136 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

La médiatisation de l’image de l’enfant dans le contexte de l’épidémie de sida mobilise particulièrement la figure des « orphelins du sida ». Meintjes & Bray (2005) offrent une analyse de la « surmédiatisation» dont ils font l’objet dans la presse sud-africaine. À partir de la revue systématique de vingt journaux, sur deux périodes de trois mois de mars à mai en 2002 et de mars à mai 2003, les auteurs ont identifié cent cinquante articles, dont quarante faisant implicitement référence aux enfants. Parmi les 114 articles finalement analysés, les résultats montrent que les articles produits sur les enfants traitent essentiellement de la question des « orphelins du sida » et de la réponse à apporter à cette crise. Par ailleurs, alors qu’un consensus s’est imposé dans le champ politique et associatif de la lutte contre le sida quant à l’utilisation de la catégorie des « orphelins et enfants vulnérables » comme cela a précédemment été analysé, la majorité de ces articles continuent de se référer aux « orphelins du sida ». Cette focalisation a pour conséquence d’occulter la réalité des problèmes socio-économiques et psychologiques auxquels sont confrontés les enfants d’une façon générale dans le contexte de l’épidémie du sida. Par ailleurs, les auteurs soulignent que la question des enfants vivant avec le VIH n’est qu’accessoirement traitée. Ils pointent également le traitement moralisateur qui est fait de l’épidémie au niveau mondial, avec une focalisation sur les « groupes à risque » comme les homosexuels, les injecteurs de drogues, les travailleuses du sexe. Au niveau des enfants, cette lecture morale de l’épidémie se traduit par une figuration des enfants en tant que victimes de l’épidémie et dont l’abandon traduit une perte des « valeurs africaines traditionnelles ». Cette revue analytique de la presse révèle également un traitement ambivalent des enfants, ces derniers étant appréhendés en termes de « panique morale » (moral panic)106_{, leur statut} d’orphelin n’étant plus associé à une posture de victime, mais à celle d’une menace potentielle de l’ordre social. Dans ce tableau, une dernière figure – celle du « héros » sauveur des enfants – est mobilisée. Dans le contexte post-apartheid de l’Afrique du Sud, cette lecture de l’épidémie traduit selon les auteurs une « racialisation de la morale » où les héros assurant la prise en charge des enfants – généralement des « blancs » de classe moyenne – sont opposés aux communautés africaines présentées comme « abandonnant » les « orphelins », alors même que les familles assurent la prise en charge de la majorité des enfants affectés par le VIH, y compris celle des enfants orphelins (Meintjes & Bray, 2005).

B - L’internet : une nouvelle vitrine médiatique

La notoriété des enfants face au sida est alimentée par la révolution numérique des années 2000. Les nouvelles techniques de communications et d’information La technique de numérisation de la photographie, couplée au développement de l’internet ont décuplé les potentialités de production et de circulation d’images initialement diffusées dans la presse écrite, l’audiovisuel ou les expositions photographiques. Les sites internet constituent ainsi des « vitrines médiatiques » offrant un nouvel espace de visibilité aux images photographiques qui tiennent une place exponentielle dans l’information. De nombreux journaux de la presse écrite ont ainsi développé des sites internet qui proposent les articles de l’actualité en ligne, ainsi qu’un accès aux archives des articles passés. Mais la presse en ligne représente également une vitrine de choix pour la diffusion des images photographiques produites dans le cadre du

106 _{La notion anglo-saxonne « moral panic » qui n’a pas d’équivalent conceptuel en français est ainsi définie par S. Cohen (2002 [1972]):}

« Les sociétés semblent être sujettes, de temps à autre, à des périodes de panique morale. Une situation, un épisode, une personne ou des groupes de personnes se retrouvent définis comme une menace aux valeurs et aux intérêts sociétaux, leur nature étant présentée de façon “stylisée“ et stéréotypée par les médias ; les barricades morales sont défendues par les éditeurs, les évêques, les politiciens et d’autres individus bien-pensants ; des experts socialement accrédités établissent leur diagnostic et proposent leurs solutions ; des moyens de faire face sont évoqués ou (plus souvent) utilisés ; c’est alors que la situation disparaît, s’évanouit ou bien se détériore en devenant plus visible ».

CHAPITRE 4.L’ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D’UNE « VICTIME INNOCENTE »|137

photojournalisme107_{. Des photoreportages où apparaissent les « orphelins du sida » sont ainsi diffusés} dans des magazines en ligne comme le National Geographic [illustration 10] ou le TIME [illustrations 5 et 6 ci-dessus, p.134] ou encore sur les sites des médias audiovisuels comme la chaîne de télévision anglaise BBC News [illustration 11]. Les photographies alimentent aussi les sites personnels des photojournalistes [illustration 13,14 et 15, page suivante].

L

«

»

Illustration 10. Photoreportage, Nourishing the Next Generation, National Geographic, Septembre 2005

[Capture d’écran]. Source : http://ngm.nationalgeographic.com/ngm/0509/feature4/gallery2.html

Illustration 11. BBC News. Photo Journal : Zimbabwe AIDS orphans Photographie de Nic Bothma (2008)

[Capture écran] – Source : Source : http://www.bbc.co.uk/news/

107 _{Alors que l’invention de la photographie par Joseph Nicéphore Niépce remonte à 1826, les premiers photoreportages réalisés datent de}

la guerre de Crimée (1853-1856) et de la guerre américaine de Sécession (1861-1865). Le photojournalisme va se développer à partir des années 20 avec l’expansion de la presse écrite. Il connaîtra un « âge d’or » des années 1930 au années 1970 à travers notamment la couverture médiatique des guerres qui se traduira notamment par la création de la profession de reporteur de guerre.