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70 | C HAPITRE 1 L’ ANTHROPOLOGIE DE L ’ ENFANCE : UN CHAMP DYNAMIQUE EN MUTATION

Plan de thèse

70 | C HAPITRE 1 L’ ANTHROPOLOGIE DE L ’ ENFANCE : UN CHAMP DYNAMIQUE EN MUTATION

Dans le champ de l’anthropologie anglophone, un groupe d’intérêt – Anthropology of Childhood Interest Group56 – a été constitué en 2007. Il s’agit du groupe créé au sein de l’American Anthropological

Association57. Dans un article publié à l’occasion d’un numéro dédié à l’anthropologie de l’enfance à l’association, Anthropology News58, Lancy (2008), dresse un bilan des développements récents de l’anthropologie de l’enfance américaine. Il souligne l’accroissement de la production éditoriale à travers la publication d’un numéro spécial en juin 2007 de l’American Anthropologist, le développement d’une série éditoriale consacrée aux enfants aux Presses de l’Université de Rutgers, ainsi que de revues scientifiques spécialisées : Children and Society (Blackwell), Human Nature (Springer) et Childhood (Sage). Lancy note également l’augmentation du nombre des sessions consacrées aux enfants dans les colloques, dont ceux spécifiquement consacrés à la thématique de l’enfance. Dans la note de présentation du groupe, il est indiqué :

« the need for an interest group concerned with children and childhood centers on the fact that despite growing interest in the area of cross-cultural research on childhood, children’s experiences, and children’s rights, there is currently no established place for such work, especially outside the realm of education. […] The Anthropology of Children and Childhood Interest Group will advocate for members who are developing this vital yet neglected field. It will provide a forum for the increasing number of anthropologists and other researchers broadly concerned with children and childhood to develop ideas, network, and share resources in this growing field”.

L’association savante International Union of Anthropological and Ethnological Sciences (IUAES) comprend également un groupe thématique dédié aux enfants et aux jeunes – Commission on Anthropology of Children, Youth and Childhood – qui a été créé en 2001. À la différence du champ anglo- saxon, l’anthropologie française ne dispose pas de tels groupes de travail dédiés à l’enfance au niveau de la France. Ceci s’explique par le fait que les principales associations françaises d’anthropologues – l’Association française des anthropologues (AFA) créée en 1979 et l’Association française d'ethnologie et d'anthropologie (AFEA) créée en 2009 – ne sont pas structurées autour de groupes de travail.

La vitalité de l’activité scientifique anglophone se traduit effectivement ces dernières années à travers la littérature prolifique dont un aperçu a été donné précédemment. L’anthropologie de l’enfance anglophone bénéficie également de la synergie générée par les Childhood studies, qui se traduit par une importante activité éditoriale des revues scientifiques spécialisées sur l’enfance, notamment depuis les années 1980. Ont ainsi été créées Children & Society en 1987, Childhood en 1993, Vulnerable Children and Youth Studies en 2006, Childhood today en 2007, Childhood in Africa: An Interdisciplinary Journal en 2009, Red Feather – An international journal of children’s visual culture en 2010, Global Studies of Childhood en 2011 et Anthropochild en 2011.

56 On peut consulter le site internet Anthropology of Childhood Interest Group à l’adresse suivante : http://www.usu.edu/aaacig/ [consulté

le 29 juin 2011].

57 Créée en 1902, AAA est au niveau mondial la plus grande organisation d’anthropologues avec plus de 10 000 membres. Le site de l’AAA

est accessible à l’adresse suivante : http://www.aaanet.org/about/. 58 Anthropology News. Vol 49, n° 4, April 2008.

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L’activité scientifique du champ se développe également autour de colloques nationaux et internationaux spécialement consacrés à l’anthropologie de l’enfance qui ont eu lieu ces dernières années. Les rencontres scientifiques suivantes ont ainsi été organisées : Multiple Childhoods/Multidisciplinary Perspectives en mai 2011 à l’université de Rutgers-Camden aux États-Unis, la conférence internationale Childhood and Youth in Transition en juillet 2010) à Sheffields (Royaume Uni) par The Centre for the Study of Childhood and Youth ; la conférence des doctorants Exploring Childhood Studies: A Graduate Student Conference organisée par le Department of Childhood Studies à l’université de Rutgers aux États-Unis, la seconde conférence internationale Re-Presenting Childhood & Youth – en juillet 2010 à l’université de Sheffield (Royaume-Uni) ; la conférence interdisciplinaire Childhood & Migration: Emerging Perspectives on Children in Migratory Circumstances en juin 2008 à l’Université de Drexel en Pennsylvanie (États-Unis) ; ou encore la première conférence internationale Child and Youth Research in the 21st Century: A Critical Appraisal organisée en mai 2008 par l’International Childhood and Youth Research Network à l’Université européenne Cyprus à Nicosie (Chypre).

