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La leçon inaugurale de Sophie

IV MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE

A - Lieu d’enquête : Bobo-Dioulasso, un carrefour socioculturel, épicentre de l’épidémie

L’enquête de terrain et la collecte des données ont été réalisées entre octobre 2005 et décembre 2008 à Bobo-Dioulasso. Dans les années 1990, la ville de Bobo-Dioulasso a été un épicentre sous-régional de l’épidémie de sida. Mais au milieu des années 1990, le Burkina Faso a été avec la Côte d’Ivoire l’un des pays les plus touchés de l’Afrique de l’Ouest (PNUD 2001 : 4).

Si comme au niveau national, la prévalence s’est stabilisée à Bobo-Dioulasso au milieu des années 2000, la ville a été particulièrement touchée par l’épidémie dans les années 1990. Selon une étude longitudinale, entre 1995 et 1999, 8,8 % des femmes effectuant une visite prénatale étaient infectées par le VIH (Sombié, et al., 2004). Cette réalité épidémiologique et la létalité qu’elle a engendrée ont contribué à donner une forte visibilité à l’épidémie au sein de la communauté. À Bobo-Dioulasso, la majorité des personnes connaissent ainsi dans leur entourage, une ou plusieurs personnes infectées par le VIH ou décédées des suites du sida. Les conseillers font d’ailleurs un usage explicite de la réalité mortifère du sida au cours des séances de sensibilisation sur le VIH/sida, justifiant la réalité de l’épidémie et l’importance de se faire dépister par le fait que « nous connaissons tous dans nos familles une personne qui est morte du sida»24. La forte prévalence de la fin des années 1990 et début des années 2000 explique par ailleurs le nombre élevé d’enfants âgés de plus de 7 ans nécessitant d’être pris en charge à Bobo-Dioulasso.

Si d’un point de vue épidémiologique l’épidémie au Burkina Faso est de type généralisée, elle est plus particulièrement concentrée dans les principales villes du pays qui est urbanisé à hauteur de 22,75 % en 2006 (RGPH, 2009). En 2007, la prévalence de l’infection à VIH à Ouagadougou était de 5,5 % et de 3 % à Bobo-Dioulasso. La prévalence est également plus élevée dans l’ouest du pays avec la présence de zones aurifères. Toutefois, notons que si l’on assiste à une stabilisation de la prévalence nationale de l’infection à VIH autour de 2 % depuis 2005, le nombre de personnes vivant avec le VIH nécessitant d’être pris en charge par les structures hospitalières autant que communautaires ne cesse d’augmenter en raison du développement du dépistage et de l’augmentation de la durée de vie induite par les traitements antirétroviraux. De 12 842 en 2006, le nombre de personnes sous traitement antirétroviral est ainsi passé de 17 263 en fin à 2007, à 21 103 en 2008 et 26 448 en 2009 (WHO, et al., 2010).

Le Burkina Faso fait aujourd’hui partie des pays africains présentant une « faible » prévalence de l’infection. En 2009, la prévalence de l’infection à VIH était ainsi de 1,9 %, confirmant une tendance à la baisse de la prévalence amorcée à partir de 2004.

La ville de Bobo-Dioulasso où a été réalisée cette thèse est la deuxième ville du pays avec 489 967 d’habitants en 2006 (RGPH, 2009). Pays principalement rural et agricole – 72,3 % de la population vit en zone rurale25 – le Burkina Faso connaît un processus d’urbanisation rapide polarisé sur les deux principales villes du pays. Ouagadougou compte ainsi 46 % de la population urbaine et Bobo-Dioulasso

24 Cet argument mobilisé par les conseillers dans leurs activités de sensibilisation a notamment été entendu en mai 2006 au sein de la

maternité du CNHU Sanon Sourô de Bobo-Dioulasso, à l’occasion d’une séance de sensibilisation collective proposée aux femmes enceintes venues en consultation prénatale.

25 Comparée à d’autres pays de la sous-région, l’urbanisation du Burkina Faso reste relativement faible. En 2008, les taux d’urbanisation

étaient ainsi de 41, 2 % au Bénin, de 48,8 % en Côte d’Ivoire, de 51 % au Ghana, de 32,2 % au Mali, de 42,4 % au Sénégal et de42 % au Togo.

