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La reprise en main de l’armée de Terre

L’exercice du commandement

3.1 La place de Weygand : entre rupture et continuité avec Gamelin

3.1.1 La reprise en main de l’armée de Terre

• Le retour à l’unicité du commandement et des responsabilités

La réforme du Grand quartier général (GQG) du 1er janvier 1940, imposée par le général

Gamelin, n’avait pas du tout réglé le problème du partage des responsabilités dans la bataille à venir entre le généralissime et le général Georges. Le commandant en chef laissait la responsabilité conduite supérieure des opérations à son subordonné, mais sans lui donner pleinement les moyens de sa mission en lui affectant l’ensemble du GQG, celui-ci étant scindé en deux, une partie affectée au front Nord-Est, et sise à la Ferté-sous-Jouarres, l’autre allant à Montry et fonctionnant pour le compte de Gamelin, sous la houlette du major-général Doumenc. À cette organisation bicéphale des attributions qui séparait autorité et responsabilité, s’ajoutait en ce qui concernait la géographie un troisième membre, puisque le général Gamelin avait installé son poste de commandement (PC) au château de Vincennes, pour rester proche du gouvernement. Cette réforme laissait donc planer sur le haut-commandement de l’armée de Terre la double menace en cas de crise d’une absence d’unité et de fermeté dans la prise de décision au plus haut niveau, et de problèmes de communications entre les différents responsables militaires. Ce qui avait été confirmé au déclenchement des opérations, le 10 mai 1940. Le général Gamelin s’en était tenu « à la répartition bureaucratique des tâches qu’il [avait] lui-même tracée »168, et s’était ainsi placé en dehors du circuit décisionnel quant à la bataille qui débutait en Belgique169. Les généraux Georges et Billotte, sur qui reposait ipso facto la conduite de cette bataille, avaient été rapidement dépassés par les évènements. Si bien que le général Doumenc se retrouvait pour l’instant seul aux commandes, mais il n’avait ni la qualité, ni l’autorité de généralissime. Par conséquent, l’armée n’avait plus de commandant en chef.

Après avoir accepté de prendre la tête des armées françaises, Weygand se refusa à réformer le haut-commandement, estimant que la situation de crise ne le permettait pas.

168 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l’an 40, tome II, Ouvriers et soldats, Paris, Gallimard, 1990, p.

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Néanmoins, son action a conduit à une réforme de fait, en supprimant la dualité Vincennes/Ferté. D’une part, il décida « d’assumer avec [le général Georges] et au-dessus de lui toutes les responsabilités ». Weygand affirmait par-là que, malgré l’état des choses concernant la répartition des attributions entre les chefs militaires français, il était le seul et unique responsable de la conduite supérieure des opérations. Son autorité de commandant en chef n’allait pas sans les responsabilités afférentes. D’autre part, il prenait le parti « de ne faire désormais qu’un avec le général Georges »170. Ce qui, compte-tenu du fait qu’il entendait

prendre en charge la conduite supérieure des opérations, revenait à faire de ce dernier son délégué sur le front Nord-Est, et non plus un commandant en chef de théâtre d’opérations – bien que Georges conservât ce titre – tel que l’entendait Gamelin. Autrement dit, il s’agglomérait le général Georges. Consciemment ou non, Weygand tirait en fait ici les conséquences de ses décrets de nomination du 20 mai 1940 qui lui donnaient le titre de « commandant en chef de l’ensemble des théâtres d’opérations ».

Par ces deux principales actions, en termes de fonctionnement du haut-commandement l’armée de Terre retrouvait sa tête, en la personne de Weygand.

• Tentative d’éclaircissement dans la répartition des tâches et des postes

Cette volonté de commander et ses implications concrètes dans l’organisation du haut- commandement terrestre s’accompagnèrent symétriquement de changements dans le fonctionnement de celui-ci. En tant que chef d’état-major général, Weygand avait à prendre en charge l’établissement des plans français, et de ce point de vue-là, il n’y avait pas de différence avec son prédécesseur. Cependant, si nous ne saurions dire s’il avait eu vent des désaccords entre Gamelin et Georges, et du fait que le premier avait adopté la manœuvre Dyle-Breda contre l’avis du second, toujours est-il qu’il voulut que les plans stratégiques fussent arrêtés en pleine coopération avec le commandant en chef du front Nord-Est171. Ensuite, le nouveau

généralissime se donnait trois missions principales : diriger la bataille, s’assurer de l’exécution de ses ordres et soutenir le moral de ses subordonnés. Il inscrivait alors son style de commandement dans l’héritage du maréchal Foch, et, a contrario, en rupture avec celui du général Gamelin172.

170 Weygand, Mémoires, tome III, Rappelé au service, Paris, Flammarion, 1950, p. 90. 171 Weygand, Op. cit., p. 88

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Le général Georges devenait l’adjoint de Weygand sur le théâtre d’opérations principal. À ce poste, il transcrivait les instructions de son supérieur, les envoyait aux généraux sur le terrain et s’assurait de leur bonne exécution. On peut constater ce passage d’un rôle de conception-direction à celui plutôt de direction-exécution dans les ordres qu’il a rédigé à partir du 20 mai 1940. Si au niveau tactique, ils restaient relativement autonomes par rapport à ceux de Weygand – ils allaient tous dans le même sens néanmoins, au niveau opérationnel ils ne faisaient que détailler les ordres du commandant en chef, d’une part, et demeuraient cantonner au seul registre du déroulement des opérations, d’autre part, laissant de côté les consignes concernant le facteur moral173.

Le général Doumenc, spécialiste des questions logistiques, ayant su rester maître de lui face aux premiers revers, se chargeait de diriger les troupes et le matériel vers le front, en fonction des consignes de Weygand, et a été le principal responsable de la (re)constitution de nouvelles grandes unités au cours de la campagne de 1940. Surtout, il remplit en définitive le rôle d’un chef d’état-major auprès du généralissime, puisque d’une part il rédigea une bonne partie des ordres de celui-là, et, d’autre part, ces deux officiers généraux travaillèrent quotidiennement ensemble au GQG, à Montry.

Au sommet se trouvait donc Weygand, qui, après avoir réuni ses principaux subordonnés, donnait des directives générales ou tactiques. Au niveau d’en-dessous, Georges et Doumenc mettaient en forme celles-ci et assuraient la direction de la bataille dans son exécution, le premier se concentrant plus sur l’opérationnel, le second sur la question des moyens.

3.1.2 Les pouvoirs interarmées de Weygand : l’acceptation par défaut d’un

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