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Des plans de contre-offensive chimériques (26 mai – 29 mai)

Une action stratégique aux objectifs de plus en plus réduits

1.2 Arrêter l’ennemi sur la Somme et l’Aisne : gagner du temps par la défensive (26 mai – 8 juin)

1.2.1 Des plans de contre-offensive chimériques (26 mai – 29 mai)

• Maintien des directives ou flottement ?

En même temps qu’il ordonnait au général Blanchard de constituer une tête de pont aussi large que possible, englobant les ports de Dunkerque, Boulogne et Calais, Weygand fut informé du fait que les Britanniques s’apprêtaient à évacuer l’ensemble du BEF par la mer53. Malgré

cette nouvelle, il ne renonça pas directement à son plan bis de contre-offensive. D’une part, il avait envoyé le 25 mai deux télégrammes, l’un à lord Gort, l’autre au général Champon pour transmission au roi des Belges, demandant à ces deux chefs d’accepter sa décision par laquelle il avait donné délégation au général Blanchard pour coordonner les opérations alliées dans le Nord. Au-delà de ce souci d’officialiser la nomination du remplaçant du général Billotte, et donc d’assurer la coopération des armées coalisées, ces télégrammes servaient également à s’assurer que ce serait la conception française de la tête de pont autour des ports de la mer du

52 Philippe Masson, Op. cit., p. 231. 53 Ibid., p. 230.

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Nord qui serait mise en œuvre. D’autre part, Weygand reçu le même jour un télégramme54 du

vice-amiral d’escadre Odend’Hal (chef de la mission navale française à Londres) l’informant que, d’après le général anglais Dill – envoyé en liaison dans les Flandres, le déclenchement d’une offensive vers le sud par le général Blanchard n’était qu’une question d’heures. Le général Ironside, qui avait transmis ce télégramme à Odend’Hal, en concluait que le chef du GA 1 et le commandant du BEF étaient en parfait accord « sur les modalités d’exécution de l’opération venant du Nord ». L’espoir était donc permis que les Anglais ne retraitent pas immédiatement vers la côte, et participassent à la contre-manœuvre bis pensée par Weygand.

Cependant, les instructions qu’il donna le 26 mai 1940 pouvaient jeter un doute quant à la résolution du généralissime français à faire appliquer cette manœuvre. Son ordre général d’opérations du 26 mai 1940 prescrivait que « la bataille dont dépend[ait] le sort du pays sera[it] livrée, sans esprit de recul, sur la position que [les armées occupaient à cette date] »55. D’un

côté, cette phrase semble indiquer que la bataille qui faisait alors rage était vouée à se terminer pour laisser place à celle qui serait décisive, et par conséquent que le GA 1 était condamné. D’un autre côté, l’absence de directives pour ce groupe d’armées laisse penser que celles qui avaient été données la veille à Blanchard étaient maintenues. La note que Weygand envoya le 26 mai au général Georges permet d’y voir un peu plus clair. Dans celle-là le commandant en chef français rappelait à son subordonné « l’intérêt capital qui s’attach[ait] tant du point de vue

de l’attaque que de la défense à la possession intégrale du cours de la Basse-Somme ». Il ne

fallait donc pas laisser l’ennemi s’emparer des passages, sinon « notre résistance sur la Somme serait ainsi compromise et notre débouché rendu impossible. »56 De même qu’il n’est pas question du GA 1 dans cette note, on y retrouve la dualité que nous venons de voir dans l’ordre général d’opération suscité, puisqu’il est question à la fois de résister sur la Somme, mais également de se préserver des débouchés pour « l’attaque ». Partant de là, l’hypothèse que nous faisons est que Weygand ne fit que modifier le tempo de la deuxième mouture de son plan. Alors qu’initialement il était question que la tête de pont du nord permette au front de la Somme de s’organiser en vue d’un passage rapide à l’offensive, il était maintenant à l’ordre du jour que les Alliés obtiennent d’abord une victoire défensive sur ce fleuve, pour ensuite contre-attaquer. D’où l’importance d’« établir des têtes de pont, permettant de déboucher face au Nord » et de

54 SHD, 27N 7, Confirmation de réception d’un télégramme du 25 mai 1940 envoyé par le vice-amiral d’escadre

Odend’Hal au général Weygand, 26 mai 1940.

55 SHD, 27N 3, Ordre général d’opérations du général Weygand, n°1183 3/FT, 26 mai 1940. C’est nous qui

soulignons.

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tenir les passages. À l’intérieur de ce cadre-là, le rôle du groupe d’armées n°1 n’avait pas à changer, ce qui expliquerait l’absence de consignes le concernant dans ces deux documents57.

