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La leçon inaugurale de Sophie

38 | I NTRODUCTION GÉNÉRALE

dans les soins aux enfants lorsque la mère est goin – groupe ethnique à filiation matrilinéaire – et le père mossi pour lequel la filiation est de type patrilinéaire ? Que deviennent les règles régissant la « circulation des enfants » entre deux lignées, alors que comme l’avait démontré Lallemand chez les Mossi, le « don » d’enfants constitue une forme d’échange comparable à la circulation des femmes dans l’alliance (Lallemand, 1992, 1993).

Dans la lignée de l’histoire du peuplement qui vient d’être évoquée, la compréhension du contexte de l’enquête implique également d’évoquer la question des migrations transnationales. Historiquement, le Burkina Faso connaît d’importantes migrations internes autant qu’externes, notamment avec la Côte d’Ivoire, dont il est depuis la période coloniale un important pourvoyeur de main d’œuvre dans le cadre notamment des économies de plantation de cacao et de café29. Ainsi, selon le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) effectué en 1998, sur une population totale de 15 366 672 habitants, la Côte d’Ivoire comptabilisait 3 954 550 étrangers, soit 25,75% de la population totale. Les ressortissants du Burkina Faso, au nombre de 2 238 548, constituent la communauté étrangère la plus importante : elle représente 56,6% des étrangers et 14,56% de la population totale ivoirienne. Il est important de souligner ce point pour la compréhension du contexte de cette thèse. Les liens humains autant qu’économiques et sociaux existant entre les deux pays transparaissant très nettement dans les trajectoires de nombre de parents et d’enfants vivant avec le VIH rencontrés. Ainsi, vingt-trois parents interviewés ont habité ou travaillé de façon régulière ou saisonnière en Côte d’Ivoire à un moment de leur vie30.

La compréhension du contexte socioculturel dans lequel s’inscrit cette recherche implique également de prendre en considération la question des transformations sociales des structures familiales en milieu urbain. À Bobo-Dioulasso, l’union libre concerne plus 45,5 % des jeunes de 20-29 ans vivant en couple. Pour la tranche d’âge des 30-39 ans et des 40-49 ans, les divorcés sont plus importants numériquement avec respectivement 30,0 % et 25,5 % pour ces générations contre 31,0 % et 20,7 % de personnes mariées. Il est également important de souligner que 9,7 % des 30-39 ans et 18,7 % des 40-49 ans sont veufs. Dernier chiffre que nous retiendrons, 16 % des chefs de ménage sont des femmes, contre 11 % au niveau national (INSD, 2009). En Afrique de l’Ouest où l'idée d'une prédominance de la « famille étendue » continue de prévaloir, ces chiffres montrent une importante « instabilité matrimoniale » qui a des implications directes en matière d’annonce aux conjoints, de soutien financier ou moral en cas de maladie et de prise en charge des enfants en cas de décès des parents.

Le quatrième point concerne la situation de pauvreté endémique qui caractérise le Burkina Faso. Pays enclavé, situé en zone sahélienne et dont la principale ressource d’exportation est le coton, le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du monde. Au classement de l’Indice du développement humain (IDH) produit par le PNUD, il occupait en 2010, le 161e rang sur 169 (PNUD, 2011). En 2006, plus de 46 % des quatorze millions de

29 La Haute-Volta était par ailleurs définie comme «réservoir de main-d'œuvre» par l’administration coloniale française. La population de la

colonie a ainsi alimenté les nombreux chantiers sous-régionaux de l’Afrique Occidentale Française (AOF).

30 Notons que dans le cadre de ses recherches sur le de sida à Abidjan dans les années 1990, Vidal notait à propos des caractéristiques

sociodémographiques des patients fréquentant les Centres Anti-Tuberculeux (CAT), qu’au-delà d’une forte proportion d’hommes (78 %) qui reflétait alors la masculinisation de l’épidémie, 56,7 % étaient des étrangers, parmi lesquels 25,4 % étaient burkinabè (1996, p. 31). Les données du RGPH 2006 révèlent qu’environ 2 % de la population Burkinabè en 2006 soit 251 918 personnes, sont des Burkinabè de retour de Côte d’Ivoire de deuxième génération. Un peu plus de la moitié de ces burkinabè de retour sont des femmes (50,2 %) (RGPH-2006, 2009).

