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Un état d’esprit nouveau : ne plus subir

Un moderne parmi les anciens ? La tactique de Weygand

2.2 L’apport de Weygand : fixation et novation dans la tactique défensive française

2.2.2 Un état d’esprit nouveau : ne plus subir

• La défensive n’est pas l’inaction

Comme le note Karl-Heinz Frieser137, les généraux français n’aspiraient qu’à une forme passive de la défense. L’IGU de 1936 les incitait, en effet, à adopter ce type de comportement, ce que la majeure partie des opérations de la campagne de 1940 confirma. À l’inverse, Weygand souhaitait que les unités françaises mènent une défense active, à défaut de conduire des offensives de grand style. Il l’avait déjà écrit dans l’avion qui l’avait ramené de Syrie : « dans la lutte défensive, c’est l’esprit offensif qui donne la victoire ». Ce qu’il s’empressa de faire admettre à ses subordonnés. En effet, dans son ordre général d’opérations du 26 mai 1940, il indiquait que, « pour être certain d’arrêter l’ennemi, il [fallait] faire preuve d’une constante agressivité ». Il renouvela cette instruction le 27 mai dans son Instruction générale n°3, le 30 mai dans l’ordre n°1260 au général Georges et le 31 mai dans une note138.

Cette volonté que l’armée française adoptât un état d’esprit résolument offensif avait deux objectifs.

136 SHD, 27N 119, Note du général Boris (inspecteur général de l’Artillerie) pour les généraux commandants

l’artillerie des armées, n°2837/02, 25 mai 1940 et Note du général Boris pour le général Georges sur les enseignements à tirer des opérations en cours, n°2911/02, 28 mai 1940.

137 Karl-Heinz Frieser, Op. cit., p. 351

138 SHD, 27N3, Ordre général d’opérations du général Weygand, n°1184 3/FT, 26 mai 1940 ; Ordre du général

Weygand pour le général Georges, n°1260 3/FT, 30 mai 1940 ; Note du général Weygand pour le général Georges sur l’emploi de l’aviation, n°1294 3/FT, 31 mai 1940 et SHD, 27N 79, 3e Bureau (divers), Instruction général n°3,

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Le premier était opérationnel, et consistait à contrer la Wehrmacht dans ses intentions offensives. Weygand préconisait pour se faire trois types d’actions. Conscient des difficultés que rencontraient les Français pour monter des attaques aux niveaux des armées, il indiquait que de telles actions revenaient à l’heure actuelle aux échelons inférieurs, jusqu’au groupe de combat – ce qui tend à prouver que Weygand a au moins perçu que le combat par petites unités était une caractéristique de la guerre moderne. Les troupes terrestres devaient multiplier les coups de main, les infiltrations, les contre-préparations d’artillerie locales et rendre coup pour coup si l’ennemi tentait quelque chose. En somme, les soldats français ne devaient pas se contenter de résister aux Allemands : il fallait qu’ils les agressent.

Dans ce cadre d’une stratégie de harcèlement, le généralissime donnait à l’aviation un important rôle à jouer139 (rôle qu’il lui donna cependant seulement après la bataille des Flandres, lors des

préparatifs de la bataille de la Somme), qui se divisait en trois missions. Localement, elle devait aider à réduire les têtes de pont allemandes. De manière plus générale, c’était « surtout aux forces aériennes » de « déceler et entraver le jeu de l’ennemi ». Leur deuxième mission était donc de renseigner le commandement sur l’état et l’emplacement des divisions blindées et d’actives de la Wehrmacht, notamment pour découvrir les futurs axes d’effort de l’adversaire. L’aviation française devait également bombarder ces unités, ce qui obligerait au surplus la

Luftwaffe à continuer de lutter, loin de ses bases, et donc gênerait sa reconstitution. Par ces

actions, Weygand souhaitait toucher au cœur le potentiel de l’armée du IIIe Reich en visant en priorité « les armes essentielles des offensives allemandes ». Pour ces trois missions – l’une d’envergure locale, les deux autres à l’échelle de tout le front, le généralissime français demandait que Georges et Vuillemin (commandant en chef de l’armée de l’Air) collaborent étroitement. A ce propos, remarquons que Weygand formulait cette demande en écrivant que ces deux officiers « s’entendent directement », autrement dit que leur collaboration ne se limite pas aux cadres hiérarchiques préétablis, mais qu’elle soit le fruit de conférences où les deux généraux seraient physiquement présents. Peut-être que Weygand, mis au courant des dysfonctionnements de la coopération Terre/Air, pensait-il par-là atténuer ceux-ci.

La volonté de ne plus subir la manœuvre allemande commandait enfin de pouvoir lancer des contre-attaques en cas d’offensive adverse. Lors de la préparation de la bataille de la Somme, les directives du généralissime imposant, à l’échelle tactique, de disposer d’éléments dans les intervalles des points d’appui et, à l’échelle stratégique, de constituer en arrière des masses de

139 SHD, 27N 3, Note du général Weygand pour le général Georges, n°1238 3/FT, 29 mai 1940 et Note du général

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contre-offensive, s’inscrivaient parfaitement dans cette optique. Être agressif, ce n’était pas seulement défendre son pré-carré, mais aussi rendre les coups.

