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164 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

164 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

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Illustration 68. Dr Barnardo’s Homes – Royaume-Uni – The friends of destitute children.

[Capture écran] – Source : http://www.barnardos.org.uk

Le troisième point concerne les usages politiques et moraux de l’image des enfants dans le contexte de l’action humanitaire. Le « tournant humanitaire » des années 1970 qui a donné lieu à une nouvelle configuration du paysage international de l’action humanitaire et de l’aide internationale est en effet étroitement lié à la médiatisation des crises et conflits, contribuant à un glissement vers leur traitement compassionnel. L’image des enfants joue un rôle central dans cette iconographie humanitaire. Les images d’enfants liées aux famines qui ont eu lieu dans les années 1980 en Éthiopie et au Soudan en offrent des exemples paroxystiques116. Ces « images de la souffrance » utilisées dans le contexte humanitaire cristallisent une tension entre d’une part l’image « témoignage » visant à informer de la « réalité » de la souffrance, et d’autre part à une image « spectacle » qui renvoie à ce que Bolstanki appelle la « souffrance à distance» (1993). Mais, comme le déclare Manzo (2008) dans l’analyse de l’iconographie humanitaire, en dépit de codes de conduite et de chartres encadrant notamment l’utilisation de l’image117, les photos d’enfants continuent de jouer un rôle central dans leur communication institutionnelle. L’image des

116 Pour une analyse critique des « images de la famine » voir David Campbell (Campbell, 2003). On pourra également consulter le

site Imagining Famine à l’adresse suivante : http://www.imaging-famine.org/.

117 L’article 10 du code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les ONGs lors

des opérations de secours en cas de catastrophes de la Croix Rouge Internationale indique ainsi : « Dans nos activités d'information, de promotion et de publicité, nous présenterons les victimes de catastrophes comme des êtres humains dignes de respect, et non comme des objets de commisération […] Dans nos campagnes d'information du public, nous donnerons une image objective de la catastrophe en mettant en valeur, non seulement les vulnérabilités et les craintes des victimes, mais encore leurs capacités et leurs aspirations. Tout en coopérant avec les médias afin de sensibiliser au mieux le public, nous ne permettrons pas que des demandes externes ou internes de publicité prennent le pas sur l'objectif de développer au maximum les secours. Nous éviterons toute compétition avec d'autres organisations de secours pour gagner l'attention des médias au cas où cette publicité risquerait de porter atteinte aux services fournis aux bénéficiaires, à la sécurité de notre personnel ou à celle des bénéficiaires »

CHAPITRE 4.L’ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D’UNE « VICTIME INNOCENTE »|165

enfants est notamment utilisée dans le cadre d’appels aux dons, même si ceux-ci ne sont pas spécifiques aux enfants.

Les usages qui sont faits de la photo d’enfants dans le contexte humanitaire viennent éclairer la figure singulière que représentent les « orphelins du sida », figure contemporaine qui se prête particulièrement à l'hypermédiatisation. La réflexion menée par Brauman & Backmann concernant les rapports ambigus existant entre le monde de l’humanitaire et les médias (1996) montrent ainsi que toutes les crises et les souffrances ne sont pas équivalentes et quatre conditions – nécessaires, mais non suffisantes – doivent être réunies pour qu’une crise sanitaire ou une catastrophe soit reconnue comme un événement international. La première de ces conditions implique qu’il y ait un «robinet à images» assurant une diffusion régulière d’images. La deuxième condition concerne la « non-concurrence » des causes, deux crises ou deux catastrophes ne pouvant être médiatisées en même temps. La troisième condition est relative à « l’innocence de la victime », toutes n’étant pas considérées de la même façon. Ainsi, la médiatisation et la réponse aux appels aux dons des interventions humanitaires dans le cas du tremblement de terre de Bam en Iran en 2003 et dans les des inondations de 2010 au Pakistan ont été problématiques, un soupçon pesant sur les « victimes » en raison de leur association présupposée avec les mouvements terroristes islamiques. Dans cette concurrence des souffrances, les enfants sont des « victimes idéales » dont l’innocence n’est pas mise en doute. Enfin, la dernière condition est celle de la « médiation ». La présence d’un acteur tel qu’un « humanitaire », un volontaire ou une personnalité est nécessaire afin de légitimer la réalité de la catastrophe à travers son témoignage ou son engagement, mais également pour faire le lien entre la « victime » et le spectateur (Brauman & Backmann, 1996).

Les usages de la photo des enfants dans le contexte de l’épidémie du sida nous invitent enfin à nous interroger sur une représentation néo-coloniale d’une Afrique sous-développée. En effet, face à la souffrance dévoilée par les images, Sontag rappelle dans « Devant la douleur des autres » (2003) que tous les corps souffrants ne sont pas exposés de la même manière à l’objectif de la photographie. Les corps souffrants, ensanglantés par la guerre ou rongés par la maladie sont généralement les corps de personnes asiatiques ou africaines. Elle écrit ainsi :

En général, c’est d’Asie ou d’Afrique que proviennent les corps grièvement blessés des photographies de magazines. Cette pratique journalistique est l’héritage d’une tradition vieille de plusieurs siècles : celles de présenter des êtres humains exotiques – c’est-à-dire des colonisés. Entre le XVIe siècle et le début du XXe siècle, les Africains et les habitants de lointaines contrées asiatiques furent exhibés tels les animaux d’un zoo à l’occasion d’expositions ethnologiques à Londres, à Paris, et dans d’autres capitales européennes. […] L’exhibition photographique des cruautés infligées aux autochtones basanés des pays exotiques perpétue cette offre, aveugle aux considérations qui interdisent l’étalage de la violence faite à nos propres victimes ; car l’autre, même lorsqu’il n’est pas un ennemi, est toujours perçu comme quelqu’un à voir, et non comme quelqu’un qui (à notre exemple) voit aussi. (2003, p 81).

Ces représentations de l’Afrique en termes de « vulnérabilité et de victimisation » puisent leurs racines dans les représentations «colonialistes » d’une Afrique figurée à travers la pauvreté, la famine. Comme l’analysent Bleiker et Kay, les représentations photographiques du sida font écho aux représentations persistantes du « sous-développement » de l’Afrique. À partir d’une analyse de trois usages

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