• Aucun résultat trouvé

198 | C HAPITRE 6 T AIRE ET CACHER LA MALADIE AUX ENFANTS D ITS , NON DITS ET QUIPROQUOS

P ARTIE III 

198 | C HAPITRE 6 T AIRE ET CACHER LA MALADIE AUX ENFANTS D ITS , NON DITS ET QUIPROQUOS

la non-information des enfants est communément imputée aux parents, par les soignants – qui ne sont pas formés à informer les enfants et à conseiller les parents à ce sujet – nous verrons que ce défaut d’annonce est largement conditionné par l’ajournement politique et institutionnel qui prévaut depuis le début de l’épidémie. Nous nous intéresserons ensuite aux déterminants individuels et sociaux qui conduisent les parents à taire la maladie à l’enfant. Nous montrerons enfin que les situations de non- annonce ne doivent pas être assimilées à un secret absolu, d’où ne « sécréterait » aucune information. En effet, si le sida n’est pas formellement nommé, des non-dits signifiants évoquant la gravité de la maladie, le secret ou la mort sont de facto produits. Ces non-dits proviennent généralement des usages euphémiques qui sont faits du sida et constituent autant de discours sur le sida auxquels sont confrontés les enfants bien que la maladie ne soit pas formellement nommée.

I - ENTRE PRATIQUES PROFANES ET « POLITIQUE DU SILENCE » : LA « ZONE GRISE » DE L’ANNONCE À L’ENFANT

La non-annonce de leur maladie aux enfants vivant avec le VIH est communément attribuée aux parents. Les soignants et conseillers associatifs expliquent ce défaut d’information en déclarant que les parents « ne veulent pas parler aux enfants ». Le silence des parents est une réalité avérée comme en fait état la littérature consacrée au sujet (voir par exemple Arun, Singh, Lodha, & Kabra, 2009; Ostrom, Serovich, Lim, & Mason, 2008; Vaz, et al., 2011; Waugh, 2008). Mais cette focalisation sur le refus parental fait abstraction des déterminants structurels et des pratiques historiques d’information des patients. Or de fait, l’annonce aux enfants vivant avec le VIH dans les pays du Sud relève d’une « politique du silence ». En conséquence, l’annonce aux enfants qui repose essentiellement sur les parents ou leurs tuteurs représente une « zone grise » caractérisée par la contingence de l’information des enfants.

A - Annoncer une maladie grave : l’institutionnalisation récente d’une pratique sensible

L’annonce d’une maladie grave constitue une expérience traumatique pour le malade comme pour l’entourage familial. La révélation du diagnostic incarne en effet ce moment singulier inaugurant ce que le sociologue américain Bury a décrit comme étant une « perturbation biographique » (biographical disruption) (1982). L’information des patients constitue également une épreuve difficile pour les soignants qui sont les porteurs « d’une mauvaise nouvelle » évoquant souvent la perspective de la mort. Bien que l’annonce de la maladie incarne un moment critique inaugurant la relation médecin-malade et conditionnant son évolution, la non-annonce de la maladie a longtemps été une pratique dominante. Comme nous allons maintenant le voir, si dans les pays du Nord les pratiques d’information ont radicalement évolué depuis les années 1990, l’annonce d’une maladie grave demeure une pratique embryonnaire dans les pays sub-sahariens.

Historiquement, dans le contexte paternaliste qui a longtemps caractérisé la relation médecin- malade, l’absence d’information des patients était considérée comme une pratique « normale », constituant même un acte de bienfaisance visant à « préserver » ces derniers du traumatisme de l’annonce d’une maladie grave. Pour prendre l’exemple de la France, comme le note Haegele, l’article 31 du premier code de déontologie médicale de 1947 stipulait alors « [qu’un] pronostic grave peut légitimement être dissimulé au malade. Un pronostic fatal ne doit lui être révélé qu’avec la plus grande circonspection » (Haegele, 2006, p. 25). Lorsque les patients étaient informés, l’annonce relevait plus d’une éthique et de

CHAPITRE 6.TAIRE ET CACHER LA MALADIE AUX ENFANTS.DITS, NON-DITS ET QUIPROQUOS |199

pratiques personnelles que d’un dispositif d’annonce institutionnalisé et systématisé. En France, les pratiques d’information des patients ont évolué dans les années 1990 sous l’influence conjuguée de la transformation de la relation entre patients et soignants (Castel, 2005), d’une demande croissante d’informations de la part des patients et de l’instauration de nouvelles législations en matière de droits des patients. Ces transformations ont été entérinées par la loi française du 2 mars 2004 – dite la loi Kouchner – qui consacre le droit du patient à l'information142. Aux États-Unis et dans les pays d’Europe du Nord où prévaut une relation médecin-patient de type autonomiste, les pratiques d’information des patients ont évolué à partir des années 1970 (Thiel, 2006).

Le cas du cancer offre un exemple emblématique de l’évolution des pratiques d’annonce et de leur institutionnalisation ces deux dernières décennies. En France, l’information des patients n’a été institutionnalisée que dans les années 2000 suite aux revendications formulées par les malades à l’occasion des premiers États Généraux contre le Cancer organisés en novembre 1998. Afin de répondre aux revendications alors formulées, un « dispositif d’annonce » a été mis en place au niveau national dans le cadre du plan cancer lancé en 2004. L’un de ses objectifs phares – l’objectif n° 40 – était en effet de « permettre aux patients de bénéficier de meilleures conditions d’annonce du diagnostic de leur maladie »143. L’instauration de ce « dispositif d’annonce » constitue indéniablement une avancée majeure dans la relation et le dialogue médecin-malade. Toutefois, comme le souligne Fainzang dans La Relation médecins-malades : information et mensonge (Fainzang, 2006) l’information des patients demeure une pratique complexe et sensible. Elle constate ainsi que « dans le corps médical comme parmi les malades, on assiste davantage à des professions de foi sur la nécessité de l'information qu'à des comportements effectifs, attestant la volonté de la donner ou de la réclamer » (2006, pp 147). S’intéressant alternativement à l’annonce du point de vue des médecins et des patients, Fainzang montre que dans un contexte institutionnel où l’information du patient est devenue un droit, celle-ci demeure « parcellaire, voire lacunaire ». D’un point de vue sociologique, Fainzang caractérise de « mensonge » la nature de la communication existant entre médecins et malades. Les médecins déploient en effet différentes stratégies afin ne pas dire les choses clairement aux patients. Ils peuvent ainsi minimiser le mal, médiatiser l’information à travers le compte rendu de consultation ou employer des termes techniques rendant leurs discours opaques. L’information des patients demeure problématique comme en témoigne le glissement qui s’est opéré du silence qui entourait autrefois le cancer vers celui dont les « métastases » font désormais l’objet. Si le mot « cancer » est aujourd’hui prononcé, l’évitement langagier porte désormais sur les

142 L’article L.1111-2 du Code de la santé publique, issu de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 stipule que : « Toute personne a le droit

d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l'information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée soit à leur degré de maturité s'agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s'agissant des majeurs sous tutelle ».

143 Il est à noter que le « dispositif d’annonce » n’est entré en vigueur au niveau national qu’en 2006, soit 8 ans après la tenue des

premiers États généraux sur le cancer. Les dispositifs d’annonce mis en place en 2004 l’ont été dans le cadre de projet pilotes.

Outline

Documents relatifs