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Le choix de Weygand en faveur de l’armistice

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Weygand, un des pères de l’armistice de juin 1940 ? Telle est la question que les historiens se sont posés et à laquelle ils ont répondu oui. De fait, ce vieux soldat couvert d’honneur fit le siège du gouvernement français à partir du 12 jusqu’au 22 juin 1940 pour que la France sorte de la guerre. Cependant, des zones d’ombres persistent. Le cas Maxime Weygand a suscité bien des passions, qui ont jeté un voile brumeux sur une partie des rapports qui existèrent entre celui-ci et l’armistice signé en forêt de Compiègne.

Sa décision de préconiser cette solution à la défaite militaire ne fut certainement pas un fait isolé ; elle dut s’insérer dans une trame plus grande. Jean-Louis Crémieux-Brilhac a avancé une thèse selon laquelle, du 24 mai au 24 juin 1940 le général Weygand mena une double bataille : la bataille d’arrêt pour sauver l’honneur, et une bataille politique, pour l’armistice270. Autrement dit, cet historien affirme que le généralissime français fit campagne pour l’armistice, et ce, seulement quatre jours après sa prise de fonctions. Nous prenons le mot campagne dans le sens d’action ciblée ayant court pendant une période de temps limitée et à laquelle on donne un but précis. Il y a une connotation d’intensité dans ce terme, dans le sens où les personnes qui une campagne semblent toutes entières concentrées sur celle-ci et tendues vers la réalisation de leur objectif. Une campagne n’est donc pas un simple travail d’influence plus ou moins lointain ; elle nécessite, à moment ou à un autre, un engagement frontal, avec une part de calcul.

Il y a d’abord un problème en termes de chronologie dans notre approche. Weygand demanda officiellement au gouvernement de rentrer en négociations avec Hitler le 12 juin 1940. La question n’est donc pas de savoir s’il était pour l’armistice, mais de déterminer quand est- ce qu’il le fut. Doit-on dater sa résolution qu’une telle option était nécessaire du jour où il intervient publiquement en Conseil des ministres ? Ou nous reporter aux alentours de la fin mai 1940, comme l’immense majorité des auteurs le font ? Il semblerait qu’ici, nous ne devrions pas oublier qu’après tout, Weygand n’était qu’un homme ; il a lui aussi pu connaître des hésitations. Ainsi, rétablir une chronologie aussi minutieuse que possible n’empêchera pas de voir les flottements du commandant en chef des armées françaises. Nous ne pourrons que proposer une trame générale de l’évolution de Weygand par rapport à la solution qu’était l’armistice face à la défaite des Alliés sur le continent.

Faire campagne nécessite un but précis, qui était de toute évidence la conclusion d’un armistice avec l’Allemagne pour le généralissime français. Toutefois, cet objectif n’est pas apparu ex-nihilo dans son esprit ; il y a nécessairement dû y avoir des motivations à ce choix. Weygand et ses défenseurs ont avancé des raisons uniquement militaires et d’intérêt national :

270 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l’an 40, tome II, Ouvriers et soldats, Paris, Gallimard, 1990, p.

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l’armée française était irrémédiablement battue, il fallait protéger la population française contre les hordes germaniques et assurer la pérennité de la France en tant que grande puissance. Mais les arguments techniques cachent parfois des considérations plus politiques et idéologiques. Il ne nous appartient pas ici de voir en quoi opter pour l’armistice n’était pas neutre en termes de conséquences sur le conflit entre l’Axe et les Alliés. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir en quoi la décision de Weygand de prendre le parti de l’armistice n’était pas politiquement neutre – à la fois au sens idéologique du terme, mais aussi au sens de la conduite de la guerre.

Une campagne est un mode d’action. Elle requiert de ce fait une ligne de conduite de la part de ceux qui la mènent. Weygand fut souvent caricaturé en taureau fonçant tête baissée dans Paul Reynaud pour lui arracher la cessation des combats. Nous avons souligné que nous étions confrontés, de manière générale, à un problème de chronologie dans notre approche. Cette question se pose également concernant la « méthode » qu’employa Weygand pour faire prévaloir ses idées sur la conduite des opérations et sur la politique de guerre. En ce sens, c’est la cohérence de cette ligne d’action que nous aurons à interroger. Car il n’est pas exempt de trouver des ruptures dans les actes et les paroles du généralissime lorsqu’il s’est agi de l’armistice ; d’ailleurs, ces ruptures pourraient tout à fait être en cohérence avec sa « méthode ». Le 20 mai, Gamelin transmet ses pouvoirs à Weygand. Le 25 juin, les armistices avec les puissances de l’Axe entrent en vigueur. Voici nos bornes toutes trouvées. Cependant, il nous faudra élargir ponctuellement le cadrage temporel, puisque l’action du général Weygand à la tête du ministère de la Défense nationale (16 juin – 6 septembre 1940) pourrait nous donner des clés de compréhension sur son attitude face à la guerre et les moyens d’y mettre un terme.

Discuter de la thèse de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, c’est dresser le portrait de l’action de Weygand en ces mois de mai et juin 1940 à l’aune de la signature de l’armistice. Que ce dernier ait demandé à ce que l’on mette fin aux hostilités est fait d’histoire. Mais demeure la question de savoir si cette demande s’inscrit dans une action réfléchie, d’assez longue haleine – relativement à la rapidité de déroulement des évènements qui l’encadrent – et dépassant dans ses motivations le rôle d’un commandant en chef. Autrement dit, dans quelle mesure Weygand mena-t-il une campagne pour l’armistice en mai-juin 1940 ?

Nous verrons tout d’abord l’évolution de Weygand quant aux solutions qu’il put préconiser face à la situation militaire. Ensuite, nous nous intéresserons aux motivations de son choix en faveur de l’armistice. Enfin nous tenterons d’interroger l’existence d’une ligne d’action chez lui, et de la retranscrire de la façon la plus cohérente possible.

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Chapitre 4

La progressive réduction du champ des possibles à

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