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Une mission particulière : soutenir le moral de l’armée

L’exercice du commandement

3.2 Être un chef

3.2.2 Une mission particulière : soutenir le moral de l’armée

• La question des forces morales chez Weygand

Indépendamment de toute appréciation personnelle, l’état d’esprit d’une armée est un facteur essentiel pour tout commandant. Sans un moral élevé, il n’y a pas de troupes disposés à soutenir le choc des combats, a fortiori quand ceux-ci se révèlent être peu habituels pour le soldat. Chez le général Weygand, cet aspect de la guerre prenait une place relativement importante. À son arrivée en France, face aux évènements tragiques qui l’entouraient, il estima que la question du moral des soldats dominait les considérations matérielles225. C’était par

conséquent le premier axe sur lequel il allait agir.

Cette nécessité il la fondait certes sur la situation dans laquelle se trouvaient les armées françaises, mais elle venait aussi sans doute du contact auprès du maréchal Foch. Ce dernier avait en effet souligné que le point capital dans l’action militaire était « l’homme, avec ses

223 Karl-Heinz Frieser, Le Mythe de la guerre-éclair. La campagne de l’Ouest de 1940, Paris, Belin, 2003 (éd. All.

1995), p. 301 et pp. 367 à 369.

224 Elizabeth Greenhalgh, Op. cit., p. 112. 225 Weygand, Op. cit., p. 111.

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facultés morales »226. Il ne s’agissait pas ici de dire qu’elles donnent seules les clefs de la victoire, mais d’avancer que l’issue matérielle de la bataille n’emporte la décision qu’en raison de son influence sur l'esprit des soldats. Il faut donc que le moral s’incarne, soit canalisé et stimulé dans et part une institution, le Commandement. C’est pourquoi, selon Foch, la « première tâche » du « haut-commandement » est d’« animer, entraîner, veiller et surveiller »227. Cet outil (et à la fois cette tâche), l’entretien des forces morales, est d’autant plus nécessaire en temps de crise, où l’impression que quelqu’un a pris les problèmes à bras le corps et a entrepris d’agir est essentielle. Tout cela permet d’expliquer, pour partie, l’optimisme continuel et l’énergie formidable dont le généralissime de 1918 fit preuve tout au long de la Grande guerre.

De toute évidence, Weygand se servit des mannes de son mentor dans ce domaine. Il était lui aussi un homme des forces morales, dans le sens très XIXe siècle du terme. Optimiste,

il l’a constamment été, du moins auprès des militaires et jusqu’à ce qu’il ordonne la retraite générale, la foi en la victoire étant une nécessité pour tout général en chef. Si celui-ci n’est pas optimiste, comment espérer une action efficace tout le long de la chaîne hiérarchique ? Donner le sentiment que les leviers de commandes étaient entre des mains fermes, il l’a largement fait comprendre, ce même dans sa note préparant la retraite générale. Comme en atteste Jean-Louis Crémieux-Brilhac, la contribution de Weygand au redressement du moral de l’armée française a été indéniable228. Il a su redonner confiance. Mais par quels moyens ?

• Restaurer la confiance au sein de la troupe

L’action morale devait avant tout se faire sentir directement sur les soldats, conditions sina

que non pour avoir des hommes prêts à mourir pour la France. À ce titre, la phrase de conclusion

de la note de Weygand du 24 mai – que nous prendrons à rebours dans notre développement – résume parfaitement les trois plans sur lesquels il allait agir : « Chacun se sentira commander, les surprises seront évitées, la crainte disparaîtra et le devoir sera exécuté sans défaillances »229.

226 Martin Motte, « Foch théoricien : faut-il brûler Des principes de la guerre ? », in Rémy Porte et François Cochet

(dir.), Op. cit., pp. 62-63.

227 Elisabeth Greenhalgh, « L’évolution de la pensée de Foch entre 1914 et 1918 à travers l’exercice de ses

commandements », in Rémy Porte et François Cochet (dir.), Op. cit., p. 98.

228 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome II, p. 615.

229 SHD, 27N 3, Note du général Weygand sur la conduite à tenir contre les unités blindées appuyées par l’aviation,

n°1442 3/FT, 24 mai 1940. C’est nous qui soulignons. Sauf indications contraires, les citations qui suivent sont tirées de ce document.

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Tout d’abord, il fit appel aux énergies. Cela ressortait directement de son rôle de commandant en chef. La communication dans ce cadre-là en respectait donc le classicisme, tant dans les vecteurs – ordres du jour, ordres généraux, etc. – que dans le lexique et les tournures de phrase. Ainsi, dans son ordre lancé au début de la bataille de France, Weygand fit raisonner la fibre patriotique des soldats français, convoqua l’exemple du passé glorieux et les assura du soutien du haut-commandement. Ici, il utilisa les mêmes ficelles rhétoriques que le général Gamelin avant lui230. Ce qui changeait par rapport à son prédécesseur était que, comme Weygand donnait bien plus d’ordres que celui-là, il avait l’occasion d’insuffler par eux aux soldats son tempérament énergique. Et en effet, dans un certain nombre de ses instructions se trouve des éléments invoquant de la nécessité de déployer toute l’énergie possible, de tenir sans défaillances.

