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L’armistice, seule et unique issue

La progressive réduction du champ des possibles à l’unique solution de l’armistice

4.3 La nécessité de l’armistice (8/10 juin – 24 juin)

4.3.2 L’armistice, seule et unique issue

338 Charles de Gaulle, Op. cit., tome I, p. 50.

339 Weygand, En lisant les Mémoires de guerre du général de Gaulle, Op. cit., p. 51. 340 Charles de Gaulle, Op. cit., tome I, p. 50.

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Sur le terrain, le 11 juin, la situation évolue de plus en plus en défaveur des armées françaises. Une instruction à l’attention du général Georges est donc préparée au cas où le front serait de nouveau rompu341. Il s’agirait alors d’exécuter une manœuvre en retraite d’une grande profondeur pour couvrir le maximum de territoire. Le 12 juin à 13 heures, Weygand donne l’ordre de retraite générale342.

• L’entrée dans l’arène

Si au niveau des opérations Weygand entend tenir fermement les rênes, il lui faut maintenant agir auprès du gouvernement. Les prémices de son intervention lors du Conseil des ministres du 12 juin sont présentes dans les propos qu’il a tenus au Conseil suprême interallié du 11 juin, à Briare343. Au cours de cette séance s’instaure un dialogue de sourd entre, d’un côté, Churchill, plein d’espoir et au verbe lyrique, et, d’un autre côté, le général Weygand et le général Georges, ancrés dans pragmatisme tout militaire. Reynaud penche entre les deux, adoptant le ton de la détermination du lion britannique, tout en semblant ne pas se résoudre aux conséquences d’une telle position. A Churchill qui parle d’évènement relativement lointain – « le printemps 1941 » par exemple, Weygand « demande que l’on voie clairement la situation dans laquelle l’on se trouve » et « que l’on ne perde pas de vue les conditions de la lutte ». S’il accorde au Premier ministre anglais que « toute journée gagnée à son importance », c’est pour dire tout de suite après qu’il ne « peut garantir que les lignes tiennent encore demain ». Cette rhétorique à base de concessions/réfutations permet à Weygand de ne pas affronter brutalement Churchill, tout en lui signifiant que la partie est perdue pour la France. Avec le général Georges, et même Reynaud, ils font de l’aide aérienne massive de la part de l’Angleterre l’ultime carte à abattre pour espérer renverser la vapeur. Le généralissime en vient par deux fois à outrepasser ses attributions. La première fois, il le fait sous forme de pique à l’attention des politiques, quand il déclare que « c’est bien légèrement que l’on est entré en guerre en 1939 […] ». Ces propos font échos à ceux qu’il a tenus lors du Comité de guerre du 25 mai : « la France a commis l’immense erreur d’entrer en guerre […] ». La deuxième fois, il avance explicitement la nécessité de demander un

341 SHD, 27N 3, Instruction personnelle et secrète du général Weygand au général Georges n°1444 3/FT, 11

juin 1940. Weygand écrit notamment que « la direction d’ensemble des armées reste assurée et le sera jusqu’au bout ». L’emploi des mots « et le sera jusqu’au bout » dénote que, pour lui, il ne reste plus qu’à attendre l’armistice.

342 SHD, 27N 3, Télégramme du général Weygand au général Georges, 12 juin 1940, 13 heures. 343 SHD, 27N 4, Conseil suprême interallié, Séance du 11 juin 1940.

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armistice, puisqu’il affirme que « s’il faut envisager l’occupation complète de la métropole, on en vient à se demander comment la France serait capable de continuer la guerre ». Weygand dit avoir admis la réponse du président du Conseil, à savoir que « le problème de la continuation de la guerre […] relève des décisions du gouvernement »344. Cependant, en

répondant à cette remise en place – courtoise du reste – « qu’il serait trop heureux de servir sous les ordres de celui qui aurait trouvé le moyen d’échapper aux conséquences de la situation actuelle », il en vient à nier que le gouvernement ait d’autres solutions que celle qu’il préconisera explicitement le lendemain soir.

Le 12 juin, à 20 heures, le Conseil des ministres se réunit au château de Cangey, demeure provisoire du président de la République. Weygand, invité par Reynaud à faire l’exposer de la situation militaire, termine son intervention en ajoutant une touche apocalyptique345 au

déroulement des opérations. Puis, s’il concède que la conduite de la guerre appartient au gouvernement, il ajoute que c’est son devoir de dire à celui-ci qu’il n’y a plus qu’une seule solution346 : demander immédiatement l’armistice à l’Allemagne. Pour la première fois, Weygand prend publiquement position pour cette option, devant le Conseil des ministres presque réuni au complet. Quelques heures auparavant, il avait eu une conversation avec le maréchal Pétain et Reynaud, où celui-ci avait déclaré que séparer la France de l’Angleterre, avec ou sans son consentement, laisserait les Français seuls face à Hitler347. Par-là, Weygand a définitivement su que le président du Conseil ne ferait pas le premier pas vers une demande d’armistice, et userait de tous les arguments pour ne pas à avoir à le faire. L’honneur de l’armée ayant été sauvé par la bataille qu’il avait promis de conduire, mais qu’il n’avait pas promis de gagner, les deux hypothèques qui l’empêchaient de prendre publiquement position pour la demande immédiate de la cessation des hostilités étaient ainsi levées.

