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La leçon inaugurale de Sophie

44 | I NTRODUCTION GÉNÉRALE

fréquentant des centres de traitements ambulatoires pour la tuberculose où le « silence » prédominait. Confronté à des personnes infectées par le VIH qui n’étaient pas informées de leur statut sérologique, Vidal s’est attaché à «écouter » ses silences :

« [O]n pourrait nous mettre en garde contre l’ambivalence d’une situation qui consiste à donner la parole à des personnes qui expriment un manque, un non- dit et, de là, un silence. Sauf oublier que l’anthropologie est un travail d’interprétation –des récits, des attitudes individuelles et des actions concertées– et qu’à cet égard elle doit prendre en compte et analyser les figures du silence, de l’occultation exprimée par ses informateurs, il nous semble au contraire nécessaire ici de revendiquer une démarche d’écoute et d’observation qui rapporte ces silences à des systèmes de représentations dynamiques. Par ce constat, nous exprimons un défi central de la vie du séropositif, fondateur de ses espoirs : maîtriser le silence afin d’accepter le sens de la maladie » (1996, pp. 12-13).

Lors de l’enquête réalisée avec les enfants non informés, le sida n’a ainsi pas été explicitement évoqué avec ces derniers. Mais ces enfants étant souvent malades, allant à l’hôpital et prenant tous les jours des médicaments pendant des mois, la prise en considération du vécu de « leur » maladie et des traitements est apparue comme essentielle. Les entretiens réalisés avec les enfants non informés ont porté sur leur quotidien, sur les visites à l’hôpital, la prise des médicaments, les activités menées à l’association. Il est à noter que dans les consignes de présentation de l’enquête aux enfants adressées aux parents, je leur précisais d’indiquer aux enfants que je travaillais sur les problèmes de santé des enfants prenant régulièrement des médicaments. Les entretiens réalisés avec les enfants ont notamment permis de mettre en évidence les connaissances qu’ils avaient sur le sida à travers la description des maladies qu’ils connaissaient ou par l’évocation inopinée de la cause de la mort du parent. En dévoilant les tensions existantes entre dits et non-dits, les entretiens ont également mis en exergue le rôle central des dimensions cachées inhérentes à la maladie. À travers les stratégies de dissimulation déployées et le secret scrupuleusement gardé en réponse aux injonctions parentales à garder le silence, ces entretiens ont largement contribué à développer l’anthropologie de l’entre-deux qui apparaît en filigrane de cette thèse.

Notons toutefois que si cette collaboration avec les conseillers associatifs et les soignants a permis d’identifier un certain nombre d’enfants, seuls les enfants régulièrement suivis au sein des structures hospitalières et associatives sont de facto accessibles. Rappelons qu’au Burkina, en 2009, moins de 17 % des enfants nécessitant un traitement y avaient accès, ce chiffre étant de 26 % pour l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne (UNAIDS, 2010). Les données recueillies et l’analyse socio-anthropologique ici proposée portent donc principalement sur l’expérience de la maladie vécue par les enfants ayant accès au système de soins. Demeurent par contre invisible, car inaccessible à l’étude, l’expérience des enfants « perdus de vue », les enfants dont les parents ou tuteurs sont dans le déni de la maladie, les enfants pris en charge dans le système privé de soins et plus largement les enfants non dépistés, mais qui vivent de facto au quotidien la maladie. L’absence d’accès aux antirétroviraux pédiatriques a pour conséquence de laisser dans l’ombre une partie de la réalité du vécu de la maladie par les enfants vivant avec le VIH. Soulignons enfin qu’au niveau national, en septembre 2007, seules sept des douze régions administratives avaient un accès à la prise en charge pédiatrique.