INTRODUCTION GÉNÉRALE |39

Burkinabè vivaient en dessous du seuil de pauvreté31. Si le niveau de pauvreté est relativement moindre à Bobo-Dioulasso qu’au niveau national, les familles touchées par la maladie font souvent face à une importante paupérisation, sous l’effet conjoint de l’augmentation des coûts liés à l’achat des traitements médicaux et la baisse de revenus induite par la baisse d’activité qu’engendre la dégradation de l’état de santé. Ce contexte de pauvreté généralisée a d’importantes implications en matière d’accès aux soins des enfants ou de prise en charge de ces derniers, lorsque leurs parents sont décédés. Au-delà de la « solidarité familiale » et de la « vulnérabilité » de l’enfant, les questions d’ordre économique, trop souvent ignorées dans les analyses anthropologiques, jouent également un rôle déterminant dans l’engagement de l’entourage familial dans les soins requis par un enfant vivant avec le VIH. L’appui matériel procuré par les associations à travers le paiement de médicaments, des frais de scolarité ou des dotations alimentaires représente des ressources essentielles expliquant, au-delà du soutien moral que les associations peuvent apporter, le rôle central joué par ces structures dans la prise en charge des enfants.

« J’aime l’hôpital, car là-bas le docteur me donne des médicaments ! »

L’hôpital constituant une des principales composantes de la prise en charge pédiatrique du sida, le paragraphe suivant vise à en décrire le rôle, en s’attachant notamment à souligner le travail singulier des soignants. L’hôpital occupe en effet une place centrale dans la gestion de la maladie des enfants comme l’illustre cette remarque que plusieurs d’entre eux m’ont faite : « J’aime l’hôpital, car là-bas le docteur me donne des médicaments ! » Interrogés sur les métiers qu’ils souhaiteraient faire à l’avenir, nombre d’enfants ont également évoqué leur désir de devenir docteur. C’est en effet à l’hôpital que s’effectue l’essentiel de la prise en charge thérapeutique des enfants, les traitements y étant prescrits et dispensés, et les examens cliniques réalisés. À Bobo- Dioulasso, la prise en charge des enfants vivant avec le VIH relève essentiellement du service de pédiatrie de l'hôpital hospitalier universitaire Souro Sanou et de la SMI de la caisse de sécurité sociale32. La décentralisation de la prise en charge n’a été initiée qu’en 2008 avec la formation des médecins généralistes à la prise en charge pédiatrique. Les premiers enfants ont été mis sous traitement en 2003 grâce aux « parrainages thérapeutiques » que proposaient certaines associations afin d’assurer le paiement des traitements antirétroviraux aux enfants. Le programme national d’accès aux traitements antirétroviraux a été initié en 2004. À la différence des adultes, les traitements pour les enfants ont dès lors été gratuits. Soulignons toutefois que les parents doivent généralement assurer le paiement d’autres médicaments prescrits pour le traitement de maladies opportunistes, sachant que ces « spécialités » comme elles sont communément appelées sont généralement d’un coût élevé, la majorité d’entre eux n’existant pas sous forme générique. Suivant les financements internationaux obtenus, certaines associations assurent le financement de ces médicaments, ainsi que le paiement des frais relatifs

31 Pays de l’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est considéré comme l’un des pays les plus pauvres du monde avec un Revenu

National Brut par habitant de 400 $US en 2005 (BAD/OCDE, 2007). Un peu plus de ¾ de la population (81%) vit avec moins de 2$US par jour. L’économie au Burkina Faso repose essentiellement sur l’agriculture et l’élevage qui occupent plus de trois quarts de la population active et contribuaient pour 30,9% du PIB du pays en 1998 (BAD/OCDE 2007). Les dépenses totales consacrées à la santé par habitant sont de 77 $US (PNUD, 2007)31. La situation sanitaire est caractérisée par un niveau de mortalité élevée en raison d’une

faible couverture sanitaire et vaccinale ainsi que d’un accès réduit et inégalitaire aux soins (Ridde, 2003, 2007).

32 Au Burkina Faso, les structures publiques de soins sont organisées en trois niveaux qui assurent des soins primaires, secondaires

et tertiaires. Le premier niveau concerne le district sanitaire qui comprend les Centres de Santé et de Promotion Sociale (CSPS) et le Centre Médical avec Antenne chirurgicale (CMA) qui sert de référence pour les formations sanitaires du district. Le deuxième niveau est représenté par le Centre Hospitalier Régional qui sert de référence aux CMA. Le troisième niveau est constitué par le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) qui est le niveau de référence le plus élevé pour les soins spécialisés

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