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Un moderne parmi les anciens ? La tactique de Weygand

2.2 L’apport de Weygand : fixation et novation dans la tactique défensive française

2.2.3 Weygand novateur ?

• Les similitudes avec les considérations tactiques de Foch

Tout au long du précédent conflit mondial, le maréchal Foch avait rédigé des instructions à portée tactique, dont certaines visaient le système défensif que les troupes placées sous ses ordres devaient adopter. Les prescriptions contenues dans ces documents présentent des ressemblances frappantes avec celles que Weygand diffusa en mai-juin 1940.

Concernant l’organisation défensive du front, le 1er octobre 1914 Foch avait rédigé une

instruction qui montrait les dangers d’une défense trop linéaire, lui préférant des positions établies en profondeur. Celles-ci devaient être constituées de centres de résistance, défendus dans les intervalles entre eux par de l’artillerie et des unités réservées placées en arrière. De plus, il recommandait d’être particulièrement attentif aux voies de communications entre ces centres144. Cette importance donnée aux centres de résistance – dont cependant il ne reparlait

pas en avril 1918 dans sa note aux commandants d’armées où il réaffirmait pourtant la nécessité d’organiser la défense en profondeur et de la compléter par des contre-attaques