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Résister pour préparer la revanche ?

Assurer la survie d’une certaine France

5.1 Une simple suspension d’armes : ce que l’armistice n’était pas pour Weygand

5.1.2 Résister pour préparer la revanche ?

Weygand et ses défenseurs ont avancé une série d’actes, d’instructions ou d’ordres qu’il commit ou donna lorsqu’il fut ministre de la Défense nationale, montrant qu’il mit en œuvre une politique de résistance à l’occupant allemand, en vue de la reprise prochaine de la lutte369.

• Entre obligation militaire et préparation à la signature de l’armistice (juin 1940) La thèse d’un Weygand ne voyant dans l’armistice qu’une suspension d’arme implique qu’il aurait commencé à préparer la revanche dès avant la cessation des hostilités.

L’un des grands arguments en faveur de ce dernier point concerne les contrats d’armements passés par le gouvernement français aux États-Unis. Weygand présente la version suivante370 :

« […] le 17 juin j’effectuai avec sir Ronald Campbell un échange de lettres consacrant le « transfert du gouvernement français au gouvernement anglais, du bénéfice et des charges de tous les contrats de fourniture de quelque nature qu’ils soient, actuellement en cours, à son profit direct ou indirect, aux États-Unis ». »

369 Un des ressorts de ce type de thèse étant de multiplier les exemples, en les rattachant par n’importe quel

moyen à ce que l’on veut défendre, nous n’étudierons ici que les principaux d’entre eux.

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Bernard Destremau écrit avoir trouvé les originaux de ces lettres aux archives britanniques de Kew, indiquant les avoir mises en photocopies en annexe de sa biographie371. Cependant, le 3 juillet 1940, le général Weygand informa le général Huntziger, que

« […] le Gouvernement français ne rest[ait] plus titulaire des commandes qu’il [avait] pu passer aux États-Unis. Toutes les commandes en cours dans ce Pays […] avaient été en effet transférées dès le 13 juin au Gouvernement britannique […]. »372

Si l’on donne crédit aux propos de Weygand et de Bernard Destremau, il apparaît ainsi que le ministre français de la Défense nationale n’a fait que confirmer une décision prise sous Reynaud concernant les contrats d’armements passés aux États-Unis. Weygand, focalisé sur l’armistice de 1918, ne pouvait que savoir que les Allemands ne laisseraient pas un matériel de guerre conséquent à l’armée française. Par conséquent, soit les armes et munitions achetées en Amérique allaient être saisies par la Wehrmacht comme butin de guerre ou stockées en France sans possibilité pour l’armée française de s’en servir, soit le gouvernement français aurait eu à payer pour la résiliation de ces contrats. Il est donc possible que Weygand ait vu dans la cession de tous les contrats militaires que l’Hexagone avait passés outre-Atlantique, un moyen de régler à bon compte cette question.

Une autre idée que nous devons battre en brèche est celle du renforcement intentionnel de l’Afrique du nord française. Pendant tout le mois de juin, l’aviation française se replia de base en base vers le sud de la France, jusqu’à ce qu’elle soit contraint, pour une bonne partie, d’aller en Algérie et au Maroc. Weygand, d’après lui, donna son accord le 15 juin à un tel transfert373. Il serait donc faux de voir dans une telle mesure les prémices d’une politique de résistance374 : le généralissime ne fit que tirer les conséquences qu’imposait la situation militaire en France. On peut lire, dans une communication datée du 23 juin 1940 du commandant Viallet, chef du 3ème Bureau du GQG, que le commandant en chef a donné des ordres « prescrivant de renforcer l’Afrique du nord française ». Ce qui ne prend son véritable sens que quand on lit également qu’« aucun contrordre n’a été donné »375, ce qui

signifie que le renforcement du Maghreb français a été décidé des jours, voir des semaines plutôt. Cette interprétation est confirmée par le fait, on s’en souvient, que Weygand et Colson

371 Bernard Destremau, Op. cit., note 2 de la page 571. Les photocopies ne sont pas présentes, ce qui nous a

empêchés de travailler sur ces lettres.

372 SHD, 1P 6, Note du général Weygand pour le général Huntziger, 3 juillet 1940. C’est nous qui soulignons. 373 Weygand, Op. cit., p. 281.

374 Comme le fait Bernard Destremau aux pages 573 et 575 de sa biographie consacrée à Weygand. 375 SHD, 27N 78, Communication du Commandant Viallet, 23 juin 1940.

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avaient promis au début de juin un renfort de tirailleurs sénégalais et des armes (fusil- mitrailleurs, canons) au général Noguès.

Certaines instructions données aux troupes dans les quelques jours précédant la cessation des hostilités ont de quoi étonner. Weygand ne rappela à aucun moment que l’un des devoirs fondamentaux de tout soldat est d’échapper à la capture. Dans les armées de l’Est – commandées par le courageux général Condé – les soldats ont été menacés de sanctions en cas d’évasion376. Le haut-commandement français en viendra à accepter, sans protester

d’aucune sorte, « que les troupes françaises déjà encerclées par les troupes allemandes déposent immédiatement les armes » et se constituent prisonniers377, ce qui revenait à condamner près de 80 000 soldats à la captivité.

Au regard des trois points que nous venons d’étudier, on ne saurait donner du crédit à la vision d’un Weygand prenant des dispositions en vue de la reprise des combats avant même que les conventions d’armistice ne fussent signées.

• Première partie du réflexe de survie

Après la signature des conventions d’armistice, Weygand ne changea pour autant pas de cap, comme nous le verrons dans la troisième partie du présent mémoire. Dans ce cadre-là, les mesures qu’il allait prendre et la politique qu’il mènerait pour faire en sorte que l’armée française reste aussi forte que possible s’inscriraient dans la même optique que ce que nous venons de développer plus haut, c’est-à-dire en l’absence de toute volonté de reprendre part à brève échéance à la guerre. En ce sens, l’armistice apparaît comme le premier moyen, parmi d’autres mais primordial, du but que Weygand ce fixe, à savoir conserver une armée puissante malgré la défaite et les conditions certainement très dures que poseront les vainqueurs. En effet, avec l’arrêt des combats cessait la possibilité de voir disparaître dans le fracas des armes toutes les unités militaires – du moins terrestres – françaises. C’était donc la sauvegarde de l’armée qui était assurée sur le terrain. Restait maintenant à en faire avaliser le principe aux Allemands, puis à mettre en place une politique officielle et secrète permettant de maintenir une puissance militaire convenable. Par conséquent, l’armistice était la première partie du réflexe de survie378 qui anima les généraux français, Weygand en tête, pendant l’été 1940.

376 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome II, pp. 692-707. 377 SHD, 27N 11, Convention d’armistice franco-allemande, article 1. 378 Pour le développement de la notion de réflexe de survie, voir 9.3.3.

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