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II L’ENFANCE EN ANTHROPOLOGIE : UN OBJET HISTORIQUE , MAIS « NÉGLIGÉ »

Plan de thèse

II L’ENFANCE EN ANTHROPOLOGIE : UN OBJET HISTORIQUE , MAIS « NÉGLIGÉ »

Bien que l’anthropologie de l’enfance demeure méconnue, elle ne constitue pas un « nouveau » champ de la discipline. Les premiers travaux ethnographiques ont été réalisés dans les années 1930 aux États-Unis, en Grande-Bretagne autant qu’en France. Le développement suivant propose une brève perspective de l’histoire de l’anthropologie de l’enfance des années 1930 aux années 1980 où un glissement paradigmatique s’est opéré à travers l’émergence d’une anthropologie centrée sur les enfants. Un bref historique de la tradition américaine, anglaise et française est ici présenté.

A - La tradition américaine

Les premiers travaux anthropologiques sur l’enfance ont été produits par l’anthropologue américaine Margaret Mead, élève de Franz Boas, un des « pères fondateurs » de l’anthropologie américaine. Mead réalisa deux terrains – aux îles Samoa en 1925 et dans les îles de l’Amirauté en 1928- 29 – dont elle tira deux ouvrages majeurs Coming of Age in Samoa (1928) et Growing up in New Guinea (1930). Mead s'attacha à montrer que la différence entre les personnes n’était pas biologique, mais culturelle, en s'intéressant notamment à la façon dont les enfants sont élevés et à l'influence de leur éducation sur leur personnalité et leur comportement. Mead remit également en cause l'universalité de la "crise de l'adolescence". Il est à noter que si Boas ne consacra pas ses recherches aux enfants, il eut une influence déterminante sur l’anthropologie de l’enfance, dans un contexte sociohistorique où prédominaient les théories de l’évolutionnisme. Étudiant le développement physique de l’enfant, il démontra dans l’article The Instability of Human Types (1974[1911]) l’impact de l’environnement sur la physiologie humaine. Comparant au sein d’une fratrie, les enfants nés en Europe à ceux nés aux États- Unis, il mit en évidence que la différence entre les personnes n’est pas d’origine biologique ou raciale, mais qu’elle est environnementale et culturelle. Les travaux de Boas influencèrent profondément ceux de ses étudiants Edward Sapir, Ruth Benedict et Margaret Mead, qui fondèrent le courant « culture et personnalité ». Postulant que la culture façonne les personnalités, l’étude des enfants se révélait importante. Ainsi, ils cherchaient à comprendre comment un enfant devient une personne (cultural being) et quel impact l’expérience de la petite enfance a sur la personnalité adulte. Notons que si le courant « culture et personnalité » a par la suite souvent été critiqué, il a joué un rôle essentiel dans la remise en question de l’universalité du développement psychologique de l’enfant.

Dans les années 1950, l’anthropologie américaine de l’enfance s’est développée autour d’un programme particulier, The Six Culture Study. Initié en 1954 par l’anthropologue John Whiting et deux psychologues Irvin Child and William Lambert, ce programme qui associe anthropologie et psychologie a représenté un ambitieux projet anthropologique d’études sur l’enfance dans différents contextes culturels. Entre 1954 et 1957, des études ethnographiques ont ainsi été menées dans six pays : le Mexique, les Philippines, l’Inde, le Japon, le Kenya et les États-Unis (Massachusetts) (D. Bonnet & Pourchez, 2007b; B. B. Whiting & Child, 1963). Ce programme a permis de produire des données ethnographiques sur la famille, les parents et les enfants, mais comporte également des innovations méthodologiques

CHAPITRE 1.L’ANTHROPOLOGIE DE L’ENFANCE : UN CHAMP DYNAMIQUE EN MUTATION |61

importantes à travers l’introduction de l’observation systématique des enfants. Si le programme des Six Culture Study fut une initiative isolée, les années 1960 se caractérisent par une multiplication des travaux s’inscrivant dans de nouvelles orientations thématiques, comme la petite enfance, l’enfant dans les relations et la participation sociale à travers notamment des travaux sur le fostering, les soins entre membres de la fratrie ou l’adoption, les jeux des enfants ou encore l’acquisition de la langue et de la culture.

B - La tradition anglaise

Du côté de l’anthropologie anglaise, les premiers travaux ont également été réalisés dans les années 1930, par Malinowski. Dans son étude ethnographique aux îles Trobriand, Malinowski a mis en évidence une organisation sociale de type matrilinéaire de la société trobriandaise, relativisant l’universalité des théories freudiennes du complexe d’Œdipe chez l’enfant (1989 [1929]). Il démontre notamment que c’est avec l’oncle maternel que se jouait la rivalité vis-à-vis de la mère. Les travaux de Malinowski influencèrent nombre des élèves ayant suivis ses enseignements tels que Firth, Richards, Hogbin, Wedgwood, Kaberry, Evans-Pritchard, ou Read. Suivant les préceptes méthodologiques de Malinowski, ils s’attachaient à décrire les sociétés étudiées dans leur ensemble. Ils ont produit d’importantes connaissances ethnographiques sur les enfants dans le cadre de recherches menées sur les systèmes de parenté, les relations entre parents et enfants au sein de la famille, les soins ou les pratiques d’éducation (Levine 2007, p.251). À la différence de l’anthropologie américaine, le rôle de la psychologie a été mineur pour l’anthropologie britannique de même que les cross cultural studies (H. Montgomery, 2009). Sous l’influence des travaux de Radcliffe- Brown inscrits dans une approche structuro-fonctionnaliste, les études portaient plus essentiellement sur les classes d’âge et les systèmes de parenté. Fortes, bien que n’ayant pas été un élève de Malinowski, fut également influencé par ce dernier. Il consacra une part importante de son ouvrage The Web of Kinship among the Tallensi (1949) à l’étude des rapports entre parents et enfants.

Les années 1960 vont être marquées, comme le note H. Montgomery (2009), par une diminution des travaux sur l’enfance à l’exception de ceux d’E. Goody et de J. Goody menés au Ghana (1967) ou de Read au Malawi (1968). Le rejet de la psychologie par l’anthropologie anglaise, associé à l’influence du structuralisme de Lévi-Strauss dans les années 1960, va en effet se traduire par une baisse d’intérêt pour les études des « sociétés traditionnelles » qui donnaient une certaine visibilité aux enfants, même si ces derniers y étaient marginalisés.

C - La tradition française

Concernant maintenant l’anthropologie de l’enfance française, le champ s’est constitué selon Lallemand à partir de l’ouvrage de Rabain L’enfant du lignage édité en 1979 (cité par D. Bonnet, 2012). Il est vrai qu’en termes de visibilité, cet ouvrage – par ailleurs l’un des rares à être cité dans la littérature anglophone – a marqué la discipline. Mais si le champ de l’anthropologie française s’est constitué dans les années 1970-1980, il trouve ses origines dans les années 1930 dans les travaux de Griaule. D’une manière générale, les travaux des pères fondateurs de l’ethnologie française font peu ou prou référence à l’enfant. Dans le Manuel d’ethnographie ([1926] 1989), Mauss ne consacre que quelques pages à la question de l’enfance, et ce essentiellement à travers l’étude des techniques du corps comme l’accouchement, l’allaitement ou le sevrage. Dans son ouvrage Cohésion sociale et division de la sociologie (1969), il évoque succinctement le rôle productif de l’enfant en Asie, Insulinde et Afrique, mais également la notion

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