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96 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Plan de thèse

96 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

instrument privilégié du développement de l’enfant (Pernoud, 2003, pp. 29-58) (Pernoud, 2003, pp.29- 58).

L’engouement pour les graphismes enfantins se manifeste également par la multiplication des expositions de dessins d’enfants organisées à l’occasion de congrès dédiés à l’enseignement du dessin ou d’expositions régionales de dessins scolaires, comme lors de l’Exposition universelle de 1857. Les dessins libres feront quant à eux l’objet d’une exposition en 1901 au Petit Palais à Paris. Loin de se limiter à la France, les expositions de dessins d’enfants deviennent en cette fin de siècle une pratique internationale. À la suite de la première exposition organisée à Londres en 1890 par la Royal Drawing Society, de nombreuses autres manifestations ont ainsi été organisées en Russie, aux États-Unis, à Hambourg, Vienne, Berlin ou Londres, (Beuvier, 2009, pp. 102-125; Pernoud, 2003, pp. 29-53).

Dans le sillage des théories développementales, la psychologie – discipline naissante à la fin du XIXe siècle – porte alors un intérêt particulier aux représentations graphiques enfantines qui font l’objet de nombreuses productions scientifiques et intègrent la pratique clinique pédiatrique. La production graphique des enfants évoluant en fonction de leur développement physique et cognitif, l’analyse et l’interprétation des dessins qu’ils réalisent permettent une meilleure compréhension de leurs processus moteurs, cognitifs et émotionnels. Différentes tendances peuvent être distinguées au sein de ce vaste champ d’investigation qui s’est construit autour du dessin d’enfant. Inscrits dans le courant développementaliste, les premiers travaux menés entre 1885 et 1920 visent à comprendre les capacités cognitives et les stades du développement de l’enfant. De type descriptif, ces analyses s’attachent à décrypter les procédés graphiques inhérents aux œuvres enfantines. Comme le résume Barnes83 qui a réalisé une des premières études sur le dessin d’enfant : « au cours des années 1892 et 1893, j’ai travaillé sur des milliers de dessins d’enfants, afin de découvrir ce que cette forme d’expression peut nous apprendre sur leurs modes de penser et de ressentir » (Barnes, 2009 [1885])84. De 1920 à 1940, les représentations graphiques enfantines font l’objet d’analyses de type psychométrique donnant lieu à l’élaboration de tests et d’instruments d’évaluation des aptitudes mentales et du développement psychique et affectif de l’enfant. Cette approche est basée sur l’hypothèse selon laquelle l’évolution du dessin suit le développement cognitif de l’enfant. Un nombre croissant de détails représente la capacité de l’enfant à conceptualiser. Le test du bonhomme mis au point par Goodenough en 1926 et revu par Harris en 1963 en est un exemple. À partir des années 1940, sous l’influence du courant psychanalytique, le dessin d’enfant est appréhendé dans une optique projective, l’analyse reposant alors sur les symboles figurés par les représentations de l’enfant.

À partir de la fin du XIXe siècle, le dessin d’enfant suscite également l’intérêt d’artistes en quête des

origines du processus de création artistique autant que d’une source d’inspiration à travers la singularité qu’offrent les graphismes enfantins. En effet, dans de nombreuses études alors menées sur le dessin d’enfant, se manifeste une « enfance de l’art » (Beuvier, 2009; Pernoud, 2003) pour laquelle la recherche des origines de l’art se fait à travers les traits graphiques de l’enfant. Dans cette « mouvance de l’art

83 Earl Barnes (1861-1935) fut professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Standford aux États-Unis.

84 D’autres études sont réalisées à la même époque par Ricci en Italie (Ricci, 1887), Sully en Grande-Bretagne (1993 [1896]),

Kerschensteiner en Allemagne (1905), Rouma en Belgique (1912) ou Luquet (1913, 1920) en France. Ces différents travaux donnent lieu à la constitution d’importants corpus de dessins.

