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Une exécution parfois contrariée

Un moderne parmi les anciens ? La tactique de Weygand

2.3 Les entraves

2.3.1 Une exécution parfois contrariée

• La faiblesse des moyens

La France possédait-elle encore, au début de juin 1940, les ressources pour que la tactique prescrite par le nouveau commandant en chef puisse être appliquée correctement ?

Nous l’avons vu dans le premier chapitre, de la prise de fonction de Weygand le 20 mai, jusqu’à la signature de l’armistice le 22 juin, le rapport militaire de force entre la France et l’Allemagne n’a eu de cesse d’évoluer dans un sens défavorable à celle-là, et ce malgré les efforts du général Doumenc pour reconstituer des divisions. Préjudiciable à l’échelle stratégique, les déficits matériel et en hommes l’étaient tout autant au niveau tactique. Prenons l’exemple de la constitution de la ligne Somme-Aisne. À l’image des divisions légères, créées à partir de la fin de la bataille des Flandres, certains régiments et divisions n’étaient pas à leur effectif et dotation en armes théoriques. Cela impliquait que, comme à l’échelle stratégique du fait d’un nombre insuffisant de grandes unités, il n’y aurait localement ni continuité de l’observation, ni recoupement des plans de feux sur l’ensemble du cours des deux rivières151.

Autrement dit, comme les généraux français n’avaient pas les ressources de créer des points d’appui partout où cela aurait été nécessaire, le quadrillage exigé par Weygand avait une maille trop large pour être totalement efficace.

Après que la bataille de la Somme fut perdue, au niveau même des points d’appui la diminution rapide des moyens mis à la disposition des armées françaises contraignit les chefs d’unités à recourir de facto à une organisation allégée de ceux-là. Maintenant, un canon de 75,

151 Jacques Vernet (colonel), « La bataille de la Somme », in Christine Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940,

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une pièce de 47, un ou deux chars, devenaient le cœur d’un centre de résistance improvisé, autour duquel se regroupaient quelques soldats déterminés. Ainsi, dans la deuxième partie de la bataille de France, les « hérissons » tendaient progressivement à ne plus être que des « bouchons », ersatz désespéré d’une tactique défensive adoptée trop tardivement.

Cette entrave matérielle à l’application des instructions du généralissime concernait également l’emploi de l’aviation. L’appui aérien du côté français s’était amélioré par rapport au mois de mai et les usines aéronautiques tournaient à plein régime. La Luftwaffe avait perdu un millier d’appareils, se trouvait assez loin de ses bases et le matériel comme les hommes avaient besoin de repos. Cependant, ces éléments ne compensaient pas l’inégalité entre les deux armées de l’air. Car, comme pour les unités blindées, l’aviation française manquait cruellement d’engins : au 5 juin 1940, elle n’alignait que 250 bombardiers et 500 chasseurs en état de combattre152. Par conséquent les opérations d’observation et de harcèlement par la voie des airs

demandées par Weygand ne pouvaient qu’être réduites en nombre et en puissance, ce qui limitait la portée de ses ordres dans ce domaine-là.

Ainsi, la mise en échec de la tactique de Weygand tenait tout d’abord à la faiblesse des ressources de l’armée française, car, comme l’indique J.-L. Crémieux-Brilhac à la suite du général Laffargue, « là où la densité du front français [fut] forte, […] les blindés ne [passèrent] pas »153.

• L’assimilation en demi-teinte des consignes

Les directives tactiques de Weygand étaient claires. Cependant, comme nous le verrons pour ces ordres à portée stratégique, encore fallait-il qu’elles fussent correctement appliquées par les unités. Le 3e bureau du GQG avait indiqué le 25 mai 1940 qu’en raison de l’importance

de la lutte antichars et antiaérienne, il fallait s’assurer de et faire contrôler la mise en œuvre de la nouvelle organisation défensive. Le généralissime avait approuvé implicitement cette demande en proposant à Reynaud de rétablir des inspecteurs généraux qui circuleraient dans les arrières des armées et dans les régions, et en dépêchant de nombreux officiers de liaison sur le front154. Ces mesures étaient justifiées car plusieurs rapports firent état de manquements plus

152 Bruno Chaix, Op. cit., p. 294.

153 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome II, p. 648.

154 SHD, 27N 79, Note sur l’étude établie par le Cabinet militaire sur la défense contre les engins blindés (non

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ou moins graves dans l’observation des instructions relatives à la défense contre les blindés et l’aviation. Ainsi, le 3e bureau du front Nord-Est relevait le 30 mai que l’application de ces

nouveaux principes « laissait à désirer »155. De même, on rapporta à Weygand et au général Georges que certaines troupes ne s’enterraient pas ou ne faisaient pas usage de leurs armes portatives face aux avions volant bas156. Enfin, le généralissime dut rappeler le 7 juin – soit en pleine bataille – qu’il fallait que l’artillerie ait une attitude résolument offensive, en réalisant le plus possible de contre-préparations157.

Le facteur temps explique en partie ces lacunes. La nouveauté du système tactique préconisé impliquait un nécessaire délai pour que l’armée l’adoptât et le mît en place systématiquement, tant à cause des mentalités qui devaient évoluer, que du temps que les instructions fussent connues de tous. À ce titre, un rapport de mission de l’inspection générale de l’artillerie auprès de la VIIe armée est éclairant. En effet, y était notamment évoqué une proposition du général Rouhier, commandant de l’artillerie de cette armée : « il faut installer les batteries dans les villages, constituer des centres de résistance dans ces agglomérations en barrant tous les accès » 158. Les termes « il faut » soulignent que ce type d’organisation n’était pas encore devenu systématique au sein de la VIIe armée. Mais surtout, qu’un commandant de l’artillerie d’une armée préconise des mesures qui ont déjà fait l’objet d’instructions de la part du haut-commandement, tend à montrer que la simple diffusion de celles-ci a été lente au sein- même du corps des officiers généraux, et donc a fortiori au sein de la troupe.

Il n’en allait pas de même pour les procédés du combat d’infanterie contre les avions, qui étaient connus depuis plusieurs mois. Pareillement, le potentiel trop petit nombre de contre- préparations d’artillerie ne pouvait, lui, se justifier par des déficits matériels, Weygand indiquant que la situation des approvisionnements autorisait à exécuter de façon massive de telles actions. Ces lacunes dans l’exécution ne peuvent donc s’expliquer seulement par le fait que certains cadres et hommes de troupe avaient du mal à entrer pleinement dans la guerre moderne et traînaient des pieds pour exécuter les instructions tactiques.

Pour conclure, ces instructions furent peut-être plus appliquées que véritablement assimilées dans l’ensemble de leurs implications par toutes les unités, faute de temps et à cause du fort ancrage dans les esprits des méthodes de combat antérieures.

155 SHD, 27N 85, Note à l’usage des officiers de liaison (non signée), n°2172 3/IM, 30 mai 1940.

156 SHD, 27N 3, Ordre général du général Weygand, n°1309 3/FT, 1er juin 1940 et SHD, 27N 155, Note du général

Georges sur la lutte contre l’aviation ennemie par les troupes à terre, n°2150 3/IM, 27 mai 1940.

157 SHD, 27N 73, Note du général Weygand pour les armées, n°1403 3/FT, 7 juin 1940.

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