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Une opposition forcenée à la capitulation

Assurer la survie d’une certaine France

5.3 Au niveau national, défendre certains choix idéologiques

5.3.2 Une opposition forcenée à la capitulation

422 SHD, 2N 26, Comité de guerre, Séance du 25 mai 1940. Le général Prételat, commandant du GA 3, fait part

d’un sentiment similaire au directeur de cabinet de Raoul Dautry : « Ne serait-il pas sage d’essayer de garder intactes les quelques divisions de l’Est pour maintenir éventuellement l’ordre en France ? ». Cf. AN, Fonds Dautry, 307/AP 22.

423 SHD, 27N 4, Conseil suprême interallié, Séance du 11 juin 1940. Une telle option entrainerait « la

destruction du pays » selon Pétain.

424 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome I, p. 591. 425 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome I, p. 607.

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Avant le deuxième Conseil des ministres du 15 juin 1940, vers 15h30, Weygand se rendit auprès de Reynaud à Bordeaux pour lui parler de la situation militaire. Il s’en suivit un entretien, où le président du Conseil indiqua que, pour faire face aux évènements, sa préférence allait à la solution hollandaise. Le commandant en chef aurait à capituler en métropole, tandis que le chef de l’Etat et le gouvernement partiraient en Afrique du nord. Weygand s’opposa à un tel plan d’action, et maintiendra son avis par deux fois par la suite. Le débat armistice/capitulation a été longuement étudié. Par conséquent, nous ne souhaitons pas nous attarder sur les avantages et inconvénients de chacune de ces deux solutions. Il convient cependant d’y apporter certaines précisions quant à ses termes et aux positions prises par ses participants.

• Sauvegarder l’honneur de l’Armée

Lors de leur premier entretien le 15 juin, Weygand oppose dès le début à Reynaud un refus véhément concernant la capitulation, au nom de l’honneur des drapeaux dont il a la garde. Marqué par l’infamie commise par Bazaine à Metz, on peut sentir que le terme même de capitulation le fait frémir de tout son être. D’autant plus qu’un tel acte, d’après lui, ne reconnaîtrait pas le sacrifice de l’armée française à sa juste valeur, elle qui s’est magnifiquement battue. Ce point-là, Weygand n’avait en effet cessé de le rappeler à chaque fois qu’il fut invité au Conseil des ministres, allant jusqu’à reprocher aux membres du gouvernement de ne jamais avoir un seul mot d’admiration ou de compassion pour les soldats qui continuaient à se battre426.

En fait, le généralissime avait eu le souci de garder intact le prestige des armées françaises dès sa prise de commandant, en plein accord avec les autres responsables militaires. C’est ainsi que le général Georges, le maréchal Pétain et lui-même furent totalement d’accord sur les « graves inconvénients » que comportaient le discours que prononça Paul Reynaud le 22 mai devant le Sénat, dans lequel il clouait publiquement au pilori certains généraux coupables d’impéritie. Ils le signalèrent au président du Conseil, tout comme le général Gamelin avait signalé à Edouard Daladier la nécessité de ne pas exposer devant la nation les défaillances personnelles427. Qui plus, le haut-commandement, se

426 Bernard Destremau, Op. cit., pp. 541, 527 et 532.

427 SHD, 27N 3, Lettre du général Weygand au général Georges, n°1089 3/FT, 28 mai 1940, Note du maréchal

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doutant que la défaite serait imputée aux militaires, œuvra dès avant la fin des hostilités pour s’exonérer – du moins publiquement – de toute responsabilité dans celle-ci428.

C’est donc pour son essence même que Weygand refusa la capitulation. En effet, celle- ci n’étant qu’une convention entre deux commandants en chef, elle aurait été une humiliation pour l’armée française et pour ses chefs.

• Une manière de rejeter la responsabilité de la défaite sur le pouvoir civil ?

Que Weygand ait refusé de faire capituler l’armée parce que c’eût été un acte déshonorant, c’est indéniable. Cependant, cette attitude ne cachait-elle pas une volonté de faire porter aux hommes politiques tout le poids de la défaite devant l’opinion publique ?

Paul Reynaud avait recadré son généralissime lors du Conseil suprême interallié du 11 juin 1940, en lui indiquant qu’il n’avait pas à donner son avis sur la conduite de la guerre. Il fut alors facile pour celui-ci de rappeler par la suite que l’arrêt des hostilités était du ressort du gouvernement, et que, par conséquent, celui-ci ne pouvait pas lui demander de capituler. Car, pour Weygand, capituler ou signer un armistice n’aurait rien changé à l’issue des combats, la guerre étant finie. Mais il pouvait faire en sorte que l’honneur de l’armée fût sauf ; ce qui était déjà le cas grâce à la bataille d’arrêt qu’il avait mené. Il était donc hors de question de venir entacher cet honneur. Dans ce cas, pourquoi Weygand a-t-il refusé que le gouvernement couvre la capitulation d’un ordre écrit, comme Reynaud le lui proposa à au moins deux reprises429 ? L’hypothèse que nous faisons est que Weygand considérait qu’en signant la capitulation, l’armée serait la première à reconnaître la défaite, tandis que les ministres, même s’ils étaient contraints de mettre fin à la guerre tôt ou tard, pourrait jouer les héros à bon compte en quittant la métropole. Il aurait été alors facile pour les hommes politiques de dire à l’opinion publique : « Voyez ces militaires qui se croyaient invincibles : non seulement ils ont été sévèrement défaits, mais en plus ils ont la lâcheté de déposer les armes alors que tout n’est pas perdu ». Et l’histoire se serait répétée : Bazaine honni, Gambetta célébré, pour le même résultat en définitive.

