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Une action stratégique aux objectifs de plus en plus réduits

1.2 Arrêter l’ennemi sur la Somme et l’Aisne : gagner du temps par la défensive (26 mai – 8 juin)

1.2.4 Un plan rapidement dépassé

Les Allemands déclenchèrent le Fall rot (« plan rouge ») le 5 juin au matin, de l’embouchure de la Somme jusqu’à Laon. La Xe armée du général Altmayer (senior) subit de

plein fouet l’offensive, alors que certaines de ses unités n’étaient pas encore parfaitement intégrées au dispositif. Si la position tint, au soir du premier jour de ce que l’on appellera la « Bataille de France », les unités du général Hoth ont débouché en certains endroits de plusieurs kilomètres. Cependant, le terrain concédé semblait récupérable, l’adversaire accusait de lourdes pertes et le système défensif voulu par le haut commandement faisait vraisemblablement ses preuves. La stratégie adoptée par Weygand paraissait pouvoir donner le résultat escompté.

Cependant, dès le lendemain le commandant en chef dut accepter de revoir en partie son plan dans une acception moins stricte. Alors qu’il avait appelé les unités à perfectionner le

74 SHD, 27N3, Ordre du général Weygand au le général Georges, n°1260 3/FT, 30 mai 1940 et Note du général

Weygand sur l’emploi de l’aviation, n°1294 3/FT. La tactique du harcèlement est vue plus en détail dans le chapitre 2, 2.2.2.

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quadrillage exigé dans son ordre général diffusé le 6 juin et qu’il avait rappelé aux généraux Georges et Besson ses ordres de défense sans esprit de recul, Weygand apprit par un de ses officiers de liaison qu’une instruction du général Frère (commandant de la VIIe armée)

permettrait un éventuel repli75. De même, la VIe armée fit savoir dans l’après-midi que certaines de ses unités avaient dû décrocher sous la pression allemande. Ces deux informations étant en contradiction avec la conception qu’il avait de la bataille en cours, le généralissime français convoqua une réunion à 18 heures au GQG, à Montry, à laquelle participèrent les généraux Doumenc, Georges et Besson. Suite aux explications de ses subordonnés, Weygand admit que ces replis étaient nécessaires pour ne pas laisser capturer des hommes et du matériel en nombre trop important. Si l’on voulait avoir des chances de poursuivre une résistance qui finirait par être victorieuse, il fallait réajuster le dispositif du groupe d’armées n°3. Ainsi, Weygand autorisa la Xe armée à se rétablir sur la Bresle, tandis que le général Frère put se repositionner

pour partie sur l’Arve et que l’ordre de se replier au sud de l’Aisne donné par le général Touchon fut avalisé76.

En acceptant ces replis, le général Weygand a-t-il signifié qu’il changeait de stratégie ? Dans ses Mémoires77, il indique que la pression de la Wehrmacht le conduisit à considérer que la position que les armées françaises devaient défendre sans esprit de recul « était en réalité une position d’une profondeur correspondant à la puissance moyenne de pénétration de l’adversaire, et comprise entre la ligne Somme-Aisne au Nord, et au Sud une ligne [Basse-Seine-position avancée de Paris-Marne]. » Autrement dit, il aurait changé de focal, en décidant que le front ne serait considéré comme rompu que lorsque la position aurait été percée dans toute sa profondeur. Par conséquent, toujours selon lui, les Allemands le « contraignait [certes] à mener la bataille selon une modalité générale différente de celle qui avait été conçue et ordonnée », mais pas dans une conception différente, car il s’agissait toujours d’une défense sans esprit de recul. Que Weygand ait pensé de la même manière ce 6 juin 1940 que lorsqu’il rédigea ses pages, c’est possible. Dans ce sens, autoriser les replis mentionnés plus haut ne revenait pas à changer de stratégie, seulement à reporter la position de résistance à défendre sans esprit de recul.

75 SHD, 27N 79, Note du général Weygand pour le général Georges, n°1386 3/FT, 6 juin 1940.

76 Ces divers éléments factuels sont issus du recoupement des documents suivants : SHD, 27N 3, Ordre général du

général Weygand, n°1381 3/FT, 6 juin 1940 ; François Delpla, Les Papiers secrets du général Doumenc (1939-

1940), Paris, Olivier Orban, 1991, pp. 304-306 ; Jacques Vernet (colonel), « La bataille de la Somme », in

Christine Levisse-Touzé (dir.), Op. cit., pp. 204-205.

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L’essentiel n’est pourtant pas là. Tout d’abord, il est curieux que Weygand dise avoir déterminé la profondeur de la position à défendre comme allant jusqu’à la ligne Basse-Seine- position de Paris-Marne seulement le 6 juin alors que dans son instruction personnelle et secrète au général Georges du 29 mai, il identifiait déjà cette ligne comme celle où le GA 3 pourrait se rétablir pour continuer sa mission de couverture de la capitale. Nous avons vu qu’il ne niait pas l’intérêt d’établir en profondeur à l’échelle stratégique le front Somme-Aisne, mais préférait d’abord consolider celui-ci. L’attaque allemande prit de court ce plan, comme le général Doumenc en atteste78. En conséquence, les nouvelles lignes de résistance risquaient de ne rester que des traits sur les cartes du GQG. Ensuite, en dehors de toute compétence strictement militaire, il semble logique d’évaluer la rupture d’un front à « la puissance moyenne de pénétration de l’adversaire ». Les consignes de Weygand pour quadriller la position principale de résistance montrent qu’il avait pris en compte ce qui apparaît ici comme un truisme de l’art de la guerre, puisque ce quadrillage impliquait que le front ne fusse pas considéré comme percé dès que certaines unités seraient dépassées pas l’ennemi. En disant que le 6 juin il augmenta la profondeur de son dispositif pour tenir compte de la puissance de pénétration de la Wehrmacht, il fait l’aveu qu’il avait sous-évalué celle-ci. Ainsi, du point de vue de Weygand, l’offensive allemande avançait trop vite. La conjonction du manque de temps côté français à la rapidité d’exécution côté allemand conduisait nécessairement à l’impasse, car l’armée française n’avait pas encore solidement organisé ses arrières, ce que la Wehrmacht ne lui donnerait plus l’occasion de faire. La nouvelle « modalité » selon laquelle le haut-commandement français devait mener la bataille pourrait rapidement n’être qu’une vue de l’esprit. Par conséquent, en autorisant les replis du GA 3 et en adoptant un point de vue tel qu’il le développe dans ses

Mémoires, Weygand avouait inconsciemment le probable échec à très court terme de sa

stratégie initiale. La bataille de la Somme n’était pas encore perdue, mais le plan du généralissime français commençait déjà à être dépassé.

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