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Assurer la survie d’une certaine France

5.1 Une simple suspension d’armes : ce que l’armistice n’était pas pour Weygand

5.1.3 Une guerre franco-allemande

• Une guerre à plusieurs manches ?

« La guerre qui s’achève n’a été que la seconde phase d’une Guerre de Trente ans commencée en 1914 »379. C’est ainsi que Weygand présente son opinion sur le conflit mondial. Cette phrase laisse songeur par son ambiguïté. Mais elle fait comprendre que, pour lui, la guerre qui avait commencé en 1939 et qui s’achevait en ce mois de juin 1940, était terminée. Si l’on admet que Weygand a proposé que la France prépare sa revanche, il avoue ici qu’un tel plan n’aurait atteint son but que dans plusieurs années, certainement dans plusieurs décennies. Dire que l’Allemagne restait l’ennemi et l’Angleterre l’allié n’allait pas en contradiction avec un tel point de vue : après 1871, la France avait bien continué à voir en son voisin oriental un ennemi. La France des débuts de la Troisième République songeait à la Revanche, mais ses chefs militaires savaient qu’elle ne pouvait arriver à brève échéance. S’ils avaient préparé des plans de reconquête des provinces perdues, c’est surtout au niveau des esprits que s’exerça l’action de l’état-major de l’Armée à propos de la Revanche. Par conséquent, à l’inverse d’un Churchill ou d’un de Gaulle, la campagne de 1940 n’était pas, aux yeux de Weygand, la première manche à l’issue malheureuse d’un conflit destiné à durer et à s’étendre. Pour le généralissime français du printemps 1940, la France avait perdu une bataille et la guerre. Il ne pouvait en être autrement, car il ne voulait pas croire qu’une quelconque coalition de pays puisse vaincre l’Allemagne sans l’armée française métropolitaine. Il ne fit là qu’étendre au reste du monde le jugement qu’il portait sur l’armée anglaise, à la fois par orgueil national et par illusion professionnelle.

En déclarant dans ses Mémoires que ce n’était qu’une autre guerre de Trente ans, il nous livre implicitement ce qu’a été le fond de sa pensée en juin 1940 : comme après 1871, comme après 1918, un nouvel ordre international européen était né et il faudrait attendre plusieurs années avant de pouvoir le remettre en cause.

• La condamnation de la libération de la France par des puissances étrangères

379 Weygand, Op. cit., p. 287.

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Le 13 juin 1940, Weygand est à nouveau invité à participer au Conseil des ministres. Après avoir réitéré sa demande en faveur de l’armistice et indiqué que le gouvernement aurait dû rester à Paris, quitte à tomber aux mains de l’ennemi, le généralissime se lance dans une tirade virulente contre le départ des ministres en dehors du sol métropolitain. Au cours de cette diatribe des plus confuses, il demande combien de temps le gouvernement resterait hors de France. Ne laissant pas la parole à ses interlocuteurs, il répond à cette question par une autre : « Le temps nécessaire à faire produire aux usines américaines les avions et les chars qui permettraient aux alliés de la reconquérir ? Deux ans, trois ans, dit alors le ministre de l’Armement. Plusieurs années », reprit-il380. Le généralissime français condamnait ici la

libération de la France par un gouvernement en exil, aidé de ses alliés, en arguant que le facteur temps ne le permettrait pas. Pourquoi ? Parce que dans deux ou trois ans, Hitler aurait déjà gagné la partie en Europe. Donc, non seulement les États-Unis auraient à produire des armes en quantité considérable381, mais ils devraient envahir le Vieux continent depuis leurs propres bases. Weygand insista sur ce facteur temps quand il reprit Raoul Dautry, en étant plus flou que le ministre de l’Armement et, par-là, en exagérant les propos de celui-ci.

Une fois de plus, le commandant en chef habillait son positionnement politique par des considérations militaires et techniques. En fait, il ne faisait que suivre Pétain sur ce terrain- là. Dans la note que le vice-président du Conseil lut lors de ce Conseil des ministres du 13 juin 1940, se trouve un passage qui résume la position qu’allait adopter quelques instants plus tard son cadet : « Le renouveau français, il faut l’attendre en restant sur place plutôt que

d’une conquête de notre territoire par les canons alliés dans un délai impossible à prévoir »382. Comme Weygand, Pétain soulignait ici le caractère vague de l’idée d’exil du gouvernement de Reynaud – il n’avait pas hésité à dire la veille à ses ministres que « l’avenir de la France dépend[ait] de l’Angleterre et des États-Unis »383 – pour en tirer un avantage politique.

Ces deux éminents chefs militaires n’attendaient rien de l’étranger. La France devait se régénérer en acceptant la défaite, et elle devait le faire seule, sans espérer, mais surtout sans vouloir, d’aide de l’extérieur. En ce sens, si des historiens tels que Jean-Pierre Azéma, Marc Ferro ou Jean-Louis Crémieux Brilhac, ont montré que Weygand et Pétain n’avaient pas su

380 Weygand, Op. cit., p. 218.

381 Le sénateur Charles Reibel, proche du commandant en chef, rapporte, dans Comment et pourquoi fut décidé

l’armistice, que Weygand lui aurait déclaré qu’il était peu probable que « dans quelques années, l’aviation

anglo-américaine doive être plus puissante que l’aviation de l’Allemagne. » Cité in Paul Reynaud, Mémoires, tome II, Envers et contre tous, Paris, Flammarion, 1963, p. 466.

382 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome I, p. 592. C’est nous qui soulignons. 383 Ibid., p. 585

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voir le caractère mondial du conflit, nous pouvons affirmer qu’ils n’avaient également pas voulu le voir, refusant d’avance tout programme de libération du sol national par des armées étrangères.

5.2 L’armistice pour conserver la position internationale de la

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