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82 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Plan de thèse

82 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

et Zakaria doivent prendre leurs médicaments ». Un enfant âgé de neuf ans de passage à l’association au lieu d’être à l’école me déclara également un jour: « Je suis parti à l’hôpital et le docteur a regardé mes CD4 ! » Autre exemple enfin, alors que j’assistais à une discussion où les enfants évoquaient ce qu’ils souhaitaient faire à l’âge adulte, l’un d’entre eux déclara : « Moi, je ne vais pas grandir ! ». Contre toute attente, cet enfant de huit ans qui n’était pas formellement informé de sa maladie suspectait qu’il avait le sida. Je ne compris qu’a posteriori – lorsque sa mère m’a confié qu’elle l’avait informé et qu’il soupçonnait sa maladie – la référence euphémique à la mort qu’il avait faite ce jour-là.

La négociation de l’accès aux enfants : un travail laborieux

L’observation participante implique la construction d’une relation d’enquête qui pose la question de l’accès aux enquêtés, en l’occurrence les parents et les enfants vivant avec le VIH. L’accès aux « enquêtés » ne constitue pas une simple formalité et peut se révéler problématique. Chaque individu s’inscrit dans une organisation sociale – déterminée par des rapports sociaux d’âge et de genre autant que par le statut social – venant conditionner la prise de contact et l’instauration de la relation d’enquête. Par ailleurs, dans le contexte de l’épidémie du sida, l’accès aux personnes vivant avec le VIH ne peut pas se faire par sollicitation directe, en raison d’une part de leur invisibilité sociale et d’autre part, de la culture de la confidentialité prévalant dans le champ de la lutte contre le sida69. L’identification et la mise en relation se font ainsi par l’intermédiaire de soignants et conseillers formellement informés du statut des personnes vivant avec le VIH, dans le cadre de leur activité professionnelle.

À la différence des parents, l’identification des enfants a été problématique en raison de la « contingence informationnelle » qui entoure l’annonce aux enfants. Alors qu’il était essentiel que je sache ce que les enfants connaissaient effectivement de leur maladie – l’annonce a-t-elle été faite, et dans l’affirmatif, qu’est-ce qui a été dit à l’enfant – une telle information n’était pas systématiquement disponible au niveau des structures associatives autant qu’hospitalières. En effet, au moment de l’initiation de cette recherche en 2005, l’annonce de la maladie aux enfants se caractérisait par une situation « d’annonce artisanale » dans le sens où un processus institutionnalisé d’annonce était inexistant. De facto, lorsqu’elle était réalisée, l’annonce était généralement faite par les parents70 en raison du défaut de pratiques standardisées et encadrées par des professionnels formés à cet effet. Dans ce contexte « d’annonce artisanale », l’identification des enfants a été un processus chronophage et laborieux au sein duquel les conseillers ont joué un rôle essentiel dans l’identification et la mise en relation avec les parents. Interlocuteurs privilégiés des parents d’enfants vivant avec le VIH, les conseillers d’associations avaient en effet connaissance d’un certain nombre de situations où les enfants avaient été informés de leur maladie. Les conseillers sont en effet au cœur du secret de la maladie à travers le travail de conseil pré et post-test qu’ils réalisent et de l’accompagnement qu’ils assurent en termes d’accès aux soins ou d’accès aux

69 Si dans les premiers temps de l’épidémie, la confidentialité du statut sérologique des personnes vivant avec le VIH était problématique en

raison de la dissimulation de leur statut aux personnes infectées et à l’information de tiers à l’insu de ces derniers (Desclaux & Raynaut, 1997; Vidal, 1994a), une « culture de la confidentialité » s’est progressivement instaurée dans les domaines du dépistage et de la prise en charge médicale autant que psychosociale.

70 La question de l’annonce de la maladie à l’enfant fait l’objet d’analyses approfondies d’un point de vue politique et institutionnel au

chapitre III. Les formes et l’expérience de l’annonce par les enfants sont abordées dans la troisième partie du présent travail portant sur « Le mouvement de l’annonce ».

