• Aucun résultat trouvé

120 | C HAPITRE 3 LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D ’ UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

120 | C HAPITRE 3 LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D ’ UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA

sub-sahariens92 particulièrement touchés par l’épidémie, prévoit qu’en 2000, il y aura entre 3,1 et 5,5 millions d’enfants orphelins en raison du sida. (Preble, 1990a). De nombreuses études d’évaluation de la nature et de l’ampleur du phénomène des « orphelins » vont faire suite à ces deux études pionnières. Elles vont contribuer à éveiller l’attention des gouvernements, des agences internationales et plus largement de l’opinion publique internationale sur le sujet.

Des rencontres et groupes de travail visant à favoriser le partage d’expériences et le renforcement des capacités sont alors organisés. En 1991, une des premières rencontres consacrées aux « orphelins du sida » impliquant des représentants internationaux et africains est organisée par l’UNICEF à Florence, au sein du Centre de Recherche Innocenti de l’agence onusienne. À cette époque, le gouvernement américain s’engage également dans la réponse internationale apportée à la crise des « orphelins du sida », à travers la création de la AIDS Orphans Task Force qui réunit les autorités politiques américaines, des ONG nationales et internationales, le Displaced Children and Orphans Fund (DCOF) et la Banque mondiale. En 1992, les États-Unis débloquent les premiers financements ciblant les enfants, essentiellement destinés aux pays anglophones d’Afrique centrale et australe. Cette même année, la première conférence nationale sur la question des orphelins est organisée à Kampala en Ouganda, tandis que le Malawi met en place la première politique nationale ciblant les « orphelins du sida ». En 1994, la Déclaration de Lusaka promouvant le soutien des enfants et des familles affectés par le VIH/SIDA est adoptée à l’occasion d’un atelier sous-régional organisé en Zambie. Les recommandations concernent le nécessiter d’évaluer l’ampleur du problème, le contexte des soins institutionnels et la nécessité d’apporter un soutien matériel et financier aux familles affectées. Dans le même temps, d’un point de vue interventionnel, les premiers programmes ciblant les « orphelins du sida » sont mis en place par des associations communautaires, souvent créées ad hoc, ou des associations de solidarité internationale intervenant traditionnellement dans le domaine de l’enfance comme Save the Children, World Vision ou Plan International. Mais alors que ces structures jouent un rôle central dans la réponse collective apportée à l’impact de l’épidémie sur les enfants, leur rôle et leurs activités– en termes de volume et de contenu – est peu étudié et peu évalué d’un point de vue scientifique.

D’un point de vue médical, les années 1989 à1994 sont celles de la compréhension de l’histoire naturelle du VIH chez l’enfant. Les premières estimations comparées des taux de transmission de la mère à l’enfant sont produites par le Ghent International Working Group, collectif scientifique rassemblant seize équipes travaillant sur la transmission de la mère à l’enfant créé en 1991-1992. En l’absence de traitement prophylactique, les taux de transmission sont alors estimés entre 25 % et 35 % chez les femmes allaitant leur enfant. En 1991, les premiers essais cliniques concernant la transmission de la mère à l’enfant sont initiés. Trois ans plus tard, les résultats d’un essai franco-américain montrent que l’usage prophylactique de l’AZT – premier médicament antirétroviral utilisé dans le traitement de l’infection à VIH – permet de diminuer les taux de transmission de 2/393. Cette avancée thérapeutique majeure, rapidement mise en œuvre dans les pays du Nord, va permettre d’y contrôler l’épidémie à partir du milieu des années 1990. Dans les pays du Sud, l’occasion de contrôler l’épidémie de sida chez les enfants ne sera pas saisie, faute de volonté politique des décideurs nationaux autant qu’internationaux. Pourtant, dès 1995, les résultats des premiers essais de PTME réalisés en Afrique sub-saharienne démontrent l’efficacité

92 Il s’agit de l’Afrique centrale et de l’Est, Burundi, Congo, Kenya, Malawi, Rwanda, Tanzanie, Ouganda, Zaïre et Zambie. 93 Il s’agit de l’essai clinique "ACTG 076/ ANRS 024".

