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La ligne Weygand : principes et moyens

Une action stratégique aux objectifs de plus en plus réduits

1.2 Arrêter l’ennemi sur la Somme et l’Aisne : gagner du temps par la défensive (26 mai – 8 juin)

1.2.3 La ligne Weygand : principes et moyens

Il n’est pas question ici de détailler les instructions tactiques visant à assurer la défense de la ligne Somme-Aisne, car elles feront l’objet d’un développement ultérieur. Il est cependant nécessaire d’évoquer les dispositions générales que Weygand souhaitait mettre en œuvre, c’est à-dire comment est-ce qu’il entendait organiser cette ligne.

• Contrer les Allemands pendant le choc : être capable d’encaisser

Pour tenir le front de la mer à la ligne Maginot, le Grand quartier général réussit à rassembler une trentaine de divisions d’infanterie, 3 divisions cuirassées et 4 divisions légères motorisées en cours de formation, ainsi que douze divisions légères d’infanterie mal équipées. L’infériorité numérique était donc colossale, puisqu’en face les Allemands pouvaient aligner 50 divisions d’infanterie en première ligne, 40 en réserve et 9 divisions panzers. Weygand insista plusieurs fois, et ce dès la fin mai, auprès de Reynaud, du général Colson (chef de l’état-major de l’Armée) et du général Noguès (commandant en chef en Afrique du Nord) pour obtenir le plus de renfort possible, tandis qu’il laissa aux généraux Georges et Doumenc le soin de rassembler, équiper et acheminer vers le front le plus d’unités possibles. Selon le généralissime, il fallait que l’armée française se trouve dès le début de la nouvelle phase des opérations, la plus forte possible sur la ligne Somme-Aisne, c’est-à-dire directement sur la position de résistance qu’il avait identifiée. Une telle nécessité découlait de son refus de toute manœuvre en retraite et de son ordre de tenir « sans esprit de recul ». Cela exigeait par conséquent de masser le plus de troupes possibles à proximité immédiate de ces cours d’eau. C’est pourquoi il indiqua au général Georges que le dispositif prévu par le général Besson – nombreuses divisions disponibles très loin de la position de résistance, emploi de divisions à l’organisation d’une ligne de résistance à plus de 50 km de la ligne de bataille – devait être rapidement redressé dans le sens d’une occupation plus massive vers l’avant68.

67 SHD, 27N 3, Note du général Weygand pour le général Georges, n°1238 3/FT, 29 mai 1940 ; Ordre du général

Weygand au général Georges, n°1260 3/FT, 30 mai 1940 ; Note du général Weygand pour le général Georges, n°1355 3/FT, 4 juin 1940.

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En fait ce souci d’avoir une position de résistance la plus étoffée possible n’a pas empêché le général Weygand de penser à donner de la profondeur à son dispositif. Au niveau tactico-opérationnel, il s’agissait pour lui de quadriller aussi bien la ligne de bataille que les arrières de celle-ci, en l’appuyant notamment sur des centres de résistances cerclés et fermés. Comme nous analyserons en détail cette organisation plus loin, rappelons seulement ici que Weygand multiplia les instructions dans ce sens et fit de ce type d’organisation défensive la

caution tactique de sa stratégie69. Au niveau stratégico-opérationnel, son attention n’était pas non plus totalement focalisée sur la constitution de la ligne Somme-Aisne. C’est ainsi que, dès le 27 mai, il demanda au général Héring (gouverneur militaire de Paris) de préparer la défense de la capitale en tenant compte de toutes les hypothèses, dont la rupture du front en cours de constitution au nord de la ville70. De même, nous avons vu que le généralissime français, dans

son instruction personnelle et secrète au général Georges du 29 mai 1940, avait identifié les lignes de repli du GA 3 – Basse-Seine-position avancée de Paris-Marne – et du GA 2 – décrochage sur sa gauche. Mais, alors que dans le cas de Paris il enjoignait le général Héring d’organiser sa position au plus tôt, en ce qui concernait les armées commandées par le général Besson, elles ne devaient constituer des lignes en arrière du front principal qu’une fois que celui-ci aurait été correctement aménagé. En d’autres termes, sans nier les avantages que présentaient ces secondes lignes, Weygand ne voulait pas sacrifier la profondeur tactique à la profondeur stratégique. Certes, les deux amenaient à diluer les maigres forces de l’armée française. Mais, aux yeux de son chef, la première surcompenserait cette dilution en donnant au système défensif les moyens de dissocier les attaques ennemies avec peu d’unités, alors que la deuxième conduisait à multiplier les lignes qui à très court terme ne seraient jamais assez fortes, prises une par une, pour contenir l’attaque allemande. Or, Weygand savait que la Wehrmacht pouvait repasser rapidement à l’offensive.

• Contrer les Allemands après le choc : pouvoir contre-attaquer

Pour Weygand, se trouver le plus fort possible sur la Somme et l’Aisne signifiait occuper massivement la position de résistance elle-même, couplée à un dispositif en profondeur, ce qui permettrait d’encaisser le choc des armées allemandes, mais également se ménager des possibilités pour contre-attaquer. Il notifia au général Georges de prendre toutes dispositions utiles pour que l’armée française puisse en mener de deux sortes dès que la bataille s’engagerait.

