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CONTEMPORAINE AU TEMPS DU SIDA

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m’a dit que j’avais le sida, j’ai pensé que j’allais mourir… Parfois dans la rue, je me mettais à pleurer et les gens m’arrêtaient pour me demander si ça allait.

Quelque six mois après la découverte de son statut sérologique, Victoire décida, sur les recommandations d’une conseillère associative, de faire dépister ses trois filles. Il s’avéra que deux d’entre elles furent dépistées séropositives au VIH.

« J’ai emmené les enfants faire le test. Quand j’ai été cherché les résultats, j’ai cru que j’allais tomber. La petite et la plus grande étaient infectées. Depuis qu’elle est née, la petite est toujours malade. Mais pour la plus grande, je ne comprends pas ! »

Suite à ces résultats, Victoire informa les deux aînées.

[…] Après le dépistage, je les ai appelées et je leur ai dit : « Vous voyez cette situation : c’est parce que j’ai la maladie que vous avez été faire votre dépistage. Actuellement j’ai peur, car je ne sais pas si vous êtes négatives. Vous avez peut- être été contaminées par moi. Je veux savoir et être certaine que vous êtes en bonne santé. Je leur ai dit de ne pas parler de cela à quelqu’un. Si tu as rendez- vous et que tu dois partir à l’hôpital, tu vas demander la permission à l’école. Mais tu ne parles pas !

Les propos de Victoire illustrent toute la violence des conditions de l’information des enfants dans un contexte institutionnels où les protocoles d’information et de conseil pré-test et post-test font défaut. Lorsque les enfants sont dépistés, tout se passe comme s’ils étaient « transparents » : ils sont réduits à des corps physiques, dépourvus d’entendement et de compétences sociales. La question de savoir comment les enfants peuvent vivre le dépistage, ce qu’ils connaissent et comprennent du VIH/sida, ou comment préparer les parents à leur annoncer la maladie à l’enfant demeurent des problématiques largement ignorées au milieu des années 2005. Lorsque les deux aînées ont appris le statut de leur mère et de deux membres de leur fratrie, elles ont dû porter seules ce lourd secret. Au sein de la cellule familiale autant que de l’association qu’elles fréquentaient, les espaces de communication étaient en effet alors inexistants. Que les membres de la famille soient dans le secret ou hors du secret, les relations sociales sont conditionnées par ce qui est dit ou non de la maladie à l’intérieur autant qu’à l’extérieur de la famille. Dans le cas de la famille de Victoire, seules deux de ses filles sont informées de l’infection sur trois d’entre elles. La mère et deux de ses filles contribuent toutes trois à préserver le secret vis-à-vis de la benjamine. Pourtant il s’avéra que cette dernière soupçonnait sa maladie, mais qu’elle n’osa en parler, ni à sa mère, ni à ses sœurs durant plusieurs mois.

Après la naissance de son fils Éric, Victoire dut attendre qu’il ait dix-huit mois pour apprendre qu’il n’était pas infecté par le VIH125. Faute d’une politique systématique de dépistage précoce des enfants nés de mères vivant avec le VIH126, elle vécut durant dans l’angoisse de savoir si son fils était ou non infecté par le VIH comme elle l’explique ici :

125 Au moment de la réalisation de cet entretien, Victoire ne connaissait pas encore le statut sérologique définitif de son fils. 126 Le dépistage du VIH consiste en la mise en évidence de la présence d’anticorps dirigés contre les divers constituants du VIH à

travers l’utilisation de tests. Ces tests présentant un faible coût et couramment utilisés pour le dépistage des adultes ne sont

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Vraiment je me souciais de l’enfant. Je ne voulais pas que cet enfant soit contaminé à cause de moi. Puisque c’est un innocent qui vient. S’il vient et qu’il est contaminé, vraiment ce n’est pas bien. À chaque fois, je pensais à ça. Jusqu’à présent je me soucie de son cas. Comme je lui ai donné le lait maternel jusqu’à quatre mois avant de le sevrer… Donc, tant que je n’ai pas fait le test de dépistage de ce bébé, je ne suis pas tranquille ... Pour les autres, comme je sais où me situer, je suis en paix avec moi-même.