Ensuite, le nouveau chef des armées françaises voulait que les attaques allemandes ne créassent plus de « désordre et [de] paniques parfaitement injustifiées »231. Pour se faire il déploya deux actions. La première était d’arrêter les diverses psychoses qui imprégnaient plus ou moins la troupe depuis le début des opérations : les parachutistes, la 5e colonne, la trahison des officiers, etc. Par exemple, concernant les premiers Weygand appela les autorités civiles et militaires au calme et à ne pas agir précipitamment, mais avec méthode. De manière plus générale, il donna pour consigne de faire tout son possible pour « éviter que des bruits faux se répandent »232. La seconde était de vaincre le sentiment d’infériorité qui avait gagné les soldats de l’Hexagone. De fait, certains – surtout les réservistes – avaient été impressionnés par les procédés de combats allemands, quand d’autres étaient éprouvés par les ordres de replis successifs. Redonner courage aux unités passait donc non seulement par la teneur des ordres, mais également par leur contenu. En ce sens, les instructions tactiques que donna Weygand avaient leur pendant moral. Elles faisaient donc double emploi, contenant des prescriptions qui donnaient les moyens de « recevoir toutes les attaques » du fer de lance de la Wehrmacht, qui contribuaient ainsi par ricochet à remettre en « confiance » la troupe. De même, répéter que l’armée française ne devait pas se contenter de résister aux assauts allemands, mais frapper à son tour l’ennemi, n’avait pas que des objectifs tactico-opérationnels, nous l’avons vu. Pousser à la prise d’initiative et à l’action, c’était également amener les Français à sortir de leur torpeur.

230 Ibidi., Ordre du jour n°4 du général Gamelin, 17 mai 1940. Il y parle notamment du « sort de la Patrie », donne

l’ordre de « se faire tuer sur place plutôt que [reculer] » et se réfère « aux heures graves de notre Histoire ».

231 SHD, 27N 80, Note du général Weygand au général Héring et aux généraux commandants les régions militaires,

n°1251 3/FT, 29 mai 1940.

232 Ibid. Remarquons cependant que Weygand a parfois prêté l’oreille à de tels bruits sans les vérifier

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Pour Weygand, le maintien d’un moral élevé ne pouvait faire l’économie d’un état d’esprit résolument offensif233. Par cette double action, le généralissime s’est donc résolument attaché à combler ce que l’on pourrait appeler les failles psychologiques du soldat français.

Enfin, les chefs d’unités, de l’armée jusqu’à la section, devaient tenir leur rôle dans la lutte contre tout délitement. Au sein des armées, les officiers et sous-officiers ont institutionnellement une place centrale, le fonctionnement hiérarchique de ce type de corps social faisant de ces personnages leur armature. Dans les combats, cette centralité fonctionnelle se double idéologiquement, le chef devant considérer non seulement comme son métier mais également comme son orgueil de faire son devoir. Il n’est donc pas étonnant que le haut- commandement en appelât aux cadres, d’autant plus que les revers s’accumulaient et que des chefs s’étaient effondrés. Gamelin, fidèle à lui-même, avait évoqué dans un ordre du 17 mai 1940 le règlement, en citant le § n°18 de l’Instruction sur le service de campagne : « le chef emploie toute son énergie à maintenir la discipline, à stimuler les volontés défaillantes, à retenir à leur place les militaires sous ses ordres. Au besoin il force son obéissance. »234 Les deux

points que l’on peut dégager de cette consigne – encourager et garantir l’exécution des ordres – furent repris et développés par son successeur. Concernant le premier, il indiquait explicitement que ce serait par leur exemple que les chefs, à tous les échelons, obtiendraient de la troupe toute la combativité voulue235. Tenir pour faire tenir en somme. À cela s’ajoutait le fait que chacun devait aller au contact de ses subordonnés directs – les généraux de brigade vers leurs colonels, etc. – pour leur insuffler toute l’énergie nécessaire, sorte d’extension à toute l’armée du style de commandement cher au généralissime. Pour ce qui est du second, il s’agissait de rappeler les cadres à leur responsabilité disciplinaire. Ainsi, à la manière de Gamelin, Weygand soulignait qu’ils étaient en droit de « forcer leur obéissance »236. La note qu’il rédigea sur la lutte contre la propagande révolutionnaire ressortait pleinement de cette ligne-là. Étant un ferment de division et de défaitisme, les chefs devaient se montrer rigoureusement fermes face aux soldats qui s’en rendaient coupables237. Par ces différents

consignes, Weygand demandait aux officiers d’être à leur place – faire acte d’autorité – et dans leur rôle – faire preuve de courage et d’énergie.

