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Le basculement vers la défensive stratégique (26 mai – 4 juin)

Une action stratégique aux objectifs de plus en plus réduits

1.2 Arrêter l’ennemi sur la Somme et l’Aisne : gagner du temps par la défensive (26 mai – 8 juin)

1.2.2 Le basculement vers la défensive stratégique (26 mai – 4 juin)

• Le refus de tout type de retraite

58 SHD, 27N 3, Télégramme n°00033 du général Weygand à l’amiral Abrial, 27 mai 1940, 19 heures. 59 Weygand, Op. cit., p. 124.

60 Marc-Antoine de Nazelle, « D’une réussite inespérée à la rupture franco-britannique », in Christine Levisse-

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Que ce soit lorsqu’il exposa son plan en cas de perte des armées du nord au Comité de guerre du 25 mai 194061 ou directement devant ses grands subordonnés, Weygand s’opposa à deux types de retraite qui s’offraient possiblement à l’armée française.

Tout d’abord, il rejeta l’idée d’un repli stratégique des armées de l’est – celles du groupe d’armée n°2, auxquelles s’ajouteront celles du groupe d’armées n°4, créé le 1er juin, c’est-à- dire de chercher une ligne de résistance plus courte que celle formée par la Somme, les canaux du Crozat et de l’Ailette, l’Aisne et la ligne Maginot. Cette solution avait l’avantage de pouvoir mieux garnir le nouveau front qu’aurait choisi le haut-commandement, celui-ci ayant bien du mal à réunir assez d’unités pour couvrir de façon satisfaisante la ligne Somme-Aisne. De plus, un tel repli en profondeur aurait peut-être permis à ce front d’être plus rectiligne, en ne laissant pas un saillant au nord de Reims et donc d’éviter a priori au GA 2 d’être sous la menace d’un encerclement en cas de rupture du front sur l’Aisne. Néanmoins, ce plan étant basé sur l’abandon des régions fortifiées, posait quatre problèmes. L’armée française ne pourrait plus compter sur les fortifications de la ligne Maginot, qui étaient modernes et bien dotées. Ensuite, les 150 000 hommes la défendant auraient dû être évacués, opération compliqué voire impossible vu les efforts colossaux déjà entrepris pour acheminer des troupes sur la Somme et l’Aisne. Cela revenait également à abandonner une partie des usines d’armement et de l’industrie du nord-est de la France. Enfin, chez un général qui faisait grand cas du moral, l’abandon sans combats de cette ceinture fortifiée qui avait été élevée au rang de mythe pendant les années 1930 ne pouvait qu’être inenvisageable. Par conséquent, le 2 juin 1940, lors d’une réunion avec les généraux Georges, Prételat (commandant du GA 2) et Huntziger (commandant du GA 4), Weygand refusa la proposition que lui firent ces deux derniers d’un repli stratégique au lieu de s’accrocher aux régions fortifiées62.

Le généralissime français rejeta également l’idée d’une manœuvre en retraite à partir de la ligne Somme-Aisne. Au Comité de guerre du 25 mai 1940, il avait indiqué que la solution idéale en cas de perte du GA 1 aurait été de se battre sur la ligne Somme-Aisne, puis de se regrouper derrière la ligne Basse-Seine-Marne. De fait, un tel plan aurait permis de mieux préparer la position de résistance en ralentissant les Allemands au nord de celle-ci. Le front Basse-Seine-Marne avait aussi le mérite de continuer à couvrir Paris et de garder le contact avec la ligne Maginot. Cependant, trois problèmes venaient battre en brèche cette manœuvre en retraite. Le premier était qu’un tel repli revenait à abandonner rapidement les usines

61 SHD, 2N 26, Comité de guerre, Séance du 25 mai 1940. Toutes les citations faisant référence au Comité de

guerre du 25 mai sont tirées de cette cote.

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d’armement de la région parisienne. Le second concernait la solidité du front, car comme le souligna le commandant en chef français devant le Comité de guerre, la ligne Somme-Aisne avait été « conçu[e] et en partie réalisé[e] avant [son] arrivée ». Se replier plus au sud revenait à quitter des positions en partie préparées pour d’autres qui ne l’étaient pas encore. Mais surtout, il fit remarquer qu’en l’état actuel du rapport des forces, « il n’y [avait] pas de retraite méthodique possible »63.