Le second objectif de l’état d’esprit offensif que Weygand voulait faire adopter à ses soldats était moral. Une partie d’entre eux venait de recevoir un terrible choc. Il s’était dégagé des premiers combats la fâcheuse impression que les Allemands étaient toujours supérieurs quoique les Alliés puissent faire pour enrayer leur avance. Une sorte de fatalisme pessimiste semblait alors imprégner la troupe et les officiers. Or, l’action, même la plus simple comme le tir ajusté ou l’infiltration des lignes ennemies, pouvait redonner de l’élan et de l’allant aux unités françaises. Donner des consignes dans ce sens, c’était donc aussi vouloir renverser l’état d’infériorité psychologique, en rétablissant la confiance des soldats français dans leur capacité à combattre et en parant à l’idée que l’adversaire était insaisissable, par l’initiative. Inversement, une activité française accrue, constante et agressive permettrait de tenir les Allemands sous la menace d’attaques pouvant venir de partout et de leur faire sentir « que la bataille sera[it] dure et sanglante pour [eux] »140. L’inquiétude devait changer de camp, ou, tout du moins, les Allemands devaient à présent la partager.

Ainsi, pour Weygand, l’initiative stratégique échappant de plus en plus à l’armée française, l’adoption par elle d’un état d’esprit offensif permanent était d’autant plus nécessaire, tant du point de vue tactique que moral. Après la fin de la bataille des Flandres, le fait qu’il opta définitivement pour la défense stratégique le poussa à réaffirmer avec force cette nécessité auprès de ses subordonnés : la stratégie du haut-commandement se devait d’être complétée à l’échelle tactico-opérationnel par une activité offensive.

• Au niveau du combattant : savoir se battre, toujours agir

Weygand n’a pas focalisé exclusivement ses instructions tactiques sur l’organisation du système défensif à adopter et la manière de le penser, mais s’est également intéressé aux comportements que chaque soldat devait suivre. Sur ce plan, il rappela essentiellement les consignes que Gamelin et Georges avaient données pendant la drôle de guerre, mais qui n’avaient pas été assimilées par tous. Quel que soit le lieu où ils stationnaient ou qu’ils recevaient comme mission de défendre, les soldats devaient avoir le réflexe de s’enterrer, de se

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barricader et d’abriter les armes lourdes, pour réduire les effets du feu des chars et des avions. Symétriquement, cela leur permettrait de réagir après le passage de ces engins, en prenant à partie l’infanterie d’accompagnement depuis des positions bien établies, la défense retrouvant qui plus est son avantage sur l’attaque dans ce cas. Néanmoins, l’ouverture du feu ne devait pas attendre l’arrivée des fantassins allemands : toute la mousqueterie – donc y compris les armes individuelles – avait à tirer sur les avions volants bas. En somme, Weygand réaffirmait en direction du combattant français des principes très classiques : se protéger et détruire, c’est-à- dire se prémunir contre et agir par le feu.

Ces instructions se trouvaient complétées par des demandes du haut-commandement auprès du ministère de l’Armement de fabriquer des matériels destinées à donner les moyens au soldat français de se battre à armes égales, en particulier face aux blindés. Car la guerre avait trouvé celui-là relativement démuni face à ceux-ci, avec par exemple des mines en faible nombre et dont l’emploi restait méconnu de la troupe141. Ainsi, le GQG passa commande le 3 juin de 5 000

grenades antichars à livrer dans trois jours – donc dans l’urgence, et demanda à ce que les armées disposent à partir de la deuxième dizaine de juin de 2 000 grenades par jour142. Dans l’attente de ces armes spécialisées, cette volonté d’avoir des combattants pouvant agir individuellement contre les chars conduisit également le haut-commandement à faire flèche de tout bois. Le général Koeltz (aide-major général) synthétisa à l’attention des généraux les méthodes utilisées par des armées étrangères : bouteilles incendiaires, attaques de nuit, embuscades, attaque à la grenade explosive, etc. Cette note, qui voulait prouver que les soldats n’étaient pas totalement désarmés face aux blindés, montre à l’inverse, par l’opportunisme qu’elle promeut et certains procédés qui y sont recensés (mettre une bille de bois entre les chenilles et les galets), l’état d’impréparation dans lequel se trouvait l’armée française sur le plan de la défense antichar à l’échelon individuel. Néanmoins, elle s’inscrivait pleinement dans l’insistance qu’avait Weygand à réclamer que chacun fasse preuve d’imagination et de créativité143. Dans l’immédiat, les hommes ne devaient pas seulement se limiter aux procédés connus mais aussi emprunter des voies ad hoc.

141 Bruno Chaix, Op. cit., p. 94.

142 SHD, 27N 50, 1er Bureau, Note du général Hanoteau (aide-major général) pour l’état-major de l’Armée, n°6518

1/FT, 4 juin 1940.

143 SHD, 27N 85, Note du général Koeltz sur la lutte contre les engins blindés, n°3576 3/FT, 4 juin 1940. La

conclusion illustre parfaitement la volonté du haut-commandement d’assurer aux soldats qu’ils avaient les moyens par eux-mêmes de lutter contre les chars : « Il convient de porter ces procédés à la connaissance de tous. Le combattant pourra s’en inspirer et en tirer la conclusion qu’avec de l’ingéniosité une troupe qui garde son sang- froid n’est jamais désarmée contre les engins blindés ». Weygand s’est peut-être inspiré de cette note pour rédiger son Instruction générale, n°6533 1/FT du 5 juin 1940 (SHD, 27N 79), puisqu’il y écrit que, contre les chars, « le devoir de tous est de les attaquer par tous les moyens : grenades, appareils incendiaires, tirs de toute nature… » (nous soulignons).

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Dans l’organisation de la zone de combat, une activité constante était requise. Weygand indiqua à plusieurs reprises qu’il ne fallait jamais considérer l’établissement d’une position comme achevé, mais sans cesse chercher à le perfectionner. Les barricades devaient être renforcées, les tranchées creusées plus profondément, les positions de tir améliorées, etc.

Au niveau individuel, la consigne générale était donc aussi à l’action et à l’initiative, tant dans la défense passive qu’active. Le soldat français ne devait plus simplement résister courageusement, mais être un guerrier rentrant de plein pied dans le combat moderne.

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