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CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

180 | C HAPITRE 5 U NE ÉPIDÉMIE F AMILIALE

La famille est ici mobilisée dans la perspective d’assurer un environnement favorable aux enfants infectés et affectés par le VIH/sida » comme le stipule l’extrait suivant de la Déclaration d’engagement de 2001 :

Élaborer, d’ici à 2003, et mettre en œuvre, d’ici à 2005, des politiques et stratégies nationales visant à: rendre les gouvernements, les familles et les communautés mieux à même d’assurer un environnement favorable aux orphelins et aux filles et garçons infectés et affectés par le VIH/sida, notamment en leur fournissant des services appropriés de consultation et d’aide psychosociale, en veillant à ce qu’ils soient scolarisés et aient accès à un logement, à une bonne nutrition et à des services sanitaires et sociaux sur un pied d’égalité avec les autres enfants; offrir aux orphelins et aux enfants vulnérables une protection contre toutes formes de mauvais traitements, de violence, d’exploitation, de discrimination, de traite et de perte d’héritage (UNGASS, 2001).

L’objectif des politiques publiques est moins de soutenir les familles face à l’affliction que représente le sida, que de veiller à ce qu’elles assurent leur rôle de « filet de sécurité » face à l’impact socio- économique et démographique du sida. Ceci illustre le fait que les politiques internationales de prévention et de prise en charge peinent à appréhender le sida comme une maladie familiale. Dès les premiers temps de l’épidémie, le sida est pourtant apparu comme une maladie familiale dans la mesure où non seulement, différents membres d’une même famille peuvent être infectés, mais où la transmission peut se produire entre ses membres131. Pourtant, trois décennies après la découverte des premiers cas de sida aux États-Unis, les politiques internationales de lutte contre le sida continuent d'être construites dans une logique individualiste et non familiale.

Historiquement cela s’explique par les conditions de l’émergence de la réponse apportée à l’épidémie qui s’est construite dans les pays du Nord autour des « groupes à risque »identifiés dans les premiers temps de l'épidémie. Bien que de nombreux cliniciens et chercheurs aient appelé au développement d’une prise en charge familiale de l’infection à VIH (Brown & Powell-Cope, 1991; F. L. Cohen, 1994; DeMatteo, et al., 2002; Instone & Fraser, 1991; Rotheram-Borus, et al., 2005), l’approche individualiste et « communautaire » du sida continue d’être prééminente. Le caractère pandémique du sida en Afrique subsaharienne – où la transmission sexuelle et la transmission de la mère à l’enfant sont les principaux modes de transmission – ne semble pas avoir infléchi cette orientation des politiques publiques. Seuls, quelques projets pilotes interventionnels tels que le programme PTME+132 initiés en 2000 par la Mailman School of Public Health de l’université américaine de Columbia verront le jour. Mais, même si sur le terrain, un nombre croissant de projets de prise en charge des PVVIH intègrent une approche familiale, le passage à cette échelle tarde à être institutionnalisé.

131 Les premiers cas de transmission par voie hétérosexuelle et de la mère à l’enfant ayant été identifiés en 1982.

132 Le programme PTME+ vise à améliorer les programmes de prévention de la transmission de la mère à l’enfant en intégrant un

accompagnement et une prise en charge thérapeutique de la mère ainsi que de son partenaire, des autres enfants et éventuellement les coépouses. Initié et coordonné par l’ICAP (International Center for AIDS Care and Treatment Programs) de l’Université de Columbia, ce programme a été développé dans les pays suivants : Côte d'Ivoire, Kenya, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Thaïlande, Ouganda et Zambie.

CHAPITRE5. UNE ÉPIDÉMIE FAMILIALE |181

Notons à ce stade de la réflexion, que le traitement politique dont la « famille africaine » fait l’objet est un phénomène ancien, qui n’est pas spécifique à l’épidémie de sida. Comme le note Dozon (1986) dans un article intitulé « En Afrique, la famille à la croisée des chemins », depuis la colonisation européenne, la famille s’impose comme l’institution centrale à travers laquelle nombre de problèmes sociaux, économiques et politiques ont été pensés. Les administrateurs coloniaux ont été les premiers à s’intéresser aux systèmes familiaux dans le cadre du travail d’identification et de classement des sociétés africaines qu’ils administraient, contribuant notamment à « figer et à cristalliser les sociétés africaines sous le label ethnique ». Depuis la fin des années soixante, si les problématiques ont évolué à travers notamment l’émergence de la question du développement économique et social, la famille occupe toujours une place privilégiée. Dans un contexte où l’État-nation est souvent présenté comme défaillant, l’institution familiale est devenue la cheville ouvrière de programmes économiques ou sanitaires à travers notamment le principe de « développement communautaire ». La famille a enfin été « mobilisée » par le pouvoir politique, lorsqu’après les indépendances, certains leaders africains ont assis le « socialisme africain » sur l’institution familiale133 : «l’Afrique est socialiste par essence ; cette qualité première est inscrite depuis toujours dans la société traditionnelle et tout particulièrement dans la famille africaine » (p 308).

B - La « famille élargie » dans la rhétorique institutionnelle des politiques internationales.

Le traitement politique qui est fait à la famille dans le contexte sub-saharien, mobilise la figure de la « famille élargie » à travers la fonction « traditionnelle » qui lui est assignée dans l’éducation et la prise en charge des enfants. L’extrait suivant du rapport onusien Les enfants au bord du Gouffre (UNICEF, UNAIDS, & USAIDS, 2002, p. 10) offre une illustration emblématique de la rhétorique construite autour de la famille :

Dans les pays les plus durement touchés par le VIH/SIDA, ce sont principalement les familles et les communautés qui s'occupent des orphelins et des enfants touchés par le VIH/SIDA. Mais la pandémie met à très rude épreuve la structure de la famille élargie – l'un des piliers des sociétés africaines – tout en ravageant également des communautés entières. Dans ces conditions, de nombreux orphelins se trouvent livrés à eux-mêmes.

Le rôle joué par « la famille élargie » est présenté comme constitutif du fonctionnement de la « famille africaine ». Le lévirat et le sororat étant présentés comme des mécanismes de solidarité favorisant la prise en charge des enfants comme le montre cet extrait du rapport de l’UNICEF Orphaned African Generation (2003), la famille africaine est ainsi présentée

The vast majority of orphans in sub-Saharan Africa continue to be taken in by the extended family. Here, the extended family has historically formed an intricate and resilient System of social security that usually responds quickly to the death of a mother or father. It is very common for families to raise children who are not members of the immediate family. For example, it is traditional in

133 Dozon fait notamment référence dans l’article aux leaders ghanéens, Kuamé Nkrumah, tanzanien Nyerere

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