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enfantin » certains artistes peintres comme Klee, Kandinsky, Mirò, Matisse, Picasso ou Dubuffet s’inspirent du dessin d’enfant dans leurs propres productions artistiques.

B - Dimensions culturelles et sociales du dessin d’enfant

L’usage du dessin dans le contexte socio-économique de pays à ressources limitées tel que le Burkina Faso pose la question des dimensions culturelles des pratiques graphiques enfantines et des usages sociaux qui en sont faits. La question essentielle est de savoir si le dessin d’enfant est une pratique universelle. En d’autres termes, un enfant n’ayant jamais utilisé un crayon ou non scolarisé peut-il dessiner ? Différents travaux visant à analyser les compétences et les productions graphiques des enfants dans des contextes socioculturels différents répondent par l’affirmative à cette question. Dès les années 1930, dans la tradition de constitution des corpus de dessins cherchant à évaluer et comparer les compétences graphiques des enfants, l’anthropologue britannique Paget a ainsi constitué un corpus de plus de 60 000 dessins collectés en Inde, en Chine et dans différents pays africains. Il note que bien que la majorité de ces enfants n’eussent jamais manipulé un crayon ou une feuille de papier, ils présentaient de bonnes aptitudes graphiques. Certains avaient toutefois une expérience pratique du dessin qu’ils réalisaient dans le sable avec leur doigt ou du charbon, des pierres ou des teintures végétales (1932).

À cette époque, Mead utilisa le dessin comme technique d’enquête avec des enfants. S’intéressant à la pensée des « enfants primitifs », elle remit en cause les théories de Piaget considérant que le développement psychologique de l'enfant passe par une phase animiste dans la construction du réel. Elle a pour ce faire collecté sur une période de cinq mois entre 1928 et 1929, plus de 32 000 dessins auprès des enfants de l’île de Manus. Mead note que les enfants ont essentiellement dessiné des scènes réalistes – combats, jeux, courses de bateau, scènes de pêche – représentant leur environnement et non pas des « esprits » renvoyant à la pensée animiste (1932, pp. 177-178). Si les résultats sont contestables – l’âge des enfants ayant dessiné ne correspond pas à celui du stade « animiste » décrit par Piaget – ce terrain offre un exemple de l’utilisation originale faite du dessin dans le champ de l’anthropologie.

Cette question de l’aptitude des enfants à dessiner est essentielle d’un point de vue méthodologique. Si le dessin s’impose comme une technique pouvant être utilisée avec la majorité des enfants – y compris par ceux n’ayant pas l’habitude de dessiner – il est important que l’anthropologue tienne compte de la pratique et du rapport que l’enfant peut avoir du dessin.

La dimension culturelle du dessin d’enfant s’incarne dans ce que Paget nomme les « conventions locales » (local conventions) (1932, p. 134). Les enfants réalisent des dessins dans lesquels transparaissent en effet leur environnement et la symbolique propre à leur culture. Cox révèle par exemple la récurrence d’un symbole walpiri dans les dessins des enfants aborigènes en Australie (1998). Au Kenya où le bétail est au centre du système économique et familial, le travail de Court montre que les enfants samburu représentent plus facilement les animaux que des personnes (1989). Pruvôt s’intéresse quant à lui à l’influence du contexte politique et social sur les dessins d’enfants cubains et français (2005). Les enfants figurent également leur environnement naturel et la relation qu’ils entretiennent avec leur milieu comme l’illustre l’ouvrage Nature du Monde, dessins d’enfants édités par Pagezy, Carrière et Sabinot (2010).

Si les « connotations locales » traduisent indéniablement des représentations graphiques faisant sens dans un contexte donné, les dessins d’enfants sont également le fruit de déterminants sociaux. Des dessins réalisés par des enfants provenant d’horizons culturels différents peuvent ainsi révéler une

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