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80 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Plan de thèse

80 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

A - L’Observation participante : un temps essentiel à la construction de la relation d’enquête

Entrée sur le terrain et élucidation des dimensions cachées : l’exemple de Bobo-Dioulasso

Pratique à la fois fondatrice et centrale du terrain en anthropologie63, l’observation participante est l’une des trois principales techniques utilisées dans le cadre de mon enquête de terrain. Une observation participante64 a été menée au sein d’associations de prise en charge d’enfants infectés ou affectés par le VIH et du service de pédiatrie de l’hôpital régional universitaire Sanon Souro.

Au sein des associations – après présentation de mon projet de recherche aux équipes dirigeantes et de prise en charge des enfants – j’ai « participé » à différentes activités dédiées aux enfants ou à leurs parents telles que des groupes de paroles ou des groupes d’observance à visée plus thérapeutique. Concernant les enfants, j’ai régulièrement joué, dessiné ou plus simplement « été présente » lors d’activités éducatives et ludiques auxquelles ils participaient les jeudis, jour de repos scolaire au Burkina Faso. J’ai également pris part à un certain nombre d’activités récréatives telles que des « sorties », des repas communautaires, des arbres de Noël ou de fêtes célébrant la fin du Ramadan ou la Tabaski65. En me permettant d’être témoin des interactions que les enfants vivant avec le VIH entretenaient avec leurs pairs ou les adultes, « l’imprégnation » qu’implique le terrain m’a permis de mieux comprendre l’organisation de la prise en charge des enfants et l’économie des relations intergénérationnelles. L’usage courant de l’acronyme « OEV » pour désigner les enfants, les nombreux discours sanitaires produits sur le sida devant les enfants ou encore l’organisation de groupes de paroles intégrant les enfants indépendamment de leur âge, de leur statut sérologique ou de leur connaissance de la maladie sont autant « d’observations » qui ont contribué à étayer la problématique de cette recherche et à en affiner le dispositif d’enquête.

Dans le service hospitalier pédiatrique de l’hôpital Sanon Souro, j’ai participé – après autorisation des parents – à des consultations organisées dans le cadre d’un hôpital de jour. J’ai également pris part aux réunions hebdomadaires de l’équipe d’un essai clinique thérapeutique mené au sein du service auprès de cinquante enfants66. Le suivi clinique et psychosocial régulier assuré au sein de l’essai m’a notamment permis d’avoir une perspective dynamique des déterminants sociaux et familiaux du suivi des enfants et d’initier une réflexion sur les problèmes de « nomadisme familial » (Hejoaka, 2009b, 20010)

63 Si l’enquête de terrain est communément associée au nom de Malinowski à travers son « terrain » trobriandais (1989 [1929]), ces travaux

marquent moins une « inauguration » de l’enquête de terrain que son institutionnalisation et sa reconnaissance en tant que norme professionnelle. Comme le souligne Copans (1999, pp. 9-20), l’histoire de l’enquête de terrain trouve ses origines dans les premiers écrits et recensements des missionnaires et hommes d’Église, les travaux de Gérando publiés en 1799, puis dans les travaux successifs de différents anthropologues. Lewis H. Morgan pratique dès 1840 une anthropologie de terrain au sein de réserves iroquoises, et à sa suite Frantz Boas chez les Inuits de la Terre de Baffin (1883) ou W.H.R. Rivers en Mélanésie (1898). Pour une analyse historique et critique de l’enquête de terrain, on pourra se reporter à L’enquête de terrain édité par Céfaï (2003), notamment les chapitres écrits par Urry, Stocking, Platt et Barnes.

64 Comme le rappelle Olivier de Sardan la notion « d’observation participante » est polysémique et fait l’objet de nombreux débats, mais « ce

qu’elle connote est relativement clair. Par un séjour au quotidien plus ou moins prolongé chez ceux auprès de qui il enquête […], l’anthropologue se frotte en chair et en os à la réalité qu’il entend étudier. Il peut ainsi l’observer, sinon de « l’intérieur » au sens strict, du moins au plus près de ceux qui la vivent, et en interaction permanente avec eux » (2008, p48).