INTRODUCTION GÉNÉRALE |45

C - Méthodes utilisées et questions éthiques

Les méthodes qualitatives utilisées pour la collecte des données sont celles de l’observation participante et des entretiens semi-structurés réalisés auprès d’enfants et adolescents vivant avec le VIH âgés de sept à dix-neuf ans, de leurs parents et « d’adultes référents » ainsi que de soignants et acteurs associatifs. Les parents ont été contactés par l'intermédiaire de conseillers communautaires et informés par ceux-ci des objectifs de la recherche. Après avoir présenté le projet de recherche aux parents et les avoir informés de mon souhait de m’entretenir avec les enfants de plus de sept ans, je réalisais un entretien avec les parents. Cela permettait d’une part qu’ils comprennent pratiquement en quoi consistaient les entretiens, et d’autre part de collecter des données primaires informant sur la biographie et l’itinéraire thérapeutique des enfants. Après obtention du consentement des parents, je rencontrais alors seule, les enfants. Bien que les enfants aient a priori été informés des objectifs de notre rencontre par leur parent, je reprenais systématiquement l’information. Du point de vue du traitement des données, les entretiens ont été systématiquement enregistrés après autorisation des participants. Ils ont été traduits en français dans le cas des entrevues réalisées en dioula – langue locale véhiculaire – et transcrits verbatim. Les données ont fait l’objet d’une analyse thématique et ont été traitées avec le logiciel qualitatif QSR NVIVO (version 7). Toutes les données ont été rendues anonymes et des pseudonymes sont utilisés pour les citations.

Les données collectées dans le cadre de l’enquête qualitative ont été complétées par une étude quantitative réalisée de mai à octobre 200940. L’objectif global de cette enquête était d’étayer l’hypothèse selon laquelle le sida était devenu une réalité signifiante pour les enfants. Ainsi, dans le contexte de Bobo- Dioulasso et de sa région, une étude quantitative a été menée auprès de quatre cent quatre-vingt-seize enfants âgés de sept à quatorze ans, scolarisés et non scolarisés. L’objectif spécifique de cette étude était de décrire et d’analyser les connaissances et représentations d’enfants âgés de sept à quinze ans sur l’infection à VIH, les traitements antirétroviraux et la stigmatisation au Burkina Faso. L’enquête a été réalisée dans la ville de Bobo-Dioulasso au niveau du quartier 17 de Sarfalao ainsi qu’en zone rurale, dans le village de Dafinso à 15 km de Bobo-Dioulasso. Les principaux résultats de cette étude sont présentés dans la partie III, chapitre 7 de cette thèse41.

Enfin, d’un point de vue éthique, le projet de recherche de cette thèse a été présenté devant le Comité national d’éthique des études sur la santé en novembre 2005, qui a émis un avis favorable un mois plus tard. L’avis du comité d’éthique, l’extrait du protocole expliquant la procédure suivie concernant le non-conditionnement de la participation, l’information, le recueil du consentement et le respect de la confidentialité sont présenté dans l’annexe 3 (Cf. pp. 406-410)42. Longtemps absente du champ de l’anthropologie française, l'éthique y occupe une place grandissante sous l’influence de

40 Cette étude a été réalisée sous ma direction et celle du docteur Georges Tiendrébéogo de l’Amsterdam School for Social Sciences

Research de l’Université d'Amsterdam et du Royal Tropical Institute aux Pays-Bas. Les données ont été collectées et traitées par des

sociologues de l’équipe du SHADEI sous la direction d’Abdramane Berthe et d’Issiaka Bamba. L’étude a été financée par le Ministère des Affaires Étrangères (DGIS) des Pays-Bas dans le cadre du Projet n°10657, DCO – OC-134/05, intitulé « Étude sur l'observance à long terme des traitements ARV ».

41 Les résultats détaillés et la méthodologie sont présentés en annexe 7, p 424.

42 Je remercie vivement Marc Egrot chargé de recherche à l’IRD (UR 016) pour les recommandations pratiques qu’il m’a prodiguées

en matière d’éthique durant l’enquête de terrain relative à mon mémoire de Master réalisé à Ouagadougou en 2003 et 2004 portant sur la révélation de la maladie des parents aux enfants (Hejoaka, 2004). Ses conseils m’ont notamment permis de répondre au formalisme de la procédure d’obtention d’un avis du Comité National d’Éthique pour la Recherche en Santé burkinabè.

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