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15,4 %. Les résultats présentés dans le cadre de cette thèse ont donc été produits dans un cadre urbain qu’il s’agit ici de préciser afin de situer le contexte de la collecte des données. Soulignons toutefois avant de présenter le contexte socioéconomique et historique de Bobo-Dioulasso, que les travaux sociologiques et anthropologiques sur la ville font défaut26. L’importante littérature anthropologique qui existe sur le Burkina Faso relève principalement d’une ethnographie classique construite à partir de monographies de groupes ethniques généralement étudiés au niveau d’une unité villageoise. Ceci s’explique notamment par le fait que la « sociologie des Brazzaville noires » à laquelle invitait Balandier dans les années 1950 (1955) a longtemps rencontré peu d’écho chez les anthropologues africanistes.

Un premier point qu’il convient de souligner concernant Bobo-Dioulasso est la diversité culturelle et sociale qui caractérise historiquement la ville. Située à l’ouest du Burkina Faso dans la région des Hauts- Bassins, Bobo-Dioulasso représente un important carrefour culturel et économique sous-régional par sa situation géographique à la croisée d’axes transnationaux majeurs entre les pays sahéliens (Mali et Niger) et les pays côtiers (Côte d’Ivoire, Ghana, Bénin et Togo). Bobo-Dioulasso s’est construite à travers la diversité des populations qui l’ont peuplée. Appelé Sya avant la colonisation française, Bobo-Dioulasso fait partie des réseaux urbains africains sur lesquels la colonisation française s’est appuyée pour développer son économie autant que son contrôle politique. L’administration coloniale française s’installa à Bobo- Dioulasso en 1897 avec la création de la région Niger-Volta qui fut rattachée au Soudan français. Le territoire de la Haute-Volta fut créé en 1919, mais disloqué en 1932 pour être réparti sur les territoires du Soudan, du Niger et de la Côte d’Ivoire à laquelle sera rattaché Bobo-Dioulasso. Reconstituée en 1947, la Haute-Volta deviendra indépendante en 1960. La présence coloniale française à Bobo-Dioulasso a joué un rôle majeur sur l’urbanisation et la croissance démographique de la ville en raison notamment du développement des activités industrielles et économiques et de la main-d'œuvre que cela a pu attirer. La population de Bobo-Dioulasso s’est aussi construite au gré des migrations rurales de différentes populations du sud-ouest burkinabè27 et plus récemment du centre, avec une importante migration mossi.

Ce petit détour par l’histoire du peuplement de la ville et plus largement des mouvements migratoires sous-régionaux et internationaux est essentiel à la compréhension du contexte de l’étude. En effet, les enfants vivant avec le VIH sur lesquels a porté cette étude ne sont pas des « enfants du lignage » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Rabain (1979), mais des enfants relevant de filiations «métissées» dans le sens où leur père et leur mère sont de groupes ethniques différents28. Ce constat pose une question épistémologique fondamentale à l’anthropologie dont l’appareil conceptuel relatif à la parenté et à la filiation repose sur une logique de groupe ethnique. Comment en effet, penser le rôle de la famille

26 Ce manque de données est relevé dans le rapport de l’étude monographique réalisée sur Bobo-Dioulasso dans le cadre du Recensement

Général de l’habitat et de la population réalisé en 2006, il est ainsi noté dans le rapport : « En matière de données statistiques, très peu d’études existent sur la ville de Bobo Dioulasso et celles qui s’y intéressent, s’attellent à une description sommaire des phénomènes. La présente monographie se justifie donc par ce manque d’informations. Il se propose de répondre aux attentes des utilisateurs des données démographiques et socio-économiques se rapportant à la ville » (INSD, 2009, p. 15). Il existe par contre peu de travaux restituant la réalité du contexte urbain. Ceci rend difficile de travail de contextualisation des données qualitatives, dans un contexte social et démographique marqué par d’importants changements.

27 La Sud-ouest burkinabè est caractérisé par une importante diversité des groupes ethniques avec les Bwaba et les Ko qui occupent l'Ouest

du pays autour de Bobo-Dioulasso, Dédougou et Houndé ; les Sénoufo, les Gouin et les Karaboro vivent aux frontières du Mali et de la Côte d'Ivoire ainsi que les Lobi, les Dagari et les Gans habitent au Sud du territoire burkinabè, aux frontières de la Côte d'Ivoire et du Ghana. Bobo-Dioulasso comprend également une importante population Mossi.

28 Le détail des caractéristiques sociodémographiques des enfants est présenté dans l’annexe 1, pp. 392-401.

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