisation des « orphelins du sida » contribue donc à réifier une configuration sociale complexe d’enfants orphelins en une réalité simplifiée, alimentant la « victimisation » de l’enfant qui n’est jamais perçu comme un sujet, mais plutôt comme un « objet » de l’aide apportée par les ONG ou les volontaires des pays du Nord.

B - Un « effet d’annonce contre-productif

La médiatisation dont les enfants font l’objet alimente un «effet d’annonce » donnant à penser que les enfants bénéficient d’une prise en charge adéquate. Cette hyper-visibilité des enfants entretient une mystification politique dans la mesure où les politiques publiques – nationales autant qu’internationales – sont limitées d’un point de vue opérationnel, puisque selon le dernier rapport de l’UNICEF sur l’état d’avancement des politiques publiques concernant les enfants face au sida (UNICEF, ONUSIDA, OMS, & FNUAP, 2010), moins de 11 % des familles dans lesquelles résidaient les «orphelins et enfants vulnérables » bénéficiaient d’un soutien matériel ou psychosocial, ce chiffre est de 7 % au Burkina Faso. « L’effet d’annonce » joue au niveau même du champ institutionnel de la lutte contre le sida, où la segmentation des programmes – qui se traduit notamment par l’absence de programmes intégrés en termes d’approche familiale – entretient l’illusion d’une prise en charge efficiente des enfants. Par ailleurs, lorsque les programmes existent, ils ne concernent qu’une minorité d’enfants et ne sont pas pérennes, car ils reposent sur des financements ad hoc et temporaires. «L’effet d’annonce » contribue à alimenter les constructions de la mythologie des OEV et des « orphelins du sida », ce qui se traduit par le développement de stratégies de captations des ressources mobilisées pour les enfants comme le décrit par exemple Fassin dans le cas de l’Afrique du Sud (2010) à propos des conflits familiaux engendrés par les foster child grant autour de la garde des enfants orphelins. Au Niger, Guillermet (2008) a mis en évidence les difficultés des acteurs locaux à identifier les « OEV », ainsi que les réappropriations et négociation dont fait l’objet cette catégorie conçue à un niveau global. En Inde, Delpeu montre pour sa part, comment les « orphelins du sida » en devenant une catégorie interventionnelle faisant l’objet de financements suscitent la mise en place de programmes spécifiques de la part des ONG (2011).

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