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Une faible assimilation des nouveaux procédés de combats

Un moderne parmi les anciens ? La tactique de Weygand

2.1 Une doctrine originelle entre deux eau

2.1.3 Une faible assimilation des nouveaux procédés de combats

• Les défauts de l’instruction

119 SHD, 27N 85, Note sur la bataille défensive en cas d’irruption d’engins blindés du général Georges, n°0268

3/FT, 27 septembre 1939 et SHD, 27N 105, Note sur l’emploi des chars dans la riposte contre les attaques massives d’engins blindés du général Keller, n°332 / I.Chars.S, 13 octobre 1939.

120 SHD, 27N 3,SHD, Note sur la conduite à tenir du général Gamelin pour le général Georges, n°51 Cab/FT, 4

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Même si les principes de l’IGU de 1936 et les prescriptions diffusées par le haut- commandement durant la Drôle de guerre ne changeaient pas fondamentalement la doctrine défensive de l’armée française, il fallait néanmoins que les unités fussent en capacité de les appliquer rapidement. Les grands chefs militaires français avaient donc demandé à plusieurs reprises que ces consignes fussent diffusées, expliquées et assimilées via des entraînements et des exercices121. La défense antichar et antiaérienne devait devenir un réflexe.

Par le simple jeu des transmissions entre le GQG, l’état-major de l’Armée et les armées, la diffusion des procédés de combat avait été assurée. Son assimilation par les soldats, à l’inverse, pose question. De manière générale, la période d’attente de huit mois entre la déclaration de guerre et le début de l’offensive allemande n’a pas été mise à profit pour préparer l’ensemble des unités à l’épreuve du feu122. A fortiori, ce constat ne peut que s’appliquer à la

lutte contre les éléments les plus modernes de l’armée allemande. Le manque de champs de tir et de terrains de manœuvre, l’économie des munitions, la volonté de ne pas user le matériel, faisaient que les possibilités pour réaliser des exercices adéquats étaient limitées, et donc que la troupe ne savait que trop peu, d’une part, se servir des nouveaux matériels – mines et canons antichar par exemple, s’organiser au niveau de toute une unité d’autre part. Par conséquent, concernant la défense contre les blindés et les avions, tant la technique individuelle que collective de combat était lacunaire au sein de la plupart des divisions françaises. À ce problème matériel s’ajoutait une absence de formation des cadres, à qui revient le rôle d’instruire à leur tour leurs hommes. Laissés sans directives précises sur l’instruction, puisant bien souvent leur conception de la guerre dans leur expérience de celle de 1914-1918, ils ne pouvaient assurer correctement cette fonction dans la perspective de la bataille à venir. Enfin, si Gamelin et Georges avaient ordonné à de nombreuses reprises de faire des exercices dans le sens des notes qu’ils avaient rédigé à la suite de la campagne de Pologne, ils ne s’étaient assurés ni de l’application de celles-ci, ni de l’exécution de ceux-là.

L’échec ne pouvait donc qu’être patent concernant l’assimilation des procédés de combat contre les chars et les avions dans la majorité des unités françaises. D’autant plus qu’il existe un inhérent déphasage entre la rédaction de directives et leur application par les soldats. Ainsi, sans une impulsion venue du sommet de la hiérarchie, sans une véritable volonté de pousser à fond l’instruction, sans un réel contrôle de celle-ci, les prescriptions diffusées depuis

121 Par exemple : SHD, 27N 79, Note du général Georges sur les enseignements à tirer des combats de Pologne,

n°0136 3/FT, 14 septembre 1939 et SHD, 27N 3, Ordre du général Gamelin, n°756 3/FT, 28 avril 1940.

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1936 au sujet de la bataille défensive qui pouvaient avoir un caractère novateur ne pouvaient que faiblement infuser. Au 10 mai 1940, hormis quelques divisions d’élites et d’actives, la majeure partie de l’armée française n’était pas prête à soutenir efficacement le choc face au tandem chars-avions. L’instruction ne fut pas l’occasion de racheter les défauts de la doctrine.

• L’épreuve du feu comme moyen révélateur

De manière générale, les premiers engagements du mois de mai 1940 montrèrent que les procédés décrits plus haut n’avaient pas été assimilés. Prenons l’exemple des combats d’Hannut (12-14 mai) et de Sedan (13-15 mai)123.

D’une part, l’échelonnement des dispositifs défensifs fut peu observé. À Hannut, face au 4e

panzerkorp du général Hoepner, le général Prioux, commandant du corps de cavalerie, organise

ses avant-postes en une série de points d’appui et place son artillerie à portée d’intervention. Mais il n’utilise pas toute la profondeur du champ de bataille pour le reste de son dispositif, préférant l’étirer sur deux lignes : une d’arrêt et une où il rassemble des escadrons de chars SOMUA. À Sedan, le général Flavigny, commandant du XXIe corps d’armée, avant de passer à la contre-offensive comme ses ordres l’y obligent, décide d’établir une position défensive. Il éparpille alors ses unités pour former un « barrage d’exploitation » contre les engins blindés, à la manière d’un cordon de douaniers. D’autre part, les réserves ne purent faire sentir leur action. À Hannut, le général Prioux met en réserve ses unités de chars SOMUA, mais il ne les fait pas intervenir en contre-attaque. À Sedan, le général Falvigny disperse ses blindés pour former des bouchons barrant chaque chemin et défilé. Ainsi, alors que Gamelin et Georges avaient parlé de faire jouer soudainement des réserves massives si les chars allemands venaient à faire une brèche localement, l’historien ne peut que constater que de telles masses de manœuvre à l’échelle tactique, soit ne furent pas constituées, soit ne furent pas utilisées. L’épreuve du feu est donc révélatrice des lacunes concernant les prescriptions vues plus haut, dans leur assimilation, car elle montre que les unités ne les suivirent bien souvent pas.

Cependant, cette épreuve est tout autant révélatrice des défauts de conception de ces mêmes prescriptions, car les généraux français adoptèrent sur le terrain des mesures allant parfois à l’opposé de la doctrine. L’exemple de l’artillerie est de ce point de vue éclairant. Son efficacité antichar avait été prouvée, mais la doctrine n’avait pas été révisée sur ce point : on en était resté au tir centralisé à l’échelle du groupement, les batteries étant alignées en arrière de la ligne

123 Nous nous appuyons ici sur Bruno Chaix, Op. cit., pp. 233 et 244, et Karl-Heinz Frieser, Op. cit., pp. 220 et

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principale de résistance. Or, comme le rapporte Jean-Louis Crémieux-Brilhac124, dès les premiers jours de la campagne, nombreux sont les généraux qui ordonnèrent, d’une part de placer une partie de l’artillerie divisionnaire au sein-même du dispositif de l’infanterie, et, d’autre part, de faire tirer à vue sur les chars, seul le tir au but étant efficace contre eux. Ces instructions, qui bouleversaient la doctrine d’emploi de l’artillerie, montrent bien que les quelques consignes antérieures à mai 1940 qui allaient dans leur sens n’avaient pas été assimilées et, surtout, étaient demeurées isolées.

2.2 L’apport de Weygand : fixation et novation dans la tactique

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