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170 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

170 | C HAPITRE 4 L’ ENFANT COMME ICÔNE DU SIDA : ICONOGRAPHIE D ’ UNE « VICTIME INNOCENTE »

recommandent de soutenir les communautés et les familles afin que la prise en charge institutionnelle des enfants orphelins soit réduite au minimum, les volontaires contribuent à entretenir ce système particulièrement controversé en raison de son coût financier, mais également de l’impact délétère en termes affectif ou psycho-développemental. Réalisant des séjours de courte durée, ils viennent par ailleurs alimenter le turnover élevé des soignants et éducateurs, ce qui pose problème du point de vue du bien- être psychologique des enfants, notamment en matière d’attachement. Alors que les enfants orphelins ont déjà dû faire face au deuil de leur(s) parent(s) et quelque fois à la séparation d’avec leur fratrie et d’autres membres de la famille avec lesquels ils pouvaient vivre au quotidien, ils se retrouvent à nouer des liens affectifs successifs avec différentes personnes et de façon temporaire.

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L’analyse socio-historique de la réponse internationale apportée à l’épidémie révèle le « traitement politique à la marge » des enfants. Alors qu’en Afrique sub-saharienne les enfants de moins de quinze ans représentent plus de 10 % des personnes vivant avec le VIH (UNAIDS, 2010), le sida demeure une maladie d’adultes, relevant d’une approche de type individualiste construite à partir de la notion épidémiologique de « groupes à risque ». Les politiques publiques peinent à appréhender le sida comme une « épidémie familiale », nécessitant une approche globale prenant en compte les parents et les enfants qu’ils soient ou non infectés par le VIH. Le sida pédiatrique n’est finalement sorti de l’ombre qu’à partir du milieu des années 2000. Ceci est non pas l’effet d’une politique publique ciblant les enfants vivant avec le VIH, mais la conséquence directe de la « fenêtre d’opportunité » qu’a constituée l’accès aux thérapies antirétrovirales pour les adultes. L’invisibilité qui a longtemps caractérisé l’épidémie chez les enfants s’explique notamment par la focalisation de la réponse sur la question des « orphelins et enfants vulnérables ». Ceux- ci constituent une catégorie-écran au prisme duquel s’est structurée l’action publique, avec pour conséquence, le fait d’oblitérer la réalité et de la diversité des situations vécues par les enfants « affectés » d’une part et les enfants « infectés » d’autre part.

Par ailleurs, l’ambiguïté qui caractérise les « politiques publiques de l’enfance face au sida » est alimentée par le traitement moral qui a été fait des enfants dans le contexte de l’épidémie. Personnifiant la quintessence de la vulnérabilité, les « orphelins du sida » sont en effet devenus une figure iconique de la lutte contre le sida, notamment parce qu’ils incarnent des « victimes morales » d’une épidémie considérée comme « immorale ». Leur popularité et la « passion » qu’ils suscitent sont alimentées par l’hypermédiatisation dont ils ont fait l’objet. L’image des enfants circule en effet à l’échelle internationale à travers la presse écrite, le photojournalisme, mais les ONG et les organismes internationaux qui instrumentalisent l’image et le symbole de l’enfant « innocent » dans leur communication institutionnelle également. Au final, « l’économie morale » des enfants face au sida ici décrit pose la question de la reconnaissance des enfants à la fois en tant que « sujets politiques » et « objets de politiques ». Alors que le sida est communément qualifié par son exceptionnalisme comme une « épidémie politique »(Pinell, 2002), le sida pédiatrique constitue une « épidémie apolitique ».

CHAPITRE 5

UNE ÉPIDÉMIE FAMILIALE

ans le prolongement de la réflexion menée sur les « politiques culturelles de l’enfance au temps du sida », ce chapitre traite du sida en tant « qu’épidémie familiale ». Il s’agira ici d’analyser le traitement politique fait de la « famille » dans les politiques internationales contre le sida, afin d’éclairer la réalité du contexte familial de prise en charge des enfants vivant avec le VIH. En effet, trois décennies après la découverte des premiers cas de sida aux États-Unis, les politiques publiques de lutte contre le sida continuent d'être construites autour de la notion de « groupes à risque ». En conséquence, les politiques de prévention et de prise en charge s’inscrivent dans une approche individualiste et non pas familiale.

Dans les pays sub-sahariens, le sida constitue pourtant une « épidémie familiale » appelant une réponse idoine. En effet, les modes de transmission prédominants que sont la voie sexuelle et la transmission de la mère à l’enfant inscrivent le « passage »120 de la maladie dans les relations d’alliance et de filiation. Le sida représente également une maladie familiale en raison du rôle central joué par la famille dans le « travail de soins » et le soutien matériel que nécessitent le suivi et le traitement de l’enfant. Enfin, la famille constitue l’espace social, relationnel et affectif qui conditionne l’expérience de la maladie vécue par les enfants. De fait, c’est au sein de la famille que les enfants vivent au quotidien, prennent leurs médicaments, sont mis dans le secret ou en sont exclus, sont protégés, mais également dans certains cas discriminés.

Cependant, alors que la famille est affectée à différents niveaux par la maladie, l’adoption d’approches familiales de la prise en charge du sida peine à trouver une traduction politique en termes de santé publique 121. La famille est certes mobilisée dans la production de cadres stratégiques et de discours institutionnels, mais c’est essentiellement à travers le « rôle central » qui lui est attribué dans la prise en charge des « orphelins du sida ». La famille fait donc l’objet d’un traitement politique segmentaire que ce chapitre se propose d’éclairer. Pour ce faire, il s’agira de mettre en perspective les constructions politiques faites de la famille par les institutions internationales et la complexité des problèmes auxquels les parents et les enfants sont confrontées au quotidien. Je montrerai notamment qu’en attribuant à la

120 La notion de « passage » ici utilisée fait référence à l’ouvrage Les maladies de passage édité par Bonnet et Jaffré (2003).

121 Depuis le début de l’épidémie, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud, différents acteurs de la prise en

charge des enfants vivant avec le VIH ont mis en évidence le caractère familial de la maladie et la nécessité d’y apporter une réponse adaptée (voir par exemple : Brown & Powell-Cope, 1991; F. L. Cohen, 1994; DeMatteo, Wells, Salter Goldie, & King, 2002; Instone & Fraser, 1991; Rotheram-Borus, Flannery, Rice, & Lester, 2005). Seuls, des projets pilotes interventionnels tels que le programme PTME+ initié en 2000 et coordonné par l’ICAP (International Center for AIDS Care and Treatment Programs) de l’Université de Columbia ont été mis en œuvre. Ce programme vise à améliorer les programmes de prévention de la transmission de la mère à l’enfant en intégrant un accompagnement et une prise en charge thérapeutique de la mère ainsi que de son partenaire, des autres enfants et éventuellement des coépouses. Il a été développé dans les différents pays suivant : Côte d'Ivoire, Kenya, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Thaïlande, Ouganda et Zambie.

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