69 Weygand, Op. cit., p. 175.

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Les premières seraient des actions locales, ayant pour but de maintenir l’intégrité du front et menées avec les réserves affectées à chaque armée. Les secondes devraient être des « contre offensives d’ensemble », prescrites uniquement par le généralissime en personne. Dans cette optique, il demanda à son subordonné de créer « deux masses de manœuvres », l’une en arrière du GA 3, l’autre du GA 271.

Cependant, l’application de cet ordre était subordonnée aux possibilités de constituer de telles réserves, d’autant plus que Weygand voulait que ces « masses de manœuvre » fussent des groupements de forces à base d’unités mécaniques. Le 20 mai, il avait déjà demandé à faire venir d’Afrique le complément de deux divisions dont l’infanterie allait être embarquée. Le 25 mai, il avait rappelé au général Georges les diverses actions envisagées pour reconstituer les réserves : prélèvement dans les colonies et sur le front des Alpes, mise sur pied de divisions légères à partir des dépôts et des rescapés de Dunkerque, etc. En tout, le haut-commandement français parvint à créer une douzaine de ces divisions légères. Concernant la constitution des groupements blindés, le général Keller indiquait à Weygand dans son rapport du 29 mai 1940 que la France ne pouvait compter que sur environ 1 500 chars72. Dans l’absolu, cela représentait une force importante, mais qui était largement inférieure aux 2 600 panzers que pouvait aligner l’armée allemande. De facto, les pertes en engins durant les premiers combats et l’usure d’une partie de ceux qui restaient conduisaient le haut commandement à en rabattre dans son ambition de créer des « masses de manœuvre ». D’autant plus que Weygand ne poussa pas la rupture avec la doctrine d’emploi des chars jusqu’au bout, car pour la constitution de sa réserve blindée, il parlait d’y rassembler seulement les grandes unités mécaniques. Autrement dit, les chars servants au sein des divisions d’infanterie y restaient affectés. L’addition de l’état matériel de l’arme blindée française à cette absence de remise en cause totale de la doctrine, impliquait que les grandes unités réservées voulues par Weygand pour mener ses contre-offensives sur les axes d’effort allemands ne seraient pas prêtes avant la mi-juin au plus tôt73.

• Contrer les Allemands avant le début de la bataille : harceler l’ennemi

71 SHD, 27N 3, Note du général Weygand pour le général Georges, n°1354 3/FT, 2 juin 1940. Le général de Gaulle,

dans une lettre à Weygand en date du 2 juin 1940, rappelle la proposition qu’il a fait au généralissime la veille : grouper les trois divisions cuirassées en cours de reconstitution dans un seul Corps cuirassé, qui serait mis en réserve du commandant en chef (Cf. « Lettre au général Weygand, Paris, 2 juin 1940 », in Charles de Gaulle,

Lettres, notes et carnets, t. I, 1919-juin 1940, Paris, Plon, 1980, p. 500). Est-ce à dire que Charles de Gaulle est à

l’origine de la demande de Weygand sur la création de « masses de manœuvre » ? On peut le penser. Il convient cependant de noter que l’idée de regrouper le reliquat des grandes unités mécaniques dans une réserve blindée avait fait l’objet de deux notes du 3e Bureau du GQG à la fin mai-début juin 1940 (Cf. SHD, 27N 79, Note sur

l’étude établie par le Cabinet militaire et Note sur la constitution d’unités mobiles antichars).

72 SHD, 27N 105, Etat des disponibilités en chars au 28 mai 1940 au soir, 29 mai 1940.

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Weygand souhaitait que dès la constitution du front sur la Somme et l’Aisne, les unités françaises menassent une défense active et ne cessassent d’agir pour contrer les préparatifs offensifs allemands74. De manière générale, cette consigne en faveur d’un harcèlement de la Wehrmacht avait été donnée dès la prise de fonction de Weygand, s’inscrivant chez lui dans une volonté de reprendre l’initiative à tous les niveaux. Cependant, au début de juin 1940, elle représentait véritablement le pendant comportemental de la stratégie défensive adoptée par le haut-commandement, dans le sens où celle-ci ne devait pas condamner les armées françaises à l’inertie. D’autant plus que, pour le généralissime, mener le maximum d’actions contre l’adversaire d’outre-Rhin participait pleinement à préparer au mieux la future bataille. D’une part cela gênait la reconstitution des unités ennemies et perturbait leur dispositif. Comme l’armée française n’avait pas le temps pour monter des offensives importantes, ni le potentiel pour les mener, il fallait que ce fussent en priorité les petites unités qui s’engageassent dans ce type d’actions : infiltration, pilonnage d’artillerie, etc. D’autre part, maintenir une pression constante sur les Allemands contribuait à abaisser leur moral. Le combat de harcèlement participait donc à mettre toutes les chances du côté de l’armée française pour la future bataille d’arrêt, puisqu’ils visaient à entamer le potentiel offensif allemand, en termes à la fois strictement opérationnels et psychologiques.

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