• L’abandon définitif de tout plan de contre-offensive

En fait, entre le 26 et le 28 mai 1940, les évènements s’enchaînèrent pour condamner le plan de contre-offensive ter de Weygand à n’avoir été qu’une vue de l’esprit. Sur la Somme, les seules opérations d’envergure se limitèrent à des attaques d’infanterie sur les têtes de pont tenues par les Allemands sur la rive gauche de la rivière. Le 27 mai au soir, ils tenaient toujours Abbeville, Péronne et Amiens. Ainsi, la préparation de la résistance sur le front du 3e groupe d’armées et, a fortiori, la possibilité qu’il passe à l’offensive par la suite étaient d’ores et déjà compromises. Cependant, ce fut la situation dans les Flandres qui fit s’évanouir tout espoir. Le 25 mai Boulogne était tombé. Le lendemain, Calais capitulait à son tour. La perte de ces deux ports impliquait de fait de renoncer à l’établissement d’une tête de pont large. Le périmètre où les armées alliées engagées dans les Flandres tenaient devenait par-là trop réduit pour engager une résistance efficace et ayant des chances de tenir longtemps, ce pour des raisons d’alignement et de densité des unités, ainsi qu’à cause des faibles possibilités de décharger le ravitaillement. De plus, le 26 mai, alors qu’Hitler rapporta son premier haltbefehl – permettant par-là aux divisions allemandes qui prenaient en tenailles le groupe d’armées n°1 de continuer leur avancée, les Britanniques lancèrent l’opération Dynamo, accentuant leur retraite en direction de la mer. L’anéantissement de la tête de pont voulue par Weygand n’était plus qu’une question de jours.

Malgré cela, le haut-commandement français ne se résigna toujours pas à ordonner l’évacuation générale du GA 1, pour les même raisons qu’évoquées plus haut. Il fallait que les troupes prises dans la nasse résistassent jusqu’à la dernière cartouche, pour gagner du temps et ainsi organiser la ligne Somme-Aisne. De la tête de pont, nous sommes passés au camp retranché. Avec l’adoption du plan bis de Weygand il y avait eu une première dissociation entre le GA 1 et le reste des forces alliées, et ce quant à leur rôle respectif – le premier devant fixer l’ennemi, le second contre-attaquer. Le 27 mai fut introduite, de facto, une deuxième dissociation entre ces deux groupements de forces, cette fois-ci en rapport avec leur sort : le GA 1 devait certes encore fixer l’adversaire, mais au prix de sa destruction complète. Ce qui

57 Philippe Masson confirme que le 26 mai 1940 les préoccupations de Weygand « concernent essentiellement le

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revenait à rabaisser une nouvelle fois le rôle stratégico-opérationnel du GA 1, en le réduisant à zéro à court terme.

• Le ralliement aux vues des Britanniques

À nouveau les évènements se sont chargées de tuer dans l’œuf les conceptions que Weygand aurait sans doute voulu mettre en œuvre, ici en ce qui concerne la défense du camp retranché formé par les unités franco-anglo-belges. Le 27 mai en début de soirée, le général Champon avertit le généralissime que le roi Léopold III capitulerait le lendemain58, ce qui découvrirait toute l’aile gauche du dispositif du général Blanchard. Reynaud l’avait informé, lors de leur réunion journalière du même jour, que les Britanniques étaient pessimistes quant à la résistance des troupes autour des ports de la mer du Nord59. Les actions des alliés de la France poussaient à ce que le haut-commandement hexagonal donnât l’ordre d’évacuer Dunkerque et de sauver ce qui pouvait l’être. En outre, deux corps d’armée étaient menacés d’encerclement près de Lille. Weygand ne pouvait donc que se rallier à l’opération Dynamo, ce qui fut officiellement le cas le 28 mai 194060. Ce n’est cependant que le lendemain qu’il ordonna à Blanchard de percer vers la côte, ordre trop tardif pour que toutes les unités sous le commandement de celui- ci pussent atteindre la mer.

En acceptant le principe d’un rembarquement et la participation de la Marine nationale à son exécution, Weygand réduisait immédiatement le rôle stratégique du groupe d’armées n°1 à rien. Cet ensemble de forces ne conservait qu’un rôle tactique de couverture de l’évacuation de la côte française de la mer du Nord et, par défaut, de rétention d’unités ennemies. Par-là, le généralissime français actait non seulement la défaite des Alliés dans la première bataille de la campagne engagée par la Wehrmacht le 10 mai 1940, mais également l’impossibilité de reprendre à court terme l’initiative stratégique grâce à une grande victoire contre-offensive.

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