CHAPITRE 3. LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D’UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA |121

de l’AZT dans le cadre d’un régime court (Msellati, 2005). Les programmes nationaux de PTME ne seront mis en œuvre qu’à partir du milieu des années 2000, dans le cadre du « passage à l’échelle » de l’accès aux traitements antirétroviraux (Msellati, 2009).

À cette époque, dans les pays du Sud, le sida pédiatrique est cette « épidémie invisible » dont Desclaux a proposé une analyse des déterminants culturels, sociaux et politiques dans le contexte de Bobo-Dioulasso (Desclaux, 1997). Au-delà du déni et du silence qui caractérisent alors la réponse des États africains à l’épidémie (voir par exemple Dozon & Fassin, 1989; Eboko, 2005; Fassin & Dozon, 1988) et de la priorité donnée à la prévention dans les politiques internationales sur la prise en charge des malades, la prise en charge des enfants pose en effet des problèmes spécifiques. Le sida n’est généralement pas perçu comme une maladie concernant les enfants, notamment parce que la transmission de la mère à l’enfant est rarement évoquée dans les messages de prévention. Autre problème, le dépistage n’étant pas techniquement et financièrement accessible à une large échelle, les femmes sont peu dépistées durant la grossesse. Le diagnostic des enfants, qui est établi à partir des signes cliniques, se révèle alors difficile à poser en raison du manque de spécificité des symptômes. Dans un contexte de malnutrition endémique, l’amaigrissement, les diarrhées ou les infections récidivantes sont des tableaux cliniques courants. Enfin, face à la suspicion de la maladie chez un enfant, les médecins se montrent réticents à réaliser un test de dépistage. L’annonce du diagnostic de l’enfant est souvent le révélateur de la maladie des parents et peut occasionner l’accusation ou le rejet au sein du couple (Desclaux, 1997). Ainsi, au début des années 1990, à l’instar de ce qui se passait en matière de prise en charge des adultes, les initiatives pionnières menées concernant les enfants vivant avec le VIH émanent de médecins engagés, travaillant en partenariat avec des acteurs associatifs et les personnes vivant avec le VIH (Elenga, et al., 2006).

C - 1995-2001 . Institutionnalisation et internationalisation de la lutte contre le sida La troisième période, de 1995 à 2001, marque l’institutionnalisation et l’internationalisation de la mobilisation concernant les enfants. Toutefois, la réponse apportée concerne essentiellement la composante sociale de l’impact de l’épidémie sur les enfants à travers le développement de programmes nationaux et de programmes de prise en charge des « orphelins et enfants vulnérables ». Les enfants vivant avec le VIH demeurent socialement et politiquement invisibles.

À partir de 1995, la mobilisation concernant les enfants va bénéficier de la coordination internationale de l’action des principales institutions des Nations Unies œuvrant contre le VIH/sida à travers la création du Programme des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA ou UNAIDS en anglais)94. Jusque-là, les politiques internationales de lutte contre le VIH/sida étaient

mises en œuvre par le Global Program on AIDS (GPA) qui était placé sous la tutelle de l’OMS. Au niveau international, l’impact de l’épidémie sur les « orphelins » bénéficie d’une visibilité croissante. Le thème de la journée mondiale de lutte contre le sida – « Children living in a World With AIDS » – du 1er décembre 1997 est ainsi consacré aux enfants. Par ailleurs, à partir de

1997, les estimations nationales du nombre d’orphelins vont faire l’objet de publications institutionnelles placées sous l’égide de l’USAID, l’UNICEF et l’ONUSIDA, marquant l’implication croissante de ces instances sur la question. Entre 1997 et 2004, quatre rapports sont publiés

94 L’ONUSIDA est un programme des Nations Unies incluant l'UNICEF, le PNUD, le FNUAP, le PNUCID, l'UNESCO, l'OMS et la

Banque mondiale

Outline

Documents relatifs