La santé de son fils était d’autant plus préoccupante pour Victoire que, comme nombre de femmes en Afrique sub-saharienne, son histoire génésique est ponctuée d’une fausse couche et du décès d’un enfant en bas âge. En effet, en 1990, quelques mois après son mariage, Victoire fit une fausse couche à six mois de grossesse. Huit ans plus tard, elle perdit un enfant âgé de huit mois, alors qu’elle-même développait une tuberculose : « il était malade depuis la naissance »127.

Au-delà de l’épreuve causée par la découverte de sa séropositivité et de la crainte de transmettre la maladie à son bébé, Victoire doit au quotidien s’attacher à dissimuler sa maladie et celle de ses enfants. Elle veille ainsi à donner le traitement à sa fille de sept ans à l’intérieur de la maison « afin que les voisins ne sachent pas ». Elle doit également répondre aux questions inquisitrices des membres de son entourage concernant le traitement particulier qu’elle réserve au bébé.

Quand je lui donnais le sein, je n’étais pas contente. C’est parce que je n’avais pas les moyens. Si j’avais les moyens, je n’allais pas lui donner. Puisque je sais qu’en lui donnant, ça ne va pas lui faire du bien. Mais comme le docteur a dit de lui donner le lait maternel sans l’eau pendant 4 mois, donc je ne lui donnais pas d’eau. Les voisines me disaient « Mais tu ne donnes pas de l’eau à ton enfant ? » Un jour une des voisines a pris de l’eau et a dit : « Je vais donner de l’eau à l’enfant là ». Je lui ai dit « Hé ! Ce que les docteurs ont dit là, on doit respecter ça. Laisse mon bébé. C’est mon bébé. Si moi je dis qu’on ne donne pas l’eau, on ne donne pas. Donc, laissez-le comme ça !» […]Elles sont curieuses. Il y a en a d’autres qui viennent pour dire : « L’enfant est en train de pleurer, il faut lui donner à téter ». Je répondais : « Il n’a pas faim. Il a sommeil ». J’étais obligée de camoufler comme ça. […]Ça me fait de la peine de mentir. Je suis obligée de mentir comme ça. Puisque si je leur dis la vérité, eux ils ne vont pas chercher à comprendre. Peut-être qu’ils vont me détester ou

utilisables chez l’enfant qu’à partir de 18 mois, ces derniers étant porteurs avant cet âge des anticorps de leur mère. Seul un examen biologique visant à mettre en évidence la présence de l’ADN viral suivant la technique de la PRC (Polymerase Chain Reaction) permet d’établir un diagnostic. Généralisée dans les pays du Nord depuis la fin des années 90, l’utilisation de la PCR dans le cadre du diagnostic précoce d’enfants nés de mères vivant avec le VIH demeure limitée et constitue un véritable enjeu de santé publique. À Bobo-Dioulasso, suivant un rapport établit par le projet GRANDIR sur la disponibilité des ARV et de la PCR, si l’accès à la PCR est effectif, les délais d’obtention des résultats était de plus de deux mois ce qui accroît le délai d’attente pour les mères et hypothèque les bénéfices attendus du dépistage précoce. Ces délais constatés dans différents pays s’expliquent ainsi : « L’accès à la PCR progresse donc, mais assez lentement, avec une régression dans certains pays liée au rythme ralenti des examens (engorgement des appareils ou au contraire rythme lent, car attente d’un grand nombre d’échantillons pour lancer un cycle), au dysfonctionnement des appareils (maintenance lente) ou à des ruptures de stock de réactifs. On relève souvent une lenteur au démarrage lorsqu’un site est équipé d’un appareil de PCR : l’achat et la livraison des réactifs et du matériel annexe (congélateurs notamment et petit matériel de prélèvement), la formation du personnel, l’organisation du prélèvement et du transport des échantillons, la communication des modalités d’analyses aux sites de prise en charge, sont des facteurs limitants » (GRANDIR, 2010).

127 Les taux de mortalité infantile (moins d’un an) étaient respectivement de 110 ‰ en 1990 versus 92 ‰ en 2008 au Burkina Faso et

de 104 ‰ en 1990 versus 81 ‰ en 2008 en Côte d’Ivoire (UNICEF, 2010).

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