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Alors que l’anthropologie de l’enfance continue d’être perçue comme un « petit sujet », je me suis attachée à montrer qu’elle constituait un champ scientifiquement dynamique, mais qui demeure peu reconnu par le reste de la discipline, car étant peu structuré au niveau des universités et des institutions de recherche. À l’instar des questions de genre ou des études post-coloniales, il est essentiel que les rapports sociaux d’âge et les relations intergénérationnelles deviennent des entités analytiques jouant un rôle central dans les analyses produites. L’analyse socio-historique de l’anthropologie de l’enfance qui vient d’être faite révèle un champ scientifiquement dynamique, mais faiblement intégré au reste de la discipline. Loin d’être une « nouvelle discipline », l’anthropologie de l’enfance trouve ses racines au début du XXe aux États-Unis, au Royaume-Uni, comme en France. Depuis les années 1990, le développement des

Childhood studies s’est traduit par l’émergence d’un « nouveau paradigme » qui appréhende les enfants comme des acteurs dont il s’agit de restituer l’action sociale et le point de vue. Mais recueillir leur parole suppose de parler en face à face avec les enfants. Or étonnamment, alors que le propre de l’anthropologie est la présence sur le terrain et l’interaction directe avec les personnes, les anthropologues ont peu enquêté avec les enfants. Les problèmes d’ordre méthodologique sont d’ailleurs communément évoqués pour justifier la rareté relative des travaux produits en anthropologie de l’enfance. Pourtant, comme je m’attacherai à le montrer dans le chapitre suivant, les difficultés et enjeux inhérents par la réalisation d’une enquête avec les enfants, sont au final moins des questions à proprement parler d’ordre méthodologique que relationnel à travers ce qui se joue dans la relation d’enquête entre l’adulte qu’est l’anthropologue et l’enfant.

CHAPITRE 2

ENQUÊTER AVEC LES ENFANTS

QUESTIONS THÉORIQUES, ÉPISTÉMOLOGIQUES ET

MÉTHODOLOGIQUES

i l’anthropologie de l’enfance française constitue un champ disciplinaire dynamique en expansion comme cela a été évoqué au chapitre précédent, les questions portant plus spécifiquement sur l’enquête avec y demeurent embryonnaires. Les travaux appréhendant les enfants en tant qu’acteurs impliquent de restituer leur point de vue. La littérature francophone traitant des questions méthodologiques et éthiques inhérentes à l’enquête avec les enfants demeure rarissime (à l'exception des travaux de Danic, Delalande, & Rayou, 2006). Dans ce contexte de « vacuum éthique et méthodologique », j’ai été amenée à « bricoler » une méthodologie, à partir de la littérature anglophone, dont je propose de livrer une analyse à la fois didactique et critique.

Le problème majeur posé par l’enquête avec les enfants est que la méthodologie et les techniques d’enquête requises tendent à être essentialisées. L’argument suivant lequel enquêter avec des enfants poserait des problèmes singuliers, relatifs à la « nature » de l’enfant, est ainsi souvent avancé pour justifier le sous-développement du champ de l’anthropologie de l’enfance. Toutefois, ces « problèmes » ne sont pas précisément décrits, traduisant une méconnaissance de la spécificité des enjeux et pratiques en question. Il est vrai que réaliser un entretien avec un enfant de sept ans pose des problèmes différents de ceux rencontrés avec des adultes. Mais la compréhension de l’enfant, la valeur de sa parole, le sens qu’il donne à une situation ou les rapports inégalitaires de la relation d’enquête, toutes ces « singularités » avancées comme relevant de la « nature » de l’enfant, ne lui sont pourtant pas spécifiques. Au quotidien, le travail de terrain et d’analyse de l’anthropologue est de s’interroger sur la relation d’enquête aussi bien que sur les conditions épistémologiques de production des données recueillies.

D’un point de vue pratique, m’inscrivant dans une perspective visant à dé-essentialiser l’enquête avec les enfants, j’ai adopté un principe de « symétrie méthodologique » suivant lequel, les techniques et la relation d’enquête sont appréhendées de façon analogue chez les adultes et les enfants. Les problèmes particuliers inhérents à l’enquête sont appréhendés de façon contextuelle au regard de situations concrètes et non pas de façon abstraite, simplement parce qu’il s’agit d’enfants. J’ai construit cette posture à partir du concept de « symétrique éthique » (ethical symmetry) développée par Christensen et Prout en matière d’éthique la recherche avec les enfants (2002, pp. 482-483).

Il s’est agi alors, de déconstruire la perspective essentialiste de l’enquête avec les enfants à travers un détour par l’histoire de l’enquête avec les enfants. La réflexion proposée dans ce chapitre nous amènera à décrypter ce qui relève du semblable et du singulier dans l’enquête avec les enfants, comparativement à

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