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II LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LES AMBIVALENCES DE LA FABRIQUE D’UNE CATÉGORIE

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

II LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LES AMBIVALENCES DE LA FABRIQUE D’UNE CATÉGORIE

Comme on vient de le voir, les « politiques de l’enfance au temps » du sida se sont principalement construites autour de la question des « orphelins du sida », puis des « orphelins et enfants vulnérables ». Dans la suite de l’analyse, on va plus particulièrement s’intéresser à la fabrique sociale et politique de ces catégories, en mettant en lumière les ambivalences qui les sous-tendent. On verra que les nombreuses recompositions dont elles font l’objet révèlent les enjeux politiques et de pouvoir au sein de la lutte contre le sida, mais également concernant l’enfance, en tant qu’objet de politiques internationales. La définition et la catégorisation des enfants conditionnent en effet les critères permettant de cibler les enfants bénéficiaires de l’aide. Dans le contexte des pays sub-sahariens où la pauvreté est généralisée et où la protection sociale est inexistante, les indicateurs programmatiques que sont ces catégories cristallisent d’importants enjeux sociaux et politiques.

97 Coalition for Children Affected by AIDS. Lien : http://www.ccaba.org/

98 Symposium “Children and HIV/AIDS. Action Now, Action How”. 1-2 august 2008. Mexico. Lien : http://www.teresagroup.ca/mexico/ 99 À titre de comparaison, 55 % des fonds furent consacrés au traitement, 15 % aux soins palliatifs et 33 % à la prévention à travers la

promotion de l’abstinence.

CHAPITRE 3. LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D’UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA |125

A - Les « orphelins du sida » : une catégorie critiquée

Si comme nous l’avons vu précédemment, l’émergence de la question des enfants s’est opérée à travers la crise des « orphelins du sida », les implications politiques et sociales des usages faits de cette catégorie ont rapidement suscité de nombreuses critiques.

Un premier type de critiques est d’ordre méthodologique et concerne la diversité des définitions de ce qu’est un « orphelin ». Les définitions utilisées pour produire les statistiques varient en effet d’un pays à un autre, mais également d’une institution à une autre, suivant les variables retenues. Ainsi, tandis que certaines études limitaient les données aux enfants de moins de quinze ans, d’autres intégraient les enfants jusqu’à l’âge de dix-huit ans. L’âge de quinze ans est une référence médicale largement utilisée dans les enquêtes démographiques et de santé qui servent de source d’information à l’élaboration des estimations statistiques. De même, les définitions variaient suivant que l’on considère qu’un enfant était devenu orphelin à la suite du décès de son père, de sa mère ou de ses deux parents. Les premières estimations du nombre d’orphelins étaient ainsi basées sur les enfants dont la mère était décédée, ceux ayant perdu leur père n’étant pas inclus dans les statistiques. La diversité des définitions retenues rendait difficile la comparaison des données dans le temps autant que d’un point de vue géographique. Cela a conduit à une controverse statistique, certains chiffres ayant conduit à des analyses alarmistes, extrapolant la réalité comme dans le cas des enfants « chefs de famille ». Ceux-ci ont souvent été mis en exergue au début de l’épidémie pour illustrer la gravité et l’ampleur de la « crise des orphelins du sida ». Or, des études ultérieures ont montré que seule une minorité d’enfants était concernée et que dans la plupart des cas, ces enfants « chefs de famille » continuaient d’entretenir des relations avec certains membres de leur entourage familial (Richter & Desmond, 2008).

La prise en compte de ces critiques s’est traduite par l’évolution de la définition d’un enfant « orphelin ». En 2002, dans le rapport Children on the Brink 2002, un « orphelin » était défini comme étant « un enfant de moins de 15 ans ayant perdu sa mère, son père, ou ses deux parents des suites du sida » (UNAIDS, et al., 2002, p. 5). En 2004, la définition retenue dans le rapport Children on the Brink 2004 (UNAIDS, et al., 2004, p. 7) évolue une nouvelle fois, afin d’intégrer les enfants âgés de 15 ans à 18 ans. Les statistiques ainsi modifiées correspondent à la définition internationale de l’enfance prescrite par la Convention internationale des droits de l’enfant (UNICEF, 1989) qui définit un enfant comme « toute personne âgée de moins de 18 ans ». Cette modification permet de tenir compte d’une frange importante du nombre d’enfants affectés par l’épidémie, statistiquement invisible jusque-là. Or comme l’indiquent les données, les adolescents âgés de 12 à 17 ans représentent 55 % du nombre total d’orphelins.

La seconde type de critiques concerne les statistiques produites sur les « orphelins du sida » concerne la focalisation des programmes et des politiques nationales autour de cette seule catégorie d’enfants. Cela pose différents types de problèmes. Dans un contexte social où le sida demeure particulièrement stigmatisé, le ciblage d’enfants dont les parents sont décédés des suites du sida peut susciter des discriminations voir le rejet de l’enfant. D’autre part, la focalisation sur les « orphelins du sida » a souvent généré une vision tronquée de la réalité des situations familiales vécues par les enfants, les « orphelins » étant souvent présentés comme des enfants « abandonnés », « sans famille » alors même que la majorité d’entre eux continuaient de vivre au sein de leur famille. Cette sélectivité peut également venir alimenter des rivalités entre les familles ayant notamment accès à une aide alimentaire ou scolaire et celles qui en sont exclues, mais également au sein d’une même famille entre les enfants qui ne peuvent être scolarisés et ceux qui le sont en raison d’aides au paiement des frais scolaires. En se focalisant sur les

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