65 Tabaski, c'est le nom donné à la fête de l'Aïd-el-Kébir en Afrique de l'Ouest.

66 Il s’agit de l’essai BURKINAME mené d’août 2005 à juin 2008. C’est un essai thérapeutique ouvert de phase II ayant pour objectif d’évaluer

une trithérapie associant lamivudine (3TC)/didanosine (ddI)/éfavirenz (EFV) en une seule prise par jour chez des enfants infectés par le VIH. Cet essai a été financé par l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales sous la référence ANRS 12103/12167.

CHAPITRE 2.ENQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES, ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES |81

Accessoirement, des espaces institutionnels tels que des conférences nationales et internationales67, des groupes de travail ou des réunions d’information portant sur la question des enfants et de l’infection à VIH ont également constitué des espaces privilégiés d’observation.

L’observation participante ne se résume pas à une démarche formelle et intentionnelle. L’anthropologue peut se retrouver « pris» dans des interactions offrant alors des espaces d’observation inattendus. Sachant que je « travaillais dans le sida », différentes personnes m’ont ainsi sollicitée afin que je « passe voir » des membres de leur famille ou des amis qui « n’allaient pas bien ». Les euphémismes utilisés pour décrire ces sollicitations sont révélateurs du malaise et de l’incapacité dans laquelle se trouvaient les personnes m’ayant sollicitée à convaincre leur proche d’aller se faire dépister ou d’accepter d’être pris en charge. Bien que ces sollicitations aient été d’ordre personnel et non professionnel – dans le sens où ce n’était pas ma compétence d’anthropologue, mais mon « capital social » et mon réseau d’interconnaissances dans le domaine du sida qui étaient sollicités – les situations auxquelles j’ai été confrontée ont constitué des situations fortuites d’observation participante. Différents événements tels que des hospitalisations, des problèmes d’observance ou encore des expériences difficiles d’annonce de leur maladie aux enfants m’ont donné accès à des situations thérapeutiques et sociales particulièrement « sensibles » impliquant de graves états morbides, des décès68 et des situations d’exclusion sociale. Ces expériences particulièrement « violentes » m’ont permis d’accéder à des dimensions de la maladie – comme la souffrance, les problèmes de gestion du traitement, le rapport à la mort – qui n’apparaissaient pas de façon patente dans les entretiens réalisés avec les parents et enfants rencontrés au sein des associations et des services hospitaliers.

L’observation participante a également favorisé l’élucidation de certaines dimensions cachées ou placées sous le sceau du non-dit concernant les enfants. En effet, au sein des associations autant que de l’hôpital, la question du vécu de la maladie et de la compréhension du sida par les enfants était « en suspens » dans le sens où elle demeurait largement impensée. Les adultes agissaient comme si les enfants n’étaient pas informés, et plus encore, comme s’ils n’étaient pas susceptibles de comprendre leur maladie ou les discours produits sur elle. Dans ce contexte, les observations et interactions régulières avec les enfants m’ont permis d’étayer un certain nombre d’hypothèses sur le rôle actif que jouent ces derniers dans leur maladie et la connaissance – voire la suspicion – qu’ils peuvent en avoir. Ainsi, bien que le sida n’ait quasiment jamais été formellement nommé, nombre des propos tenus par les enfants faisaient de facto référence à « la maladie ». Au cours de différentes interactions avec les enfants, j’ai pu leur demander l’heure qu’il était afin qu’ils rentrent chez eux pour prendre leur traitement. Alors que les enfants ne sont pas formellement informés de leur statut respectif, ce souci de respecter les heures de prise des traitements émergea également de façon collective à l’occasion d’une fête célébrée au sein d’une des associations. À l’heure de l’appel de la prière marquant le coucher du soleil, un groupe d’une dizaine d’enfants – dont seuls trois d’entre eux étaient sous traitement – vint me trouver. L’un d’entre eux se fit en quelque sorte le porte-parole du groupe et il me dit alors : « On doit rentrer, car Sophie, Corinne

67 J’ai notamment été membre du comité scientifique de la conférence internationale sur le VIH/sida de Mexico en 2008. J’ai

également participé aux conférences internationales sur le VIH/sida de Durban en 2000, de Barcelone en 2002, de Bangkok en 2004, de Toronto en 2006, de Mexico en 2008 et de Vienne en 2010. J’ai enfin pris part à la conférence francophone sur le VIH/sida de Bruxelles en 2005 et de Paris en 2007.

68 Au cours de mes deux années de terrain, j’ai été « témoin » du décès de trois enfants– dont un des enfants interviewés –ainsi que de

quatre adultes.

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