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128 | C HAPITRE 3 LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D ’ UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

128 | C HAPITRE 3 LES « ORPHELINS ET ENFANTS VULNÉRABLES » : LA FABRIQUE D ’ UNE CATÉGORIE AMBIGUË AU TEMPS DU SIDA

entérine le consensus qui émerge de la communauté scientifique et humanitaire, sur la nécessité de revoir l’utilisation du terme « orphelin ».

En second lieu, l’usage programmatique de la catégorie des « orphelins et enfants vulnérables » pose la question de la définition de la « vulnérabilité ». Certains enfants dont les parents sont malades peuvent connaître d’importants problèmes économiques ou psychologiques. Par ailleurs, dans le contexte de pauvreté généralisée qui caractérise la situation socio-économique de nombreux pays africains, la question de l’accès aux soins, à la scolarité ou à l’alimentation se pose à une large part de la population. Justifier et appliquer des critères d’inclusion établis en fonction de la « vulnérabilité » attribuée aux enfants se révèle problématique. La détermination des « niveaux » de vulnérabilité est révélatrice de la tension inconciliable qui existe entre le fait de savoir si la réponse à apporter à l’impact de l’épidémie sur les enfants relève de l’aide internationale – voire humanitaire –ou de programmes de développement. Dans le premier cas, la réponse est apportée dans le cadre de programmes d’interventions verticaux, ciblant spécifiquement les enfants infectés et affectés. Dans le second cas, par sa dimension holiste, la mise en œuvre de programmes de développement suppose d’implémenter des politiques de protection sociale ou de santé ciblant les enfants en population générale, tout en tenant compte de la « vulnérabilité » spécifique de chacun. (de Waal, 2008). D’une façon plus générale, cette tension pose la question de la protection sociale dans les pays sub-saharien. Or à l’exception de pays comme l’Afrique du Sud, qui dispose d’un système de redistribution sociale à travers le Child Support Grant, ou le Botswana avec la distribution de « paniers alimentaires (food basket), la majorité des pays africains sont économiquement trop pauvres pour mettre en place de tels systèmes.

C - La passion des « orphelins du sida »

Pour conclure ma réflexion sur la fabrique des « catégories » de l’enfance au temps du sida, je voudrais mettre en lumière les constructions symboliques qui sous-tendent la catégorie des « orphelins du sida ». Loin de se limiter à une catégorie de l’action publique, les « orphelins du sida » sont devenus une figure de l’enfance contemporaine, suscitant passion et émotion – au niveau local comme au niveau international – à l’instar des « enfants soldats », des « enfants des rues » ou des « enfants sorciers ». La catégorie des « orphelins du sida » bénéficie d’une certaine façon d’une « seconde vie » à travers notamment la mythologie, au sens barthien102 du terme, dont elle fait l’objet. Dans le contexte sud- africain, Meintjes et Giese ont mis en évidence la prégnance de la figure des « orphelins du sida » à travers laquelle est pensée la question des enfants dans le contexte de l’épidémie du sida. (2006, p. 407)». Dans les médias et dans l’opinion publique internationale, les « orphelins du sida » sont devenus une figure iconique de la vulnérabilité de l’enfance contemporaine. suscitant ce que l’on peut appeler pour reprendre l’expression de Gavarini « une passion des orphelins du sida » (2001, p. 20) 103. Ils incarnent une

102 Dans l’ouvrage Mythologies (1970 [1957]), Barthes propose une analyse sémiologique de différentes mythes prévalant en France dans

les années 1950 tels que le catch, l’iconographie de l’abbé Pierre, le vin et le lait, les martiens, la DS de Citroën ou encore l’astrologie. Définissant « Le mythe est une parole » et que « le mythe est un système de communication, c'est un message ».

103 Dans La passion des enfants, Gavarini analyse dans le contexte des pays occidentaux, la « passion » que suscitent à l’heure

actuelle les enfants, « passion » qui traduit un nouveau rapport des adultes aux enfants. Elle souligne ainsi : « La passion de l’enfant peut être entendue comme un affect conduisant parfois à l’excès d’idéalisation de sa progéniture, excès de narcissisme. […] La passion peut également être associée à l’abus, à la malveillance ou à la haine dont les enfants sont les victimes lorsqu’ils sont l’objet de jouissance sadique ou perverse des adultes. Cette passion nous emporte alors vers un autre sens, celui du christianisme,

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figure de l’enfance cristallisant un imaginaire ambivalent, où ils apparaissent d’une part comme des « victimes innocentes » de l’épidémie, et d’autre part comme une menace potentielle de l’ordre social et public. La référence à la « passion » est d’autant plus pertinente, que la notion est polysémique. Elle renvoie à l’émotion et l’affectif, mais également à la souffrance subie, dont la figure emblématique judéo- chrétienne est la Passion du Christ.

