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L’état d’esprit du général Weygand

La progressive réduction du champ des possibles à l’unique solution de l’armistice

4.2 Une unique alternative (26/28 mai – 8/10 juin 1940)

4.2.3 L’état d’esprit du général Weygand

Qu’un général ne s’avoue pas vaincu tant qu’il lui reste une chance de remporter la victoire n’est pas une surprise. Ce qui nous importe, c’est de savoir si le généralissime ne voyait dans la bataille qu’il préparait qu’un moyen de sauver l’honneur de l’armée française ou s’il avait un réel espoir de sortir victorieux de celle-là.

Face à la note qu’il a remise à Reynaud le 29 mai, note pessimiste et ne présentant que deux alternatives possibles, d’autres documents plaident pour une vision d’un général Weygand plus optimiste.

Il y a en premier lieu, tous les ordres, instructions et notes visant à adapter les procédés tactiques de l’armée française à la guerre moderne. Weygand a fait preuve, de ce côté-là, d’une activité sans relâche, préconisant l’organisation d’une défense en profondeur,

298 Le War office s’est penché dès le 17 mai sur l’éventualité d’une sortie de la France des hostilités. Mais ce

n’était encore qu’une hypothèse.

299 Paul Reynaud, Mémoires, tome II, Envers et contre tous, Paris, Flammarion, 1963, p. 377. Reynaud écrit

que, suite à la lecture de la note du généralissime, Pétain et Weygand parlèrent de la nécessité, dans l’hypothèse de la rupture du front, de demander l’armistice.

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avec des « hérissons » sur les obstacles, ordonnant l’ouverture du feu avec toute la mousqueterie disponible sur les avions volant bas et arrêtant la psychose concernant les parachutistes. Il a déployé aussi une grande énergie à réveiller celles des autres, par des visites auprès des généraux sur le front, sommant les officiers de transmettre les ordres et si nécessaire de « forcer l’obéissance »300. Enfin, il a préparé avec minutie, entouré des généraux Georges et Doumenc, le plan de résistance de l’armée française sur la ligne Somme-Aisne. Ces ordres ressortent, in fine, du rôle d’un commandant en chef, Weygand ne faisant qu’y apporter une énergie qui avait manqué au haut-commandement français lorsque que le général Gamelin en était à la tête. En ce sens, il a essayé de faire au mieux, ce qui peut être vu comme une tentative de constituer un dossier inattaquable une fois qu’il demanderait officiellement la cessation des hostilités à Reynaud. C’est ce que veut dire J.- L. Crémieux-Brilhac quand il écrit que le général Weygand « affirme sa confiance, alors qu’il est convaincu de la défaite »301.

Cependant, certains de ces ordres dépassent la simple opération de propagande visant à gonfler le moral d’une armée pour qu’elle puisse sauver son honneur. Le 29 mai 1940, il fit parvenir une instruction personnelle et secrète au général Georges où il écrivait que la bataille qui se préparait était une « bataille défensive à laquelle nous sommes provisoirement astreints », et le lui rappelle le 31 mai302. Le 3 juin, il indiqua au commandant en chef du front Nord-Est qu’il prévoyait deux types d’actions : des contre-attaques locales et des contre-offensives d’ensemble. On pourrait arguer que de tels propos visent à maintenir le moral chancelant du général Alphonse Georges, que Weygand avait trouvé le 19 mai au soir « dans l’état d’une personne qui [avait] reçu un violent coup de poing dans l’estomac et [avait] de la peine à s’en remettre »303. Néanmoins, à la lecture de ces trois documents, il est clair que le généralissime français ne voulait pas, a minima, se contenter d’encaisser les coups. Dans ce cas, pourquoi ne pas également y voir le fait qu’il se réservait la possibilité de reprendre l’initiative ?

De même, le 28 mai 1940 Weygand appela Reynaud à prendre certaines mesures pour augmenter les effectifs de l’armée française. Il demanda que le contingent actuellement à l’instruction fût disponible dès le mois de juillet, et, pour le même mois, souhaitait que l’on

300 SHD, 27N 3, Ordre général du général Weygand, n°1309 3/FT, 1er juin 1940. 301 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome II, p. 615.

302 SHD, 27N 3, Instruction personnelle et secrète du général Weygand au général Georges, n°1242 3/FT, 29

mai 1940 et Note du général Weygand pour le général Georges, n°1280 3/FT, 31 mai 1940 (« Nous livrons une bataille défensive sur la Somme »).C’est nous qui soulignons.

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levât un contingent de 200 000 hommes. Il indiqua à Noguès qu’il était disposé à fournir à l’Afrique du Nord un contingent de Sénégalais, prélevé sur l’Afrique occidentale française. La réponse de Noguès étant positive, le général Doumenc lui fit savoir que toutes les dispositions sont prises pour que 5 000 hommes soient envoyés en Afrique du Nord – leur armement viendrait quant à lui de la métropole304. Ces deux échanges, le premier sur l’utilisation des appelés français, l’autre sur des mouvements de troupes dans l’Empire – certainement pour compenser les prélèvements de divisions nord-africaines au profit de l’Hexagone – vont plutôt dans le sens d’un Weygand qui ne s’avoue pas encore vaincu. D’un côté il parlait de dates assez lointaines – si on les rapporte à la vitesse à laquelle se déroulent les évènements, ce qui fait voir que pour lui, à cette date-là, la résistance française aurait pu tenir plusieurs mois. Non seulement il comptait avoir des troupes fraîches en juillet, mais également pour les mois d’après, l’instruction et l’entraînement d’un contingent de 200 000 hommes nécessitant plusieurs semaines. D’autre part, il initiait un projet de meilleure répartition des troupes dans l’Empire, pour concilier la défense de celui-ci et l’envoi de renforts en métropole. De telles préoccupations, avec de telles échéances, ne peuvent que conforter la thèse selon laquelle le général Weygand ne tenait pas l’armistice pour la seule et unique solution à la situation des armées françaises à cette date-là. Ce qui implique que la bataille qu’il préparait n’était pas nécessairement un baroud d’honneur dans son esprit.

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