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La progressive réduction du champ des possibles à l’unique solution de l’armistice

4.2 Une unique alternative (26/28 mai – 8/10 juin 1940)

4.2.2 La note du 29 mai

Le 29 mai 1940, lors de leur réunion quotidienne, Weygand remet une importante note à Reynaud296. Elle se veut, comme le rapporte son auteur297, un redoublement de ses interventions au Comité de guerre du 25 mai 1940. Elle reprend, en effet, beaucoup de points abordés par lui au cours de cette réunion. Cependant, elle va un peu plus loin dans l’explicite. Tout en réaffirmant qu’il est de son « devoir d’examiner, en raison de la gravité des circonstances, toutes les hypothèses » et que toute son énergie s’est portée à préparer la défense sur la Somme et l’Aisne, il écrit que si celle-ci venait à craquer, « la France serait hors d’état de continuer une lutte assurant une défense coordonner de son territoire ». Cela

292 SHD, 27N 7, Télégramme du vice-amiral d’escadre Odend’hal au général Weygand, 31 mai 1940. 293 SHD, 27N 4, Conseil suprême interallié, Séance du 31 mai 1940.

294 Thibault Tellier, Op. cit., p. 601.

295 SHD, 27N 3, Ordre général d’opérations du général Weygand, n°1184 3/FT, 26 mai 1940 et Note du général

Weygand pour le général Georges, n° 1185 3/FT, 26 mai 1940.

296 SHD, 27N 12, Note de Weygand pour Reynaud, 29 mai 1940. 297 Weygand, Op. cit., p. 149.

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s’explique par le fait que, d’une part, la capitulation de l’armée belge a libéré des troupes allemandes, et d’autre part, contrairement à 1870 et à 1918, la puissance et la vitesse de pénétration de l’ennemi ne laisseraient pas le temps à la France de se rétablir. Weygand venait donc bien préciser sa position du 25 mai : la partie qui allait se jouer était à quitte ou double.

Le commandant en chef français témoigne une fois de plus de son incapacité à reprendre l’initiative des opérations, n’ayant pu, depuis cette séance du Comité de guerre, que renforcer la ligne Somme-Aisne, relevant la « défection » des Belges et attachant un grand prix à l’apport d’un concours significatif de la part des Britanniques. Ce qu’il semble dire, c’est que la suite des évènements ne dépend plus de lui. Il exprime involontairement cette idée en utilisant l’expression « il peut venir un moment, à partir duquel la France se trouverait, malgré sa volonté, [hors d’état de combattre] ». Cet aveu implicite d’impuissance n’a pu qu’être attisé par la mise en place de l’opération Dynamo, dont Weygand a eu pleinement connaissance le 26 mai, et qui signifiait l’abandon de l’option tactique qu’il avait proposée à propos des ports du Nord.

Weygand redouble aussi sa demande à Reynaud de bien faire comprendre à l’allié d’outre-Manche dans quelle situation se trouve la France et son armée. En écrivant qu’il faut que les Britanniques sachent que pourrait venir un moment où l’Hexagone serait dans « l’impossibilité de continuer une lutte militairement efficace pour protéger son sol », il réaffirme qu’ils doivent voir toutes les conséquences qu’impliquerait la poursuite de la guerre en cas de rupture du nouveau front. Ces conséquences, si l’on développe logiquement, seraient l’occupation totale, à plus ou moins brève échéance, du territoire français métropolitain et la destruction de l’armée française. L’Angleterre pouvait-elle vouloir cela ? C’est la question que l’on se pose quand on lit la note de Weygand. Et c’est cette question que ce dernier voulait que le président du Conseil pose en définitive, comme nous l’avons déjà vu dans deux de ses interventions lors du Comité de guerre du 25 mai.

La question de « sauver l’honneur » est abordée ici d’une façon détournée, mais qui peut nous éclairer sur les intentions et l’état d’esprit de Weygand. Il écrit qu’en 1870 il avait été possible de reconstituer des armées « qui [avaient] pu prolonger la résistance cinq mois et sauver l’honneur ». En 1940, il ne faut donc pas que le président du Conseil s’attende à ce que la France puisse tenir encore longtemps si le front venait à être rompu : la poursuite de la résistance se comptera en semaines, voire en jours. Outre ces considérations temporelles, Weygand fait le lien entre la résistance de la Défense nationale et le fait que cela avait permis

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de sauver l’honneur. On pourrait se demander si ce n’est pas ce que propose le généralissime : tenir le plus longtemps possible, pour pouvoir déposer les armes une fois l’honneur sauf. C’est du moins une des éventualités que Weygand a dues envisager à cette époque-là. Ce qui est intéressant, c’est qu’il lie la résistance en métropole uniquement au fait de sauver l’honneur. Il ne la lie pas à la préparation d’un départ du gouvernement et des armées à l’étranger ou dans l’Empire, ni à la nécessité de donner du temps à l’Angleterre pour se préparer à une invasion. Bien évidemment, personne ne pense déjà et en toute conscience, à ses deux points, pas même Churchill – qui dira à Roland de Margerie que, jusqu’au 31 mai, il ne croyait pas à l’effondrement imminent de la France298. Mais, au regard

de ce qui se passera plus tard, à savoir que Weygand s’opposera au départ en Afrique du Nord, on peut dire que dès la fin mai – et certainement dès le début de sa prise de fonction, l’hypothèse de la poursuite de la guerre hors de la métropole française ne fasait pas partie de celles dont il envisageait la possible réalisation. Contrairement à ce qu’il a dit, il n’examina pas « toutes les hypothèses », puisque dans cette note du 29 mai 1940, il réduisait le champ de ces hypothèses à une unique alternative : tenir sur la ligne préparée et voir ce qu’il en est après, ou demander la cessation des hostilités si ce front cède299.

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