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Les rapports avec l’Angleterre : une politique de l’intérêt national

Assurer la survie d’une certaine France

5.2 L’armistice pour conserver la position internationale de la France

5.2.2 Les rapports avec l’Angleterre : une politique de l’intérêt national

• L’Angleterre vue par Weygand

393 SHD, 27N 4, Conseil suprême interallié, Séance du 11 juin 1940. Weygand déclare : « S’il faut envisager

l’occupation complète de la métropole, on en vient à se demander comment la France serait capable de continuer la guerre. »

394 Bernard Destremau, Op. cit., p. 599 et Weygand, Op. cit., p. 216. « Toute mesure de cette ordre devait, à

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Nous n’avons pas trouvé beaucoup d’éléments de première main sur l’état d’esprit du général Weygand vis-à-vis des Britanniques, indépendamment des évènements de mai- juin 1940. Mais nous pouvons tenter d’en dresser les contours.

Egalement historien militaire – ce qui lui a en partie valu une place sous la coupole, il avait constaté le nombre de fois où l’Angleterre s’était opposée à la France. Il n’avait pas oublié les récriminations de Foch à l’encontre de ses homologues britanniques, notamment à propos du maréchal Haig, au printemps 1918. De même, il partageait certainement l’avis de Pétain, selon lequel la politique étrangère britannique avait causé dès l’après Première guerre mondiale, beaucoup de torts à la France. Ces reproches qu’il avait pu formuler à l’égard de la Grande-Bretagne étaient confirmés ou trouvaient en partie leur origine dans sa vision du monde. Bien qu’ayant voyagé en dehors de France après la Grande guerre, Weygand restait par bien des côtés un officier français du XIXème siècle, dont le sentiment national se trouvait renforcé par le fait qu’il n’était pas Français de naissance. Pour lui, la France, dans sa filiation monarchique et catholique, représentait la quintessence de la civilisation humaine. L’Angleterre, quant à elle, était compromise dans un protestantisme dénaturé et, surtout, se complaisait dans l’expansion du capitalisme libéral, avec ses outrances et ses excès. Si ces considérations sont assez grossières, nul doute qu’elles aient participé à ternir l’image que Weygand se faisait du pays de John Bull.

Cependant, il avait apprécié chez les Britanniques les compagnons d’armes de la dernière guerre – et l’on sait l’importance qu’attachent les militaires au fait de participer côte-à-côte aux mêmes combats. Il s’était lié d’amitié avec certains haut-gradés anglais, comme le général Archibald Wavell, qu’il eut plaisir à retrouver lorsqu’il fut nommé commandant en chef du théâtre d’opérations de la Méditerranée orientale395. La correction

impeccable des soldats professionnels de l’armée de Sa Majesté ne pouvait que plaire à un homme qui apportait toujours grand soin à sa tenue, que ce soit en uniforme ou en civil.

Ce que l’on peut conjecturer, c’est qu’il a été, comme beaucoup d’officiers de sa génération, bien disposé envers les Britanniques d’homme à homme, voir en tant que peuple. Mais cette bienveillance laissait place à plus de retenue, si ce n’est de la méfiance, lorsqu’il s’agissait de les juger en tant que nation. Ainsi, au moment où il prit la tête des armées françaises, on peut raisonnablement dire que, si Weygand n’était pas anglophobe, il n’était pas non plus anglophile.

184 • Préserver l’alliance

De sa prise de commandement à la signature de l’armistice, Weygand sera guidé, dans sa vision des rapports qui doivent être ceux entre les deux principaux alliés, par ce qu’il pensait être l’intérêt national français. Si nous résumons brièvement, ce dernier était de remporter la bataille face à l’Allemagne, ou, si elle venait à être perdue, de demander l’armistice. Dans ce dernier cas toutefois, il ne fallait pas que la France puisse être accusée de forfaire à l’honneur en ne respectant pas ses engagements pris à l’égard du Royaume-Uni. La coalition qui avait été formée ipso facto par l’entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni contre l’Allemagne, avait été renforcée par une déclaration commune des deux gouvernements, à la suite du Conseil suprême interallié du 28 mars 1940, aux termes de laquelle ils s’engageaient « mutuellement à ne négocier ni conclure d'armistice ou de traité de paix, durant la présente guerre, si ce n'est de leur commun accord »396. Weygand était-il au courant de cet accord ? Sans nul doute. S’il ne l’était pas dès sa conclusion, Lebrun et Reynaud l’évoquèrent dans sa substance lors du Comité de guerre du 25 mai 1940. Qui plus est, non seulement pour répondre à cette évocation il reconnut que la cessation des hostilités était une question interallié, mais il répéta par trois fois qu’il était nécessaire de faire connaître à l’Angleterre la gravité de la situation et d’examiner avec elle les suites à y donner. Il réitéra cette demande dans sa note du 29 mai 1940 à Paul Reynaud. Ainsi, malgré les récriminations qu’il a pu avoir à l’encontre des Britanniques – la faiblesse de leur corps expéditionnaire, leur attitude incorrecte à Dunkerque, leur refus de fournir plus de renforts en avions, etc., Weygand a toujours considéré qu’il ne fallait pas prêter le flanc à la critique de ceux-là en prenant prétexte de ces griefs pour se désolidariser d’eux. Contrairement au maréchal Pétain, qui se montrait ouvertement déçu et dédaigneux à l’égard de l’allié d’outre- Manche397, il se garda, par exemple, de s’interroger publiquement sur la réciprocité des

devoirs entre les deux pays en comparaison de leur engagement dans la présente bataille398.