En d’autres termes, Weygand faisait comprendre que la réédition de la retraite de l’été 1914 était impossible. A l’inverse du général Joffre, il ne disposait pas d’assez de réserves pour pouvoir se replier tout en maintenant un front cohérent et en contre-attaquant localement pour ralentir la poussée des Allemands, et en définitive permettre une contre-offensive du style de la Marne. À cette impossibilité matérielle s’ajoutait une répugnance de principe à l’idée d’un repli stratégique, que nous avons déjà évoquée concernant le plan du 22 mai et ses suites. Précisons seulement ici que Weygand, en tant que son ancien bras droit, savait que pour Foch il ne devait y avoir aucune retraite volontaire devant un ennemi résolu64. L’addition de cet état de fait et

des enseignements du maréchal Foch – qui étaient, de l’aveu du général Doumenc, très présents à l’esprit de son supérieur, conduisirent le commandant en chef à penser qu’un seul choix s’offrait à lui : se battre sur une unique position sans esprit de recul. Du reste, c’était également la vision des principaux chefs de l’armée française à la fin du mois de mai 1940. Car, à y regarder de plus près, le projet de décrocher de la ligne Maginot ou celui de rejoindre la ligne Basse-Seine-Marne revenait à discuter non pas le fond de la stratégie de Weygand – établir une unique position de résistance à défendre sans regarder derrière, mais le lieu où se déroulerait cette résistance acharnée. En ce sens, les deux projets de replis préconisés par les subordonnés du généralissime français n’étaient qu’un prélude à une défensive sans esprit de recul, dans la droite ligne, d’ailleurs, de l’Instruction sur l’emploi tactique des grandes unités de 1936 (IGU)65.

• Les objectifs stratégiques et les missions opérationnelles

63 Qui plus est, le général Georges l’avait conforté dans cette idée qu’une telle manœuvre était impossible. Cf.

SHD, 27N 3, Note du général Weygand pour le général Georges, n°1280 3/FT, 31 mai 1940. Weygand écrit que, d’après lui, le général Besson a l’intention d’exécuter « une manœuvre en retraite, sur une grande profondeur, manœuvre que vous [Georges] m’avez, dès le début, indiquée comme impossible ».

64 Elizabeth Greenhalgh, Foch, chef de guerre, Paris, Tallandier, 2013 (1ère éd. GB 2011), p. 59. 65 Instruction sur l’emploi tactiques des grandes unités de 1936, p. 123, §275.

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Nous avons vu que Weygand avait donné, dans deux notes adressées au général Georges (n°1154 3/FT du 24 mai et n° 1185 3/FT du 26 mai) et dans son ordre général d’opérations du 26 mai 1940, des instructions pour que la position de la Somme fût organisée, ce qui impliquait de rejeter l’ennemi au-delà de la rive droite de ce fleuve et d’en tenir les passages pour se créer des déboucher vers le nord. Comme il le signalait au commandant en chef du front Nord-Est, toute résistance sur la Somme était conditionnée par la réduction des têtes de pont que les Allemands avaient créées sur son cours. Par conséquent, si ces ordres s’inscrivaient initialement dans le cadre de la première manœuvre voulue par Weygand, puis de ses différentes moutures, ils servaient déjà de base au second plan du généralissime français, en préparant le passage à la défensive stratégique.

Ce fut l’instruction personnelle et secrète du 29 mai 194066 qui acta officiellement ce

changement de stratégie : « la bataille défensive à laquelle nous sommes provisoirement astreinte est à conduire, sans esprit de recul » sur la ligne Somme-Aisne. Par cette phrase, Weygand concédait qu’il n’avait plus du tout l’initiative au niveau stratégique : les armées françaises ne pourraient que subir le choc de la Wehrmacht. Même en ce qui concernait le lieu de la future bataille, Weygand estimait qu’il n’avait pas le choix. L’idée directrice était donc de remporter une victoire défensive avec un triple objectif : affaiblir l’ennemi, gagner du temps et ainsi reconstituer des forces à l’abri de ce nouveau front. Il s’agissait, en quelque sorte, de rejouer un Verdun, mais à l’échelle du pays tout entier. Cependant, comme pour cette bataille de la Grande guerre et malgré le changement d’échelle, les résultats ne pouvaient qu’être opérationnels, dans le sens où, même en cas de victoire, les armées alliées ne pourraient pas reprendre immédiatement l’initiative au plan stratégique.

Au niveau inférieur, c’est-à-dire opérationnel, les missions étaient réparties en fonction des armées. Elles étaient de couvrir Paris pour le GA 3, tandis que le GA 2 devait maintenir la soudure avec la ligne Maginot. Si de profondes brèches venaient à être faites dans le dispositif, le GA 3 pourra rétablir la défense de la capitale sur la ligne Basse-Seine-Marne en englobant la position avancée de la ville lumière, tandis que le GA 2 devrait rabattre sa gauche pour éviter tout encerclement des régions de l’est. Pour ce qui était du groupe d’armées sous le commandement du général Besson, la mission qui lui était assignée au déclenchement de la future bataille était subordonnée, on l’aura compris, à la réalisation d’un premier objectif : la possession du cours de la Somme dans son intégralité. C’est pourquoi Weygand relançait

66 SHD, 27N 3, Instruction personnelle et secrète du général Weygand pour le général Georges, n°1242 3/FT, 29

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incessamment le général Georges pour que les têtes de pont ennemies sur cette rivière fussent réduites ou pour que les Allemands ne tinssent pas les passages67.

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