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CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

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élargie » qui considère généralement les femmes comme des soignantes "naturelles" (Hejoaka, 2011). D’une manière générale, les « soins de santé » sont une activité éminemment féminine comme différents travaux ont contribué à le montrer dans le contexte des pays développés (Cresson, 1991, 1995; Gagnon & Saillant, 2000; Saillant, 1999; Saillant & Boulianne, 2003). Dans la plupart des sociétés, il est pris pour acquis que les mères, les épouses, les grands-mères, les tantes et les sœurs assurent les soins, en particulier des enfants.

Dans le contexte du sida, les effets dévastateurs de l’épidémie sur les populations générant des besoins exponentiels en matière de soins, un nombre croissant d’études décryptent désormais la question du « travail de santé domestique » (Cresson, 1995) généré par la pandémie, mettant ainsi en évidence la dimension genrée des soins (AIDS, 2008; Marques, et al., 2006; Ogden, Esim, & Grown, 2006; Wouters, van Loon, van Rensburg, & Meulemans, 2009). Mais ces travaux traitent essentiellement des adultes (voir par exemple : Kipp, Tindyebwa, Karamagi, & Rubaale, 2006; Lindsey, Hirschfeld, & Tlou, 2003), les enfants infectés demeurent la face cachée du « travail de soins » dispensé par les femmes. Là encore, au-delà de l’invisibilité de l’épidémie chez les enfants précédemment décrite, cette opacité autour des soins des enfants s’explique par le fait que, plus encore que pour les adultes, les soins prodigués aux enfants sont essentialisés, soigner les enfants étant considéré comme « naturel » et relevant du domaine des femmes.

Les mères ne sont pas simplement les dispensatrices des traitements de l’enfant. Elles sont également considérées comme « responsables » de leur efficacité thérapeutique. Or, si les traitements antirétroviraux permettent l’amélioration – souvent spectaculaire – de l’état de santé de nombreux enfants, certains sont en échec thérapeutique ou ne présentent pas une évolution favorable de leur poids et des indicateurs biologiques134. Les mères peuvent alors être « soupçonnées » de ne pas s’occuper convenablement de l’enfant ou de ne pas bien administrer le traitement. Ces situations de maladies récurrentes, voire dans certains cas de décès des enfants, sont d’autant plus éprouvantes à supporter pour les mères, qu’elles sont dans le même temps, les témoins de la « bonne santé » des autres enfants fréquentant le service hospitalier ou les associations communautaires.

En cas d’épisodes morbides persistants ou d’hospitalisation de leur enfant, les mères produisent de facto un véritable travail de santé relevant plus du registre professionnel que du domaine profane. Les fonctions du travail infirmier se limitant en effet à la prescription des médicaments et à l’exécution d’actes médicaux tels que la prise des constantes, les injections ou la mise sous perfusion, les mères procèdent par exemple, à l'achat et l'administration des traitements135, à la surveillance des perfusions ou à l’alimentation d’enfants présentant souvent de graves problèmes nutritionnels. Elles assurent également l’hygiène quotidienne et la toilette des enfants lorsque ces derniers vomissent ou ont la diarrhée. Enfin, lorsque les enfants atteignent le stade final de la maladie, les mères sont les dispensatrices de soins

134 Les problèmes concernant les traitements antirétroviraux pédiatriques pointés précédemment se posent avec encore plus

d’acuité concernant les secondes lignes de traitement. Le manque de formulation pédiatrique associé au coût des traitements induits par l’absence de formes génériques limitent – encore plus que pour les adultes – les alternatives thérapeutiques requises en cas d’échec thérapeutique.

135 Dans de nombreux hôpitaux africains, les médicaments, seringues, perfusions, gants, etc. nécessaires aux soins ne sont pas

fournis par l’hôpital, mais doivent être personnellement achetés par le patient ou son entourage dans les pharmacies hospitalières ou les dépôts pharmaceutiques communautaires. En cas de rupture de stock ou de prescriptions de spécialités – comme cela est souvent le cas pour le traitement des infections opportunistes – les mères doivent se procurer les traitements au sein d’officines privées ou des pharmacies communautaires associatives.