233 Weygand, Op. cit., p. 140. Par exemple voir SHD, 27N 3, Ordre général d’opérations du général Weygand,

n°1184 3/FT, 26 mai 1940 et 27N 79, Instruction générale n°3 du général Weygand, n°1208 3/FT, 27 mai 1940.

234 SHD, 27N 3, Ordre général n°2 du général Gamelin, 17 mai 1940. Les termes soulignés le sont par Gamelin. 235 Ibid., Ordre général d’opérations du général Weygand, n°1184 3/FT, 26 mai 1940.

236 Ibid.

237 SHD, 27N 13, Note du général Weygand sur la propagande révolutionnaire, 7 juin 1940. Weygand écrit

notamment que le laxisme vis-à-vis de cette propagande est une « méconnaissance de la responsabilité de Chef », de même que la fermeté est requise par « les circonstances présentes ».

119 • Au chevet des généraux

Insuffler une énergie à l’armée nécessite d’encourager et d’exhorter ses principaux responsables, à savoir les généraux, qui ont entre leurs mains le commandement sur le terrain. Cet aspect structurel, qui prenait une dimension importante dans la tradition fochienne du style de commandement, s’ajoutait un paramètre conjoncturel, induit par les effets des premiers revers. Après être allé trouver pour la première fois le général Georges le 19 mai, Weygand décrivit celui-ci à l’image « d’une personne qui a reçu un violent coup de poing dans l’estomac et a de la peine à s’en remettre »238. De même, il confia s’être heurté très souvent à ses débuts

en fonctions à des phrases du type : « Mais mon général, nous sommes hors d’état de monter une offensive sérieuse »239. Le nouveau généralissime faisait donc le constat que, pour partie, le haut-commandement français était frappée d’une véritable crise d’aboulie, certains généraux – Prételat, Huntziger, Blanchard – tenant même dès le 24 mai des propos défaitistes.

Il fallait donc rapidement regonfler le moral des principaux chefs français. Ce qui impliquait avant toute autre mesure de les soutenir. Car, pour Weygand, l’effondrement du général Georges était dû au fait qu’il n’avait pas été épaulé par son chef. Il entendait donc que « désormais » il en soit ainsi – dans ce cadre sa volonté de reprendre les rênes que Gamelin avait abandonnées contenait aussi cette portée morale240. Au-delà de ce principe, et à l’image de ce qu’il demandait à tous les chefs d’unités, Weygand utilisa son comportement pour communiquer sa résolution et son énergie. Tout d’abord, ses voyages au front et ses contacts téléphoniques fréquents étaient en partie destinés à stimuler les volontés, invitant le haut- commandement à suivre ses pas dans ce domaine-là241. D’autre part, il se plongeait résolument

dans la nouveauté de cette guerre et, s’il n’en saisit pas tous les caractères, il donnait l’impression de la comprendre. La conjonction de cette attitude avec sa décision de faire acte de commandement permettait aux généraux français de penser que le chef des armées françaises savait pleinement où il allait. Enfin, le ton dont Weygand usait se révéla un précieux atout dans

238 Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, Paris, Éditions de la table ronde, 1948, p. 263. 239 Weygand, Op. cit., p. 142.

240 Ibid., pp. 85 et 90. On peut sentir tout ce que le terme « désormais » marque pour lui de différences avec

Gamelin.

241 SHD, 27N 80, Note du général Weygand pour le général Georges, n°1222 3/FT, 28 mai 1940 : « Pour résumer

notre entretien de ce matin : toutes les activités du Commandement doivent être, plus que jamais, orientés vers

l’avant […] » (nous soulignons). Cette consigne est avant tout destinée à assurer l’exécution de la nouvelle

organisation défensive, mais elle ressort aussi de la question du moral. Remarquons, d’autre part, que le fait que Weygand rappelle au général Georges la teneur d’un entretien ayant eu lieu quelques heures plutôt, laisse à penser qu’il estimait que celui-ci n’était pas tout à fait remis de son effondrement.

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cette bataille du moral. En témoigne l’entretien téléphonique qu’il eut le 20 mai avec le général Billotte. Le généralissime l’appela une première fois : « C’est en attaquant et en se battant

comme des chiens qu’on viendra à bout des Panzers […]. Attaquez en direction du sud ».

Percevant peut-être un manque d’entrain chez son subordonné, il le recontacta : « - Billotte, vous avez donné un ordre ? – Oui, mon général. – Billotte, vous m’avez compris, vous avez

votre revolver à côté de vous »242. Ce parler très direct, sans précaution de langage, non exempt d’une trivialité que les militaires utilisent volontiers pour mieux se faire comprendre, ne pouvait qu’aider à raffermir des officiers qui manquaient de fraîcheur – ce qui fut le cas avec les premiers ordres donnés par les généraux Billotte et Besson243.

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