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Un haut-commandement qui n’avait pas été totalement myope

Un moderne parmi les anciens ? La tactique de Weygand

2.1 Une doctrine originelle entre deux eau

2.1.1 Un haut-commandement qui n’avait pas été totalement myope

• Une certaine prise en compte des aspects modernes du combat dès l’avant-guerre107

Contrairement à une idée encore relativement bien répandue dans la communauté des historiens, la haute hiérarchie militaire française avait intégré dans son corps de doctrine une partie des matériels nouveaux – chars lourds, armes antichars, et avait donc tenté d’en tirer des règles pour leur utilisation ou pour se protéger de leur emploi par l’ennemi. De manière générale, l’état-major de l’armée avait défini avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale quelques principes qui étaient, en théorie, adaptés à la guerre que les Allemands ont conduite en mai-juin 1940.

Dans la défensive, l’ensemble de la position doit être établie en profondeur et de manière échelonnée. Cela permet de dissocier l’attaque adverse et de canaliser ses forces dans des couloirs pour les faire battre séparément. Cet échelonnement dans l’organisation du dispositif trouve également son pendant dans l’action, puisque l’ennemi est engagé dès avant son arrivée au contact de la ligne de résistance, par le feu de l’artillerie à longue portée et doit subir le jeu des destructions et des mines. Si l’adversaire parvient à percer, les soldats ne doivent pas se replier mais continuer le combat à l’intérieur de la position. Dans le même temps, le commandement fera jouer des unités réservées, notamment de chars, pour contre-attaquer les pointes ennemies et les réduire. On peut donc voir que le haut-commandement, d’une part, connaissait tout l’intérêt d’aménager en profondeur la ligne de bataille et, d’autre part, estimait essentiel de pouvoir mener des contre-attaques à base d’unités mobiles pour maintenir l’intégrité de cette ligne.

Dans les directives sur l’instruction du 25 janvier 1937, il est plus particulièrement question de la défense contre les blindés. Pour les armes antichars, le principe n’est pas de les aligner pour former un puissant et unique barrage, mais de les disposer eux aussi dans toute la profondeur de la position. L’infanterie doit prendre sa part dans cette lutte, en tirant avec toute la mousqueterie disponible à travers les fentes de visées ou de conduite de ces véhicules. Enfin,

107 Nous nous appuyons ici essentiellement sur le travail d’Henry Dutailly. Cf. Henri Dutailly (Lieutenant-colonel),

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les chars eux-mêmes ont un rôle, puisqu’ils peuvent être amenés à lutter directement avec leurs homologues adverses, en contre-attaquant. Ainsi, a priori et dans la défensive tactique, le char français n’est pas exclusivement un élément d’accompagnement de l’infanterie, mais peut agir seul, chose impensable pendant la Première guerre mondiale.

Les généraux français avaient donc pris – ou du moins tenté de prendre – en compte certains aspects du combat moderne, notamment l’apparition du char, en proposant ce qu’il nous semble être plus que des modifications de détail par rapport à la doctrine du début des années 1920.

• Les enseignements tirés pendant la Drôle de guerre

A la suite des campagnes de Pologne et de Norvège, le haut-commandement français avait diffusé de nombreuses notes et instructions à l’attention des armées ou de leurs commandants visant à contrer la machine de guerre allemande sur le terrain108. Cependant, les responsables militaires et politiques alliés s’étant accordés sur une stratégie défensive au moins jusqu’en 1941, l’emploi des unités et l’attitude du combattant dans l’offensive ne furent que peu abordés par ces nouvelles directives tactiques109. Le général Gamelin et, surtout, le général Georges, avaient relativement bien cerné les caractéristiques des attaques allemandes fondées sur les divisions de panzers, en soulignant l’utilisation des unités blindées dans la recherche de la rupture et dans l’exploitation, ainsi que le rôle primordial de l’aviation dans la préparation et le soutien de ces actions offensives. Ils avaient donc proposé trois types de mesures pour lutter efficacement contre ce qui apparaissait à leurs yeux être le fer de lance de la Wehrmacht.

Il fallait tout d’abord que l’armée française s’organise correctement. Reprenant les termes, si ce n’est l’esprit de l’IGU de 1936, le haut-commandement rappelait que la défense contre les engins blindés devait être échelonnée, sa caractéristique première étant la profondeur. Cela incluait également la disposition des obstacles, qui ne devaient pas être aménagés seulement sous forme de ligne. Mises à part ces considérations qui n’étaient que des redites, deux nouveautés apparaissaient dans l’organisation de la défense antichars et anti-aérienne. La première venait des instructions qui prescrivaient de créer aux avant-postes, notamment

108 A part pour les citations où les références sont présentes en note bas de page, nous renvoyons le lecteur à

l’annexe X, page Y, qui cite les documents que nous avons utilisé dans cette partie.

109 SHD, 27N 3, Instruction particulière n°6 du général Gamelin pour le général Georges, 29 septembre 1940. Ou

alors quand les instructions du haut-commandement concernent l’offensive, elles se contentent de rappeler la doctrine. Cf. par exemple Ibid., Instruction personnelle n°3 du général Gamelin pour les généraux Georges et Bineau, n°31 Cab/FT, 10 septembre 1939 et Rapport du général Keller au général Gamelin sur le note du 11 novembre 1939 du colonel de Gaulle, n°1363 /I.Chars.S, 1er décembre 1939.

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lorsqu’une position ne s’appuyait pas sur des fortifications permanentes ou sur de grands obstacles du terrain, des zones de combat solidement tenues. Pour nommer ces zones, le général Georges utilisait les termes de « points d’appui fermés » ou « cerclés », tandis que le général Gamelin parlait de « centres de résistance », devant faire partie de « môles d’ensemble »110. La seconde tenait aux consignes tendant à prendre en compte le fait que l’utilisation massive de chars nécessitait d’accorder à la défense contre les unités mécanisées une part plus importante dans l’organisation défensive générale, là où les directives sur l’instruction de janvier 1937 n’avaient fait que souligner qu’elle était un élément constitutif de la bataille, sans insister sur sa particularité. D’une part, elle devait être dirigée par un unique officier, qui n’assurerait lui- même que ce service. D’autre part, toute unité, quelque fusse son rôle ou sa place dans le dispositif général des forces, avait comme ordre de pouvoir rapidement être en mesure de se défendre face à ou contre-attaquer une « irruption d’engins blindés »111. Ensuite, à l’échelle

locale voire individuelle, le combattant devait se tenir prêt à soutenir le choc et à riposter. Les consignes – déjà diffusées aux dires du haut-commandement – exprimaient donc la nécessité de se protéger et de résister à outrance. Dans le premier cas, les soldats devaient savoir s’enterrer et se camoufler. Dans le second, il fallait qu’ils utilisent toutes leurs armes contre les avions volant bas et tiennent sur place même une fois dépassés par l’ennemi. Enfin, de l’échelon divisionnaire à celui de l’armée et du Grand quartier général, des contre-attaques de chars, appuyées par l’infanterie, l’artillerie et l’aviation, devaient être déclenchées immédiatement, par surprise et directement contre les divisions blindées ennemies.

Comme l’indique le général Bruno Chaix, ces directives décrivent des procédés qui ont prouvé leur efficacité contre les formations blindées et aériennes112. Il y avait ici une potentielle amorce de préparation de l’armée française à se défendre lutter avec succès contre l’élite de la Wehrmacht.

2.1.2 La permanence des acquis tactiques de la Première guerre mondiale :

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