CHAPITRE 2.ENQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES, ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES |83

ressources alimentaires et financières distribuées dans le cadre de programmes associatifs71. Toutefois, ces informations sur l’annonce de la maladie aux enfants n’étant pas systématiques et relevant dans un certain nombre de cas de la supposition – souvent exprimée à travers l’a priori selon lequel « cet enfant-là doit savoir » – j’ai dû m’attacher à vérifier systématiquement auprès des parents si l’enfant était effectivement informé. Cette configuration « d’annonce artisanale » s’est révélée finalement particulièrement heuristique, les nombreuses approximations et ambiguïtés entourant la révélation de la maladie aux enfants ayant contribué à alimenter une analyse critique du dit et du non-dit de la maladie aux enfants dont la partie 3 de cette thèse fait l’objet.

Au-delà de l’identification, la construction de la relation d’enquête pose également la question de l’accès effectif aux enfants. D’un point de vue juridique, les enfants étant des mineurs, leur participation à la recherche est conditionnée par l’aval des adultes qui assurent une fonction de « gardien » (gatekeepers) de l’accès aux enfants. Dans le cadre de ma recherche, l’accès effectif aux enfants vivant avec le VIH n’a pas posé de problèmes particuliers. Dans un contexte « d’annonce artisanale » où le conseil et le soutien psychosocial restaient embryonnaires, « l’intérêt » que je portais aux enfants était généralement perçu favorablement par les parents. Les entretiens offraient un espace de parole permettant aux parents de parler, souvent pour la première fois, de certains problèmes auxquels ils étaient confrontés comme l’annonce aux enfants ou le poids du secret dans la gestion des traitements.

Toutefois, dans certaines situations, l’accès aux enfants peut se révéler difficile, voire impossible. Les parents et tuteurs ne sont pas les seuls adultes à « contrôler » l’accès aux enfants. En effet, des adultes disposant d’un pouvoir statutaire plus ou moins formel vis-à-vis des enfants peuvent potentiellement en conditionner l’accès. Lorsque l’enquête s’inscrit dans le cadre d’institutions telles qu’un hôpital, une association ou une école, soignants, acteurs associatifs, instituteurs ou éducateurs peuvent en effet exercer ce rôle de « gardien ». En agissant de concert ou en adoptant au contraire des points de vue divergents, les parents, soignants et acteurs associatifs peuvent restreindre voir interdire l’accès aux enfants. Différents cas de figure peuvent se produire. Les parents peuvent par exemple être en désaccord avec les professionnels et refuser de participer à l’enquête, souvent pour des questions personnelles de confidentialité. Au sein d’un couple ou d’une famille, les différentes personnes ayant la responsabilité de l’enfant peuvent également être en désaccord sur sa participation à la recherche. Par ailleurs, si l’autorité parentale prévaut sur celle d’un soignant ou d’un instituteur, les situations d’enquête font que le chercheur se retrouve de prime abord en contact avec des adultes autre que les parents. Certains professionnels peuvent ainsi ne pas accepter les objectifs de la recherche et contrarier plus ou moins volontairement l’accès aux enfants, par exemple en ne sollicitant pas leurs parents. Les professionnels peuvent également avoir un point de vue divergeant quant à la participation des enfants à une recherche. Leur accès est alors conditionné par l’interlocuteur face auquel l’anthropologue se retrouve.

Rester adulte ou « jouer à l’enfant » : pluralité des rôles dans l’enquête avec les enfants

Dans l’observation participante, la posture épistémologique adoptée par l’anthropologue est une question centrale, résultant toujours d’une tension entre engagement et distanciation vis-à-vis du terrain

71 Parmi les soignants, seuls les médecins prescripteurs avaient également connaissance de cas où les enfants étaient informés de leur

maladie. Toutefois, la consultation hospitalière étant essentiellement un espace réservé à l’examen clinique et aux prescriptions, la question de l’annonce et de l’information des enfants ne constituait pas une question prioritaire au moment de l’initiation de cette recherche. Concernant l’annonce de la maladie aux enfants, les parents se sont plus généralement confiés aux conseillers qu’aux médecins avec lesquelles la relation thérapeutique est essentiellement focalisée sur les traitements antirétroviraux.

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