CHAPITRE5. UNE ÉPIDÉMIE FAMILIALE |187

palliatifs, de l’accompagnement des patients en fin de vie et de leur entourage, faute de dispositifs hospitaliers d’accompagnement des malades en fin de vie.

B - Le rôle des hommes dans les soins

Les approches en termes de genre accordent un intérêt au rôle effectif des hommes dans les soins aux enfants. Les études relatives aux soins dans le contexte du VIH ne font guère apparaître leur rôle effectif (Denis & Ntsimane, 2004; Kipp, et al., 2006; C. M. Montgomery, Hosegood, Busza, & Timæus, 2006).

Dans cette étude, parmi les cinquante-trois parents rencontrés, sept étaient des hommes. Sans prétendre proposer une analyse exhaustive, on peut néanmoins retenir que les hommes jouent un rôle secondaire, intervenant le plus souvent de pair avec un membre féminin de la famille. Des hommes rencontrés qui jouaient un rôle actif, on peut noter qu’ils avaient au minimum un niveau d’études secondaires et que deux d’entre eux avaient une activité professionnelle relevant de la santé. Dans le cas des femmes veuves ou des femmes séparées, le rôle des hommes est mimine, ces dernières étant chef de famille. On notera toutefois, le rôle joué par les jeunes garçons dans les soins dispensés à leur mère ou aux membres de la fratrie. Dans le cas des couples mariés, le rôle des pères ou des conjoints est varié, certains étant impliqués, tandis que d’autres se montrent réticents à fréquenter les structures associatives, voire à se faire dépister ou à prendre un traitement.

Ce constat du rôle genré des hommes dans les soins aux enfants, toujours associés à un travail domestique dévolu aux femmes, est à mettre en perspective avec un certain nombre de travaux ayant également montré une asymétrie entre hommes et femmes en matière de partage du statut ou de l’usage des services de dépistage136. En effet, si le nombre d’hommes rencontrés dans le cadre de l’étude n’est certes pas représentatif, la sous-représentation des hommes peut être mise en perspective avec les résultats d’autres recherches montrant une asymétrie hommes/femmes dans l’accès aux soins et aux structures associatives. Comme le démontrent Bila et Egrot (2008, 2009) dans le contexte du Burkina Faso, alors que la prévalence est comparable chez les hommes et chez les femmes, on compte seulement un homme sous traitement ARV pour deux femmes. Selon les auteurs, cette différence s’explique par le poids des représentations, les hommes associant le sida à une maladie de femmes, les personnes infectées à des « baadramba » qui désigne en moore, des gens affaiblis, démunis et en détresse. Être vus dans un lieu accueillant des personnes vivant avec le VIH est une atteinte à leur dignité, d’autant plus que contrairement aux femmes, les hommes ne peuvent se réfugier derrière leurs enfants pour prétexter devoir s’y rendre, les soins aux enfants étant un rôle socialement déterminé. Ainsi, face aux réticences des hommes, les femmes jouent un rôle de « soignantes familiales », en prenant par exemple leur place dans les files d’attente, en allant chercher leur traitement ou en veillant à la régularité de la prise des médicaments. Pour leur éviter d’exposer leur maladie en public, elles les remplacent dans les files d’attente, subissant à leur place les injonctions et les jugements des soignants. Au regard des réticences que montrent certains hommes à se soigner, ils seraient intéressant de mieux comprendre les implications que cela peut avoir sur la gestion de la maladie de l’enfant. Mais à ma connaissance, il n’existe pas à ce

136 Pour une revue de la littérature sur la place des hommes dans les programmes de PTME voire Orne-Gliemann (2009). Sur la question du

rôle des hommes dans la prévention du VIH en Côte d’Ivoire voir Desgrées du Loû (2005) et Tijou-Traoré (2006, 2009). Sur l’implication des discours genrés des soignants sur les pratiques préventives et la procréation au Cameroun voir Djetcha (2009).

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