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Les armées alliées à l’arrivée de Weygand : situation, forces et haut commandement

Une action stratégique aux objectifs de plus en plus réduits

1.1 Attaquer le couloir des panzers : vaincre par l’offensive (20 mai – 25/26 mai 1940)

1.1.1 Les armées alliées à l’arrivée de Weygand : situation, forces et haut commandement

• Un front coupé en deux

Le 13 mai 1940, les éléments avancés du Panzergruppe von Kleist avaient effectué une percée sur la Meuse, à Sedan, Dinant et Monthermé. Le 15 mai, la rupture du front français dans ce secteur était achevée et les Allemands étaient passés sans retard à l’exploitation. Tant et si bien que le 20 mai, le général Guderian atteignait Abbeville et la mer à la tête de ses unités blindées. Le groupe d’armée A du général von Bock, chargé de l’attaque au nord, n’était pas resté passif non plus. Son action agressive combinée à la percée allemande au débouché des Ardennes conduisit le groupe d’armées n°1 (GA 1) allié à battre en retraite vers le sud-ouest, en direction à la fois de la frontière française et de la mer, permettant aux forces allemandes de pénétrer fortement sur le sol belge et le territoire français. Par conséquent, au 20 mai 1940, le dispositif allié était coupé en deux. En Belgique, il prenait la forme d’une sorte de triangle dont les sommets étaient approximativement la partie nord de l’embouchure de la Somme, Arras et Terneuzen, et que jalonnaient du nord au sud la 1ère armée française, le corps expéditionnaire britannique (BEF) et l’armée belge. Plus au sud, le haut-commandement français tentait de garnir la ligne Somme-canal de l’Ailette-Aisne de grandes unités, sous la forme de 3 armées nouvellement créées ou recréées (la Xe, la VIIe et la VIe), rassemblées au sein du nouveau groupe d’armées n°3. Bien que la IIe armée avait dû reculer, la jonction était maintenue à l’est

avec le groupe d’armées n°2 – et donc la ligne Maginot – au niveau du canal des Ardennes. À ce bilan d’étape catastrophique s’ajoute le fait que les Allemands avaient établi des têtes de pont sur la Somme, notamment à Amiens et à Péronne. Le IIIe Reich avait donc d’ores et déjà remporté une victoire opérationnelle et s’apprêtait à la concrétiser au niveau stratégique.

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Le général Gamelin avait rappelé dans son ordre du jour du 13 mai que, « si l’ennemi [faisait] localement brèche, [il fallait] non seulement colmater mais contre-attaquer […] », tandis que son adjoint sur le Front nord-est prescrivit le 14 mai de rétablir la position de résistance à l’aide des renforts que le haut-commandement fournissait, avant de passer à la contre-attaque27. Ainsi, au niveau opérationnel les deux plus hauts responsables de l’armée française s’inscrivaient initialement dans la droite ligne des dogmes issus de la Première guerre mondiale. Puisque les Allemands avaient percé, il fallait d’abord colmater la brèche en établissant et en renforçant continuellement des barrages plus en arrière, puis contre-attaquer le saillant ainsi formé. Or, de tels ordres ignoraient le développement réel de la situation à la jonction des IXe et IIe armées. La doctrine ramassée dans la maxime « colmater, puis contre- attaquer » correspondait certes à une réponse valable en cas de percée limitée du front – ce qu’était initialement le franchissement de la Meuse, mais face à un ennemi qui avait un armement et une vitesse de déplacement sensiblement équivalents. Cette inadéquation des contre-mesures face à la menace allemande a grandement participé à transformer la percée en une large brèche dans le dispositif français.

