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86 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Plan de thèse

86 | C HAPITRE 2 E NQUÊTER AVEC LES ENFANTS : QUESTIONS THÉORIQUES , ÉPISTMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

enfants, des parents et conseillers ont ainsi fait état de remarques similaires qui leur avaient été adressées par d’autres parents ou membres associatifs concernant leurs « comportements » vis-à-vis des enfants. Par ailleurs, comme dans toutes relations, se jouent des rapports de force que cristallise notamment la question de l’accès à des ressources matérielles et financières. Il semble en effet que ce qui s’est joué à travers ma posture est une mise en « concurrence » des adultes avec les enfants qui se retrouvaient avoir un accès privilégié au capital symbolique et financier potentiel que représente l’anthropologue en tant que personne venant d’un pays occidental et ayant un pouvoir d’achat bien supérieur à celui des Burkinabè.

L’observation participante a donc joué un rôle central dans le dispositif méthodologique en synergie avec l’entretien d’enquête que l’on va maintenant aborder. « L’imprégnation » et les contacts réguliers avec les enfants qu’implique l’observation participante ont créé les conditions d’une observation réciproque qui a ensuite grandement facilité la réalisation des entretiens.

B - Mise en mots de l’expérience : l’entretien dans l’enquête avec les enfants

L’entretien en profondeur – encore appelé entretien non directif – représente la deuxième composante principale de mon dispositif d’enquête. Comparativement à d’autres formes de recueil de données discursives comme le questionnaire ou l’entretien directif, l’entretien en profondeur a fait l’objet de critiques portant notamment sur sa dimension subjective et sur la validité des données recueillies (Beaud, 1996; Olivier de Sardan, 2008). Essentiellement formulés dans le cadre d’entretiens réalisés avec des adultes, ces biais avec lesquels l’anthropologue compose au quotidien dans sa « politique d’enquête » s’appliquent également aux enfants. Toutefois, en raison du statut social « d’être en devenir » communément attribué à l’enfant et de l’ambivalence des représentations collectives qui le caractérisent (Jenks, 2005 [1996]), la réalisation d’entretiens ethnographiques avec les enfants pose des questions singulières renvoyant notamment au statut de la parole de l’enfant et plus largement à l’impact des rapports sociaux d’âge sous-tendant cette relation d’interlocution. Après une analyse pratique des entretiens réalisés avec les enfants sur leur expérience du sida, la réflexion portera sur le statut de la parole de l’enfant, avant de conclure sur l’espace de parole et de réflexivité qu’a représenté l’entretien.

L’entretien avec les enfants en pratique

Le premier point que je voudrais aborder concerne le moment critique qu’est l’introduction à l’entretien. Moment essentiel de la relation d’enquête qui conditionne le bon déroulement de l’entretien, l’introduction a été particulièrement sensible en raison de l’ambiguïté et de l’indétermination de l’information des enfants concernant leur maladie. Au moment de la rencontre avec les enfants, je ne savais pas s’ils étaient effectivement informés de leur maladie. Je ne savais pas non plus ce qu’ils savaient de l’objet de notre rencontre. Or, il est apparu que la participation des enfants était moins le résultat d’une « participation éclairée » que d’une injonction parentale. J’ai ainsi dû reprendre l’explication des objectifs et des modalités des entretiens avec la majorité des enfants. Le deuxième problème rencontré lors de l’introduction de l’entretien a trait à la « contingence informationnelle » qui caractérise l’annonce de la maladie aux enfants. Dans le contexte « d’annonce artisanale » qui prévaut, alors que certains enfants étaient considérés par leurs parents comme formellement informés, la connaissance effective de leur maladie par les enfants n’était pas clairement établie. Face à cette configuration d’incertitude, j’ai adopté un principe de précaution suivant lequel je ne nommais pas d’emblée explicitement le sida au cours de l’entretien. Si l’enfant évoquait spontanément le sida, je posais alors des questions générales sur le sida,

