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Des défauts dans la conception elle-même (2) : pêchés par omission

Un moderne parmi les anciens ? La tactique de Weygand

2.3 Les entraves

2.3.3 Des défauts dans la conception elle-même (2) : pêchés par omission

L’initiative stratégique ayant échappé de plus en plus aux Alliés, on pourrait ne pas s’étonner de la quasi-absence de prescriptions à caractère offensif précises dans les instructions de Weygand. Ce qui comptait avant tout, dans l’urgence, c’était d’avoir une défense solide. Pourtant, deux constats invitent au contraire à être surpris par cette lacune.

Tout d’abord, le généralissime lui-même donna des ordres offensifs. Au niveau stratégique, rappelons que jusqu’aux 27 et 28 mai 1940, son plan contenait encore une contre- offensive qui devait partir à plus ou moins brève échéance de la Somme en direction du nord. Au niveau tactique, en plus d’exiger l’adoption d’un état d’esprit agressif – donc de mener des actions offensives, il insista tout au long de la fin du mois de mai et du début de celui-ci de juin auprès du général Georges pour que les têtes de pont allemandes sur la Somme fussent reprises, et de telle sorte que ce fussent les Français qui eussent des débouchés sur ce fleuve. De plus, à ces deux échelles, il voulait que des contre-attaques soient menées sans relâche. Ensuite, l’armée française avait démontré de piètres qualités dans l’offensive. Les difficultés rencontrées tenaient en premier lieu à des problèmes d’organisation : manque de souplesse, défauts de coordination entre les armes, lenteur des mouvements et des réactions, etc. À cela s’ajoutaient des erreurs d’emploi, dont la principale était la dispersion des efforts. Certes, les points à secourir ne se concentraient pas dans une unique partie du front. Mais tenter de faire face de partout avec la même puissance, c’était oublier les enseignements de Frédéric II de Prusse : à vouloir tout défendre, on ne défend rien. Ainsi, tandis que Weygand voulait que sa tactique défensive et ses plans stratégiques successifs fussent complétés par des manœuvres offensives, de nouvelles consignes d’emploi des unités dans ce type d’action étaient nécessaires de la part du haut-commandement pour en assurer l’efficacité.

Or, Weygand n’en fit rien. Il se limita à ne plus parler de la phase de « colmatage » qui précédait obligatoirement les contre-attaques dans la doctrine de l’entre-deux-guerres, et à

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indiquer que celles-là seraient menées par des unités blindées164. Pour le reste, notamment la coordination et la concentration des forces – c’est-à-dire l’essentiel, il ne donna aucune directive nouvelle. Prenons le cas de la réduction des têtes de pont sur la Somme, opération dont dépendait en bonne partie l’issue des différentes stratégies du généralissime. Les divisions des VIIe et Xe armées arrivèrent sur cette rivière aux environs du 23 mai. Mais les généraux Frère, Altmayer (commandants respectifs des deux armées) et Besson (qui chapotait les deux précédents) n’attendirent pas que tous leurs moyens fussent réunis pour les envoyer contre les Allemands. À cette tactique des petits paquets s’ajoutaient des fronts d’attaque trop large, ainsi qu’un manque de coordination entre les chars, l’artillerie et l’infanterie. Ces opérations se soldèrent alors par des demi-succès (ou semi-échecs, selon le point de vue). Par exemple, au soir du 4 juin, la tête de pont d’Abbeville avait été réduite au trois-quarts, mais au prix de lourdes pertes, avec près de 200 chars détruits165. Cependant, alors que le 31 mai le général

Georges faisait le constat des graves lacunes de l’armée française en matière d’offensive et appelait ses subordonnés à revoir la préparation et la conduite des attaques, Weygand avait la veille félicité le groupe d’armées n°3 pour « le succès des opérations conduites » à Abbeville166.

Il est dans la nature des choses pour un chef de mettre en avant une réussite, aussi mince soit- elle, quand elle apparaît comme une lumière au milieu de l’obscurité. Ce qui ne doit pas l’empêcher, à côté, de prendre des mesures pour que les possibles défauts qu’elle comporte soient corrigés. Ceci, Weygand aurait par exemple pu le faire en reprenant la note suscitée du général Georges – il l’a d’ailleurs reçue – qui indiquait que les succès allemands n’étaient pas dus à l’action isolée des chars, mais à une étroite collaboration entre l’aviation qui prépare, les chars qui attaquent et l’infanterie qui manœuvre, le tout appuyé par l’artillerie.

La dispersion des forces restait également la règle ad hoc pour l’emploi des chars qui appartenaient à l’infanterie. En effet, si Weygand a ordonné le 3 juin 1940 de regrouper les éléments des divisions mécaniques et cuirassées déjà existantes pour disposer au niveau stratégico-opérationnel de deux voire trois masses de manœuvre, il n’a pas exigé qu’au niveau tactique soient constituées de grandes unités blindées par rassemblement des bataillons de chars dis d’accompagnement. Ce qui conduisit à ce que, bien souvent, ceux-ci furent répartis auprès

164 SHD, 27N 3, Note du général Weygand sur la conduite à tenir contre les unités blindées appuyées par l’aviation,

n°1142 3/FT, 24 mai 1940. Weygand écrit : « Ce système de défense doit être complété par des actions offensives de nos chars et de nos mitrailleuses ».

165 Jacques Vernet (colonel), « La bataille de la Somme », in Christine Levisse-Touzé (dir.), Op. cit., p. 203 et

Philippe Masson, Histoire de l’armée française, Paris, Perrin, 2002 (1ère éd. 1999), pp. 229-230.

166 SHD, 27N 155, Note du général Georges sur la conduite d’opérations offensives, n°2179 3/IM, 31 mai 1940 et

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des points d’appui pour en renforcer la défense. Immobilisation et dissémination, deux notions à contre-courant de toute doctrine moderne d’emploi des blindés.

Weygand affirma résolument que la tactique défensive comportait un aspect statique – le damier de points d’appui et ses compléments – et un aspect dynamique – l’état d’esprit agressif et les contre-attaques. Mais il laissa complètement de côté le second lorsqu’il s’est agi de fournir aux armées des principes d’engagement nouveaux et des prescriptions précises. Peut- être était-il plus facile de réformer l’aspect statique des dispositifs. D’une part, l’effort de réflexion était moindre pour Weygand, puisque dès avant sa prise de fonctions des parades contre la Wehrmacht avaient été trouvées. D’autre part, l’effort d’adaptation était sans doute moins long, alors que les militaires français n’avaient pas été formés à pratiquer l’offensive dans une version que commandaient les évènements. Toujours est-il que le commandant en chef aurait au moins pu donner pour instructions que les généraux français cessent de recourir à la tactique des petits paquets. À ce titre, en exigeant que les têtes de pont sur la Somme fussent réduites au plus vite, il les encouragea certainement à persévérer sur cette voie sans issue.

Par conséquent, rectifions ce que nous avons avancé un peu plus tôt : Weygand a été le père français de la partie statique de la tactique modernede lutte terrestre contre les chars et les avions.

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Chapitre 3

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