Le problème devint par conséquent de nature stratégico-opérationnel. Cependant, il fallut attendre quelques jours supplémentaires pour que le commandement français analyse correctement la manœuvre allemande. D’une part, la mauvaise qualité des renseignements et la lenteur des communications avaient retardé sa prise de conscience concernant la gravité des évènements au sud des Ardennes. D’autre part, les deuxièmes bureaux du grand quartier général (GQG) et du quartier général du front nord-est n’avaient pu rapidement déterminer quelle direction prendrait l’offensive ennemie : la mer, Paris ou le sud-est pour enrouler la ligne Maginot. Dans l’expectative, le général Georges et ses subordonnés avaient tenté de parer à ces trois menaces, ce qui aggrava le dispersement des réserves. Ce n’est qu’à partir du 18 mai que Georges, puis Gamelin s’étaient décidés à changer de plan. Alors que les divisions blindées allemandes obliquaient vers le nord-ouest, le commandement français n’avait que peu d’éléments à leur opposer pour les arrêter de front et ainsi « colmater ». La seule solution était de les attaquer par leurs flancs, d’autant plus que se dessinait une séparation entre ces forces mobiles et le reste des unités non motorisées allemandes. C’est le sens de l’ordre n°102 du 18 mai de Georges, puis de l’instruction personnelle et secrète n°12 du 19 mai de Gamelin. Si ces documents montrent la volonté de ces deux généraux de reprendre l’initiative, ils ne constituent pas à proprement parler un plan stratégique solide et bien établi. Ils ne donnent pas de

27 Bruno Chaix (général), En mai 1940, fallait-il entrer en Belgique ?, Paris, Economica, 2000, p. 253 et SHD 27N

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conception d’ensemble – tant au niveau de l’armée française que de la coalition, ces ordres n’ayant fait l’objet d’aucune concertation avec les Britanniques et les Belges ; le premier est mal rédigé et le second n’est pas à proprement parler un ordre comminatoire28. Qui plus est, ces

ordres n’avaient pas été accompagnés d’instructions tactiques (concentration des moyens, utilisation de l’aviation de bombardement, contre-attaque immédiate en cas de percée, etc.) permettant d’assurer la réussite de la contre-offensive stratégique qu’ils promouvaient.

• Le début du déséquilibre des forces

Le rapport de forces s’était lui aussi dégradé en défaveur des Alliés. La IXe armée française

était détruite, les unités motorisées et blindées de la Ière armée et du BEF avaient payé un lourd tribut dans les premiers combats. La retraite forcée du GA 1 entraînait également la perte de nombreux hommes et de beaucoup de matériel, conséquences inhérentes à tout repli précipité devant un ennemi particulièrement mordant. Qui plus est les généraux français avaient gaspillé en bonne partie les réserves dont ils disposaient. Que ce soit au niveau des divisions, des armées ou du Front nord-est, ils avaient ordonné des contre-attaques pour résorber la poche allemande puis pour colmater la brèche de Sedan, mais ces actions avaient été si mal préparées et exécutées qu’elles n’avaient fait que ralentir de quelques heures la Wehrmacht et, dans tous les cas, avaient réduit le potentiel contre-offensif de l’armée française en épuisant ou en détruisant ses grandes unités mobiles. En effet, dans un rapport destiné au nouveau commandant en chef29, le Grand quartier général évaluait que sur 100 divisions franco-anglaises présentes sur le front nord-est, 15 étaient dores et déjà détruites, dont la 1ère division cuirassée. Les 2ème et 3ème divisions cuirassés étaient quant à elles réduites à une quarantaine de chars chacune. La situation des divisions légères mécaniques demeuraient incertaines. En face, les Allemands avaient certes subi des pertes, mais aucune de leurs grandes unités engagées n’avaient disparus dans la bataille. Surtout que s’il restait théoriquement 85 divisions au haut-commandement (hors troupes de la ligne Maginot), elles n’étaient pas toutes immédiatement utilisables par lui pour monter une contre-offensive. 25 divisions – qui plus est les meilleures de l’armée franco- anglaise – se trouvaient prises dans la nasse des Flandres, et devaient donc livrer une bataille isolée. Le même nombre était maintenu sur le front passif des régions fortifiées. Restaient ainsi

28 Bruno Chaix, Op. cit., pp. 282 et 283.

29 SHD, 27N 79, Situation militaire sur le front nord-est à la date du 20 mai, Étude faite pour le général Weygand,

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37 divisions de Montmédy à l’embouchure de la Somme, mais qui ne formaient encore qu’un dispositif de couverture assez étiré.

En résumé, lorsque Weygand prit son commandement entre le 19 et le 20 mai, la situation était triplement compromise. Sur la carte, les armées alliées se trouvaient coupées en deux et les Allemands avaient atteint la Manche. Au niveau de la stratégie, aucun plan digne de ce nom n’avait été établi. Quant au rapport de forces, la Wehrmacht avait déjà pris un bon ascendant sur la coalition des démocraties.

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