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Depuis la découverte des premiers cas de sida pédiatrique en 1982 et l’émergence de la « crise des orphelins du sida », d’importantes avancées ont été faites en termes de politiques internationales et d’interventions locales. Il n’en demeure pas moins que la question des enfants reste un sujet politique secondaire dans la réponse globale apportée à l’épidémie. Alors que l’épidémie de sida est communément caractérisée « d’épidémie politique » (Pinell, 2002) en raison de l’activisme qui a marqué la réponse apportée à l’épidémie au Nord puis au Sud, on peut légitimement se demander si l’épidémie chez les enfants n’est pas une « épidémie apolitique ». À la différence des adultes, les enfants n’ont pas constitué un objet de plaidoyer porté par les activistes. Il est vrai qu’au début de l’épidémie dans les pays du Nord, la politisation de la réponse s’est construite à travers la mobilisation de la « communauté gay » pour laquelle la question de l’enfance n’était pas une thématique prioritaire. Par ailleurs, la question des enfants était essentiellement pensée à travers le prisme des femmes, qui ont-elles-mêmes longtemps été politiquent et socialement invisibles. La sous-représentation des femmes au sein des associations en offre une illustration. Comme l’évoquent Pinell, Thiaudière, et Busscher, en dépit de son projet fondateur ciblant les « malades » en général et pas seulement ceux issus de la communauté gay, l’association AIDES peinera à développer des interventions ciblant d’autres groupes comme les « toxicomanes, les immigrés, les femmes (surtout les mères séropositives et leurs enfants ». En réponse à cette situation, deux associations ciblant les enfants infectés et leurs mères, SOLENSI et Dessine-moi un mouton, seront créées en 1990 (2002, pp. 131-133). L’intérêt et les débats suscités autour de la PTME dans les années 1990 ne doit pas laisser croire qu’elle a été une question politique.

D’un point de vue opérationnel, les résultats de l’action publique mise en œuvre concernant les enfants restent mitigés. Si la prise en charge des enfants infectés et des orphelins est aujourd’hui une réalité, elle présente d’importantes lacunes venant conditionner les conditions de l’expérience de la maladie par les enfants. Les programmes de PTME montrent un échec relatif, une large part des femmes enceintes n’y ayant pas un accès effectif. Concernant le traitement des enfants, le dépistage précoce peine à être généralisé, tandis que comparativement aux adultes, moins de 12 % des enfants ayant besoin d’un traitement antirétroviral y avait accès (WHO, et al., 2010). Par ailleurs, si certains pays d’Afrique australe mènent des programmes précurseurs en termes de protection sociale à travers le développement de transferts d’argent (cash transfert, l’aide sociale bénéficie à un nombre limité d’enfants dans des pays comme le Burkina Faso ou moins de 7 % des « orphelins et enfants vulnérables » ont bénéficié d’un soutien social en 2009 (UNAIDS, 2010).

sacrificiel, qu’inspirent les enfants martyres et qu’a illustré le phénomène des " marches blanches " en Belgique en 1996, après " l’affaire Dutroux"» (2001, p20).

CHAPITRE 4

L’ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA

ICONOGRAPHIE D’UNE « VICTIME INNOCENTE »

e rapport annuel édité par l’ONUSIDA en 2010 s’ouvre sur la photographie d’une enfant nigériane âgée de onze ans. Celle-ci s’adresse à une assemblée de leaders politiques internationaux réunis au siège des Nations Unies à New York, à l’occasion d’une rencontre internationale concernant les objectifs du millenium 2015 [illustration 4, ci-dessous]. Cette photographie introduit l’avant-propos du directeur général de l’ONUSIDA qui commence ainsi :

Aucun enfant ne devrait naître séropositif au VIH ; aucun enfant ne devrait se retrouver orphelin à cause du VIH ; aucun enfant ne devrait mourir parce qu’il ne peut pas avoir accès au traitement. » Voilà l’appel qu’a adressé Ebube Sylvia Taylor, 11 ans, née séronégative, aux leaders mondiaux rassemblés à New York pour discuter des progrès accomplis sur la voie de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement à l’horizon 2015 (UNAIDS, 2010).

Illustration 4. Photo d’Ebube Sylvia Taylor Rapport ONUSIDA 2010 Source : (UNAIDS 2010)

La photographie de cette jeune nigériane mise en exergue du rapport de l’ONUSIDA offre un exemple emblématique de la figure iconique qu’incarnent les enfants dans le contexte de l’épidémie de

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