428 Voir 9.1.1.

429 Paul Reynaud, Op. cit., tome II, pp. 426 et 418, et Weygand, Op. cit., p. 276. Reynaud le fit une fois avant

et une fois pendant le Conseil des ministres du 15 juin, puis à nouveau le 16 juin vers midi, chez le président Lebrun.

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Toutefois, il ne faut pas oublier la chronologie dans cette affaire de responsabilité. Dans le film documentaire Juin 1940, le piège du Massilia430, Jean-Noël Jeanneney présente dès

le 12 juin la situation de la façon suivante : les militaires, et au premier rang desquels leur

commandant en chef, veulent l’armistice pour mettre fin au combat, et « parce que c’est une façon de renvoyer la responsabilité aux civils ». D’un autre côté, Paul Reynaud et une majorité de ses ministres refusent cette solution. « Pour eux, il faut une capitulation, c’est-à- dire que c’est une reconnaissance que l’armée en métropole a été battue, et puis, politiquement, on continuera de se battre à partir […] de l’empire français préservé. » Or, ce n’est que le 15 juin que Reynaud ouvrit le débat sur la capitulation. Par conséquent, la demande d’armistice formulée par le généralissime n’était pas initialement une réaction à l’injonction velléitaire du président du Conseil de faire capituler l’armée métropolitaine. Weygand analyse avant tout l’armistice comme le moyen de mettre fin aux hostilités, et non comme le moyen de faire porter la responsabilité aux politiques. Son raisonnement fut sans doute le suivant : la guerre étant perdue, il faut y mettre un terme. Or, non seulement le gouvernement à fait « l’erreur d’entrer en guerre »431, mais légalement il est le seul habilité pour cesser les hostilités. La demande de Reynaud ne vint que renforcer sa conviction en faveur de l’armistice, le débat sur la capitulation apportant un enjeu supplémentaire à la question de la poursuite de la guerre : la responsabilité de la défaite.

• Le refus de la capitulation en tant que faisant partie d’un plan d’action

Pour le président du Conseil, la capitulation s’insérait dans une volonté de continuer la lutte en dehors du sol métropolitain. On trouve ici deux raisons supplémentaires au refus virulent de Weygand pour la solution hollandaise. Tout d’abord, il nia la capacité de jure aux autorités françaises d’appliquer un tel programme. Selon lui, il ne serait y avoir d’analogie possible entre le président Albert Lebrun ou le gouvernement français et la reine des Pays-Bas, car les deux n’ont pas la même légitimité à représenter leur pays. D’un côté, il y a une souveraine qui a pour elle le poids et le lustre des siècles ; de l’autre, nous avons des hommes amenés au pouvoir selon un principe démocratique, ce qui implique qu’ils doivent suivre la volonté populaire. Or, d’après lui, en quittant la France, le gouvernement français n’aurait pas respecté la vox populi432. Quand on rapproche de tels propos à ceux

430 Film documentaire Le piège du Massilia, de 3’52’’ à 4’30’’. 431 SHD, 2N 26, Comité de guerre, Séance du 25 mai 1940. 432 Weygand, Op. cit., p. 226.

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qu’il tint sur l’ordre public, Weygand donne à penser derrière cette vision juridique et philosophique, que la reine des Pays-Bas, incarnation de son pays, pouvait être, en tout temps et en tout lieu, un rempart contre les communistes, ce que ne pouvait être un Albert Lebrun, dont la légitimité démocratique n’était, par essence, qu’un simple accident de l’histoire. De fait, dans cet échange, Weygand niait toute identification possible entre le République et la France. De par sa nature républicaine, le gouvernement de Paul Reynaud ne pouvait pas « emmener la France à la semelle de ses souliers » pour paraphraser Danton.

Mais surtout, Weygand en vint à s’opposer fermement à la capitulation parce qu’elle

entraînerait la poursuite de la guerre. Ce qui avait deux conséquences fâcheuses. L’armée

française serait détruite, en deux temps : par la capture de la totalité de l’armée métropolitaine, inévitablement contenue dans la capitulation, et ensuite par l’annihilation de l’armée coloniale. Continuer la lutte en s’exilant, c’était aussi espérer libérer à terme la France depuis l’extérieur. Une telle idée était une abomination à ses yeux. On a vu que lors du second Conseil des ministres de Cangé, le 13 juin, il enchaîna les questions rhétoriques pour faire comprendre aux ministres qu’ils ne pouvaient quitter la métropole. Il acheva cette tirade en demandant à ses interlocuteurs comment la France sera-t-elle libérée : « En bombardant nos villes, nos compatriotes ?, poursuit-il. C’est un programme absurde et odieux »433. Non seulement Weygand juge impossible la libération de la France de l’extérieur, mais il ajoute que ce serait une ignominie. Le pays serait transformé en un vaste champ de bataille, avec son lot de destructions matérielles et de pertes humaines. Or, c’était précisément ce que l’état-major français avait cherché à éviter en se portant en Belgique dès le début d’une offensive allemande – et ce déjà lorsque Weygand était à la tête des armées de 1931 à 1935. A l’instar de nombreux officiers français, au premier rang desquels le maréchal Pétain, il était convaincu que la France était en déclin depuis la fin de la Grande Guerre. Affaiblie socialement, si ce n’est biologiquement, selon eux la France ne pouvait survivre, ni au sacrifice de son armée et de son sol métropolitain, ni à une guerre de libération434.

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