396 Bernard Destremau, pourtant lui-même ancien ambassadeur, semble contester la validité d’un tel accord,

arguant qu’il s’intitulait seulement « déclaration », et qu’il n’avait pas été soumis à la ratification du Conseil des ministres ou du Parlement ou du président de la République. Les lois constitutionnelles de 1875 n’incluent pas les traités d’alliance diplomatique ou militaire dans ceux qui doivent être ratifiés par le Parlement : un simple accord en Conseil des ministres est suffisant – comme ce fut le cas pour l’alliance franco-russe de 1895. Or, le communiqué de presse qui contient la déclaration du 28 mars 1940 fait précéder celle-ci des termes « les

deux gouvernements [nous soulignons] se sont mis d'accord sur la déclaration solennelle suivante […] ». Enfin,

tout étudiant en première année de droit international sait que l’intitulé d’un accord entre deux pays n’influe en rien sur sa validité ou sa portée, tant que cet accord est régulièrement signé ou ratifié. De ce fait, la déclaration du 28 mars 1940 était valide et liait solennellement les deux pays.

397 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome I, p. 584.

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Il adopta cette attitude avant tout parce qu’il pensait à la suite des évènements. Pour avoir une chance de remporter la bataille de la Somme, il estimait avoir « besoin »399 des Anglais, ce qui nécessitait de garder du crédit auprès d’eux. Envenimer les choses n’aurait fait que tarir un peu plus leur apport à la bataille qu’il préparait. Il préféra donc harceler Churchill via Reynaud, en lui demandant des hommes et des avions, que de pointer publiquement du doigt la faiblesse de l’engagement britannique en France. D’un autre côté, cette volonté de ne pas aller à l’affrontement direct avec les Anglais permettait de préserver toutes les chances que ceux-ci acceptent que la France se retire de la guerre au cas où le front venait à être percé. Cette tactique était redoublée par les incitations de Weygand auprès de Reynaud pour que celui-ci informe « le gouvernement britannique […] qu’il peut venir un moment, à partir duquel la France se trouverait, malgré sa volonté, dans l’impossibilité de continuer une lutte militairement efficace pour protéger son sol »400.

• Une couverture habile

Dans les faits, la volonté de Weygand de ne pas froisser les Anglais et de les tenir au courant de la gravité de la situation en France, était avant tout une tactique pour se couvrir au cas où la bataille de France venait à être perdue. Car, l’acceptation de la part de l’Angleterre de délier la France de son engagement n’était, en définitive, que la porte de sortie la plus satisfaisante du point de vue de l’honneur national et des relations entre les deux pays. Elle permettait à la France de sortir du conflit en bons termes avec son allié, tout en préservant son statut de grande puissance. Pour Weygand cependant, tout traité, aussi solennel soit-il, voit sa portée s’arrêter au seuil de l’intérêt national, comme il le fait remarquer lors d’une conférence le 29 octobre 1940 à Dakar, devant un parterre d’officiers : « le motif principal des actions d’un Etat est l’intérêt »401. Ainsi, même si le gouvernement

britannique refusait de délier la France de son engagement, celle-ci aurait pleinement le droit de négocier avec les Allemands. Il le dit très clairement à Reynaud, quand il lui fait noter que « le pays ne [lui] pardonnerait pas si, pour rester fidèle à l’Angleterre, [il refusait] une possibilité de paix. »402 Il déclara cela le 12 juin, jour où il demanda au Conseil des ministres de rentrer en négociation avec l’Allemagne. Actant publiquement par-là la rupture du front,

399 Bernard Destremau, Op. cit., p. 444.

400 SHD, 27N 12, Note du général Weygand pour Paul Reynaud, 29 mai 1940. 401 Cité dans Robert O. Paxton, L’Armée de Vichy, Op. cit., p. 148.

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il signifiait que, alliance ou non, la France devait regarder égoïstement son intérêt national. Et puis, n’était-ce pas Lord Palmerston, idole des ministres des Affaires étrangères anglais, qui avait déclaré que « l’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents. Elle n’a que des intérêts permanents » ? Ainsi, dès qu’il estimera la guerre perdue, il voudra que le gouvernement ne regarde ses relations avec les Anglais qu’à l’aune de l’intérêt national. On peut le voir au fait qu’à partir du 10 juin 1940, Weygand ne parlera plus des Britanniques dans ses lettres et notes à Paul Reynaud, se concentrant exclusivement sur la situation française403. Il était plus facile d’agir ainsi que de dire : « que l’Angleterre – notre alliée – doive [perdre ou gagner] – cela ne m’intéresse pas. »404

Par conséquent, Weygand tenait à ce que Reynaud informe les Britanniques du fait que l’armée française pourrait, contre sa volonté, ne plus être en mesure de défendre le sol national, pour qu’ils ne puissent dire que le gouvernement français leur forçait la main si celui-ci venait à leur demander d’accepter que la France sorte de la guerre. Les prévenir permettait à la fois d’avoir un maximum de chances qu’ils accepteraient de délier la France, et qu’ils ne l’accuseraient pas de forfaire à l’honneur en les mettant devant le fait accompli. C’était donc s’assurer de pouvoir négocier avec le Reich sans briser complètement les liens avec l’Angleterre.

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