Non content de sortir de son rôle en prenant sciemment position sur une question ressortant du domaine de la conduite de la guerre, il aborda le problème du maintien de l’ordre, problème de politique intérieure. Sa demande en faveur de l’armistice était encore acceptable, au sens où, lorsque les évènements deviennent aussi tragiques, tout homme a le droit de donner son avis. Mais elle outrepassait toute mesure quand il déclara que, en tant que commandant en chef, il a le devoir de se soucier du maintien de l’ordre en France348.

344 Weygand, Op. cit., p. 205.

345 Paul Reynaud, Mémoires, tome II, Envers et contre tous, Paris, Flammarion, 1963, p. 400. 346 Henri Longuechaud, « L’abominable » armistice de juin 1940, Paris, Plon, 1980, p. 34. 347 Paul Reynaud, Op. cit., p. 399.

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D’emblée, sa campagne pour la demande d’un armistice montrait un double visage, à la fois militaire et sécuritaire.

• L’ancrage dans sa position

Le lendemain, au Conseil des ministres du 13 juin à 17 heures 30, il réitère par deux fois – après avoir exposé la situation militaire, puis lorsque le Conseil, brièvement interrompu, reprend – ses propos en faveur d’une demande d’armistice. Il accuse de façon à peine voilée les ministres de lâcheté, déclarant qu’il « pourrait lui aussi se prévaloir d’un courage verbal de même qualité. Que ces ministres courageux lui permettent de leur dire ce qu’il a dit à plusieurs reprises au président du Conseil : c’est à Paris que le gouvernement aurait dû rester »349. Poursuivant sur le même thème, il indique que la seule politique courageuse qui soit serait de ne pas quitter la France et de demander l’armistice, car quitter le pays serait à la fois une ineptie du point de vue militaire et une forfaiture du point de vue politique. Sa diatribe atteint son paroxysme lorsqu’il prédit que le gouvernement ne serait plus reconnu comme légitime par les Français s’il décidait de s’exiler350. La rupture est donc totale entre

le président du Conseil et le commandant en chef. Mais, en un certain sens, Weygand reste cohérent avec lui-même. Comme nous l’avions déjà relevé, il avait clairement fait comprendre au Conseil des ministres sa position dès le 5 juin, quand il y avait déclaré que « si la bataille qui s’engageait sur la Somme était perdue, le véritable courage serait de traiter ac l’ennemi » [c’est nous qui soulignons]. Cette bataille ayant été perdue, le gouvernement n’ayant pas établi d’autre directive précise à étudier et à mettre en œuvre, il ne peut que ne pas comprendre que la solution qu’il préconise ne reçoive pas un accueil unanime.

Pourtant, un personnage va mettre tout son poids dans la balance en faveur du général Weygand. Le 12 juin, si l’intervention de ce dernier avait reçu un accueil « glacé, hostile » de la part de la majorité du Conseil des ministres selon Laurent-Eynac351, Jean Prouvost, ministre de l’Information, et Pétain s’étaient prononcés en faveur de la position du généralissime. Mais le vieux maréchal avait soutenu son cadet mezzo voce, si bien que le débat se situait encore entre la politique du président du Conseil et celle préconisée par son

349 AN, 2W 280, Mémoire établi par le général Weygand à l’intention de la Cour suprême de justice de Riom.

Louis Marin a confirmé ce texte.

350 Weygand, Op. cit., p. 218.

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commandant en chef. Le 13 juin, Pétain entraîne la scission du Conseil des ministres, qui n’ira qu’en s’agrandissant jusqu’à ce que Reynaud démissionne. Le vainqueur de Verdun se lève, et se met à lire une note de sa voix chevrotante. De cette déclaration solennelle, maintes fois commentée, nous ne retiendrons, pour le moment, que deux points : « le devoir du gouvernement est, quoi qu’il arrive, de rester dans le pays », « l’armistice est la condition nécessaire à la pérennité de la France »352. Le maréchal Pétain devient, ipso facto, le chef du « parti » de l’armistice en prononçant ces mots. Le général Weygand savait que ses vues étaient semblables à celles de Pétain concernant la situation militaire353. Mais, avec cette intervention du maréchal, il peut alors se ranger derrière son autorité, à la fois militaire, institutionnelle et symbolique. C’est-à-dire que, par la suite, quand il sortira de ses attributions à de nouvelles reprises, il sera couvert par cette autorité contre laquelle Reynaud peut difficilement s’élever.

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