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mais sans qu’une relation explicite avec la maladie de l’enfant soit faite. Dans le cas contraire, l’entretien se poursuivait sur le thème général du quotidien et de la maladie. Au-delà des problèmes spécifiques d’information et de confidentialité posés par le sida, le moment sensible qu’est l’introduction vient rappeler que l’entretien est avant tout dans une relation sociale qui se construit au fil de la relation d’enquête. Le recours à un certain nombre de techniques – souvent d’ordre ludique – visant à « briser la glace » (icebreakers) se révèle particulièrement utile à ce stade. Dans le cadre de cette étude, le dessin ainsi qu’un outil intitulé « l’arbre de la famille» ont été utilisés74. D’autres exemples d’outils sont donnés par Freeman et Mathison qui évoquent par exemple le recours à des jeux de rôle, à des images vidéo ou à des poupées permettant de reproduire des scènes (Freeman & Mathison, 2009, pp. 97-98).

Le deuxième point concerne la conduite des entretiens qui se sont souvent révélés être plus succincts que des entretiens réalisés avec les adultes. Les réponses formulées par les enfants sont généralement plus concises et moins descriptives que celles d’adultes. Ce constat s’applique particulièrement aux jeunes enfants, les plus âgés ayant tendance à étayer leurs réponses et à s’inscrire davantage dans la narration. Les enfants peuvent également se montrer laconiques dans leurs réponses pour deux raisons principales. Intimidés par la situation d’entretien, certains d’entre eux ne parviennent pas à s’exprimer pleinement. Mauvaise compréhension des raisons de leur présence, sentiment de honte, peur de mal répondre, crainte d’être « évalué » ou encore la singularité de la situation de dialogue en face à face avec un adulte, sont autant de facteurs contribuant à limiter la parole de l’enfant. La complémentarité et l’articulation de l’entretien avec d’autres techniques trouvent alors toute leur pertinence. En permettant une médiation de la parole par des techniques comme le dessin, celles-ci jouent un rôle de facilitation de la parole de l’enfant. Le caractère laconique des entretiens réalisés avec les enfants peut également être la manifestation indirecte et non verbalisée du désintérêt de l’enfant pour l’entretien ou son envie d’arrêter, comme le ferait un adulte. Des réponses succinctes, la distraction ou une réponse prenant la forme d’un « je ne sais pas » sont autant de signes envoyés par l’enfant concernant le déroulement de l’entretien et auxquels l’enquêteur doit être attentif, là aussi comme avec un adulte.

D’un point de vue logistique, la réalisation des entretiens avec les enfants a posé plusieurs problèmes d’ordre organisationnel. La majorité des enfants étant scolarisés, leur disponibilité était limitée. Les entretiens ont ainsi généralement été réalisés le jeudi après-midi ou le samedi. La disponibilité des enfants est conditionnée par leur mobilité réduite, ces derniers dépendant de tierces personnes pour se déplacer. Soulignons qu’en raison des problèmes structurels de transport, circuler constitue un enjeu fondamental en raison des coûts en termes de temps autant que du point de vue financier. Ainsi, si les enfants plus âgés venaient souvent seuls aux rendez-vous, les enfants plus jeunes étaient accompagnés par leurs parents qui avaient déjà dû se déplacer pour participer à un premier entretien. Compte tenu des distances, certains parents attendaient la fin de l’entretien – auquel ils n’assistaient pas – pour repartir avec les enfants. La disponibilité des enfants était également réduite du fait de la participation à d’autres activités comme les offices religieux, les tâches domestiques, la responsabilité d’un « petit commerce » ou le soutien scolaire dispensé par des « répétiteurs ». La réalisation des entretiens a également posé des problèmes d’ordre temporel en raison des contraintes d’horaires inhérentes à la prise des médicaments, les parents autant que les enfants s’étant montrés très vigilants sur ces questions.

74 Une analyse pratique et critique du dessin et de« l’arbre de la famille » est présentée dans la suite du chapitre, pages 94-112.

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