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Une alliance lui laissant des marges de manœuvre réduites

L’exercice du commandement

3.3 Les obstacles à l’exercice du commandement

3.3.1 Une alliance lui laissant des marges de manœuvre réduites

• Des alliés peu coopératifs

Nous avons vu que, dans son organisation militaire, la coalition des démocraties occidentales était bancale et ne pouvait pas être efficace en temps de crise. La possibilité pour les Britanniques de faire appel d’un ordre donné par le haut-commandement français auprès de leur gouvernement n’avait pas de cadre bien défini, tandis que l’armée belge était placée sous la seule autorité du roi Léopold III.

Cependant, si du côté français il y avait eu de grossières erreurs dans la conception de la coordination interalliée et dans sa mise en pratique, tort partagé par Weygand, il faut également souligner que les alliés de la France n’ont pas facilité la tâche de ce dernier. Les Belges ont certes prévenu le général Champon, chef de la mission française auprès de leur roi, qu’ils allaient capituler, mais ils l’ont fait seulement un jour avant. Cela n’a laissé aucunement le temps au général Blanchard de réaligner son dispositif pour tenir compte de cette reddition. Lord Gort a eu beau jeu de se plaindre auprès de ses supérieurs que les commandants successifs

242 Bernard Destremau, Op. cit., p. 406. C’est nous qui soulignons. La référence au revolver n’est d’ailleurs pas

sans rappeler son indication que tout chef a le droit de forcer l’obéissance de ceux qui sont sous ses ordres.

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du groupe d’armées n°1 le laissaient sans ordres, toujours est-il qu’à partir du 19 mai son attention s’est portée de plus en plus sur la seule sauvegarde de la BEF. Cette action, qui n’était pas condamnable en soi, devenait préjudiciable à l’alliance dès lors que le général anglais n’en fit pas clairement part au commandement français. Convaincu que son armée trouverait son salut uniquement dans son évacuation du continent, il n’en continua pas moins jusqu’au 27 mai d’assurer à ses homologues continentaux qu’il ferait tout pour exécuter les ordres de Weygand244. De même, lord Gort n’informa pas Blanchard et les Belges de son intention de se replier d’Arras dans la nuit du 23 au 24 mai, alors que cela découvrait respectivement le flanc droit et le flanc gauche de l’armée belge et des Français. À Dunkerque, les Anglais refusèrent initialement de se placer sous les ordres de l’amiral Abrial. Weygand parvint bien à faire accepter qu’un commandement unique fût institué, mais le War office sabota cet accord en donnant des ordres aux troupes britanniques contraires à ceux du commandant du camp retranché.

Nous pourrions continuer la liste des points de friction entre Britanniques et Français au cours de la bataille des Flandres, cela n’aboutirait qu’à une seule conclusion. Ainsi que l’écrit Bruno Chaix245, le repli anglais vers la Haute-Deule ne condamnait pas le plan de contre- offensive, de même que les deux conceptions de la tête de pont de Dunkerque – grande ou petite – n’étaient pas exclusives l’une de l’autre. L’échec de ces deux stratégies, tient avant tout – en mettant de côté le facteur allemand pour les besoins de l’analyse – à une absence de coordination des armées alliées, dans laquelle les Britanniques et les Belges ont une évidente part. Weygand n’a pas fait grand-chose pour faire vivre l’alliance sur le terrain, mais il partage cette responsabilité avec les alliés de la France. Or, du fait de cette absence, il dut subir la manœuvre allemande.

• Des interprétations victimes de biais temporels

244 Marc-Antoine de Nazelle, « D’une réussite inespérée à la rupture franco-britannique », in Christine Levisse-

Touzé (dir.), Op. cit., pp. 246, 247, 250, 251 et 254. François de Lannoy, et Max Schiavon, Les généraux français

de 1940, Éditions E-T-A-I, 2013, pp. 76-77. SHD, 27N 7, Confirmation de réception d’un télégramme du 25 mai

1940 envoyé par le vice-amiral d’escadre Odend’Hal au général Weygand, 26 mai 1940. Remarquons par ailleurs que, dans ce télégramme, il est écrit que le général Ironside a indiqué à l’amiral Odend’Hal qu’il lui semble « qu’il y a une entente entre le général Blanchard et le général Gort sur les modalités de l’opération venant du Nord ». Ainsi, le chef d’état-major impérial ne désapprouvait pas devant le chef de la mission navale française à Londres la stratégie de Weygand, alors que le lendemain, le 26 mai 1940, le haut-commandement britannique allait déclencher l’opération Dynamo. Le manque de franchise de Gort envers les Français paraît donc avoir été partagé par ses supérieurs.

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Si l’opinion publique a souvent accusé les Anglais de s’être comportés en égoïstes au cours de la campagne de 1940, accusation qui fut renforcée par l’attaque de Mers el-Kébir, certains historiens246 concluent systématiquement à l’avantage du Royaume-Uni lorsqu’il s’agit de juger le comportement et les responsabilités de chacun dans la défaite, notamment sur deux points. Tout d’abord, ce seraient les Français, et au premier rang desquels le général Weygand, qui seraient à l’origine de la dégradation de l’alliance. Ce serait ici rentrer dans un débat qui ne semble pas devoir trouver de fin, et somme toute assez stérile. Au demeurant, nous venons d’y répondre pour partie. Mais surtout, ils condamnent rétrospectivement les différents plans de Weygand. Une fois les chances de mener avec succès une double contre-offensive sur le couloir des panzers, il aurait fallu immédiatement ordonner l’évacuation du 1er groupe d’armées. Puis, une fois cela effectué, la bataille de France n’aurait dû être que le prélude au repli sur l’Empire colonial, et non le quitte ou double de la dernière chance. Par conséquent, les demandes répétées de Weygand auprès de Reynaud pour qu’il exigeât de Churchill des renforts en avions et en hommes étaient infondées et l’allié d’outre-Manche eu raison de les refuser. Cependant, ce n’est pas parce que les Britanniques ont remporté la bataille d’Angleterre que ce refus était pour autant a priori fondé. En ce sens, Weygand pose une excellente question dans ses Mémoires :

Un argument de valeur a été souvent opposé à nos demandes. Cette force [l’aviation anglaise], indispensable au salut de l’Angleterre, eût été inutilement sacrifiée en France. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que l’intervention de la totalité de la R.A.F. eût à coup sûr arrêté en 1940 l’invasion de notre territoire. Ce qui est certain, c’est que les colonnes blindées constituèrent à certains moments des objectifs particulièrement vulnérables […]. D’autre part, est-il absurde de penser que l’aviation allemande […] eût pu être battue et réduite à l’impuissance sur ce front, comme elle l’a été dans la bataille d’Angleterre ? […] Ce ne sont là que des hypothèses247.

La question de Weygand est d’autant plus pertinente que la Luftwaffe aurait eu à affronter deux aviations, alors qu’à l’été et à l’automne 1940, la RAF fut seul face à elle. Certes, cet engagement n’aurait certainement pas permis de sauver la partie sur le sol de l’Hexagone. Mais tirer de ce seul fait que c’eût été un sacrifice inutile est spécieux, car cela revient à dire que le ciel anglais était préférable au ciel français pour remporter la victoire aérienne, mais sans autre

246 Pour n’en citer qu’un, cf. Jean-Louis Crémeux-Brilhac, Op. cit., tome I, pp. 583 à 585.

247 Weygand, Op. cit., p. 162. D’autant plus que le Bomber Command continua d’attaquer des objectifs en territoire

allemand, en pleine bataille de France. Il convient toutefois de noter que la RAF a participé efficacement aux préparatifs de la bataille de la Somme. Cf. Pierre Rocolle, Op. cit., tome II, p. 245

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argument que la suite et l’issue de la guerre. Ce qui constitue une illusion rétrospective caractérisée.

Nous avons volontairement un peu forcé le trait, mais pour montrer que certains historiens, dans le but tout à fait louable de souligner les erreurs du haut-commandement français et la justesse de vue in fine de Churchill, se trompent de direction quand ils désapprouvent le plan et les demandes de Weygand auprès des Britanniques lors de la bataille de France. Condamnant la stratégie de celui-là et approuvant celle de ceux-ci, ils en viennent à considérer qu’elles s’excluaient en bloc. Or, les deux stratégies divergeaient certes dans leur conception et dans leur objectif, mais elles ne s’excluaient peut-être pas totalement dans leurs moyens, notamment sur la question de l’utilisation de l’aviation. Cela, les sujets de Sa Majesté, eux non plus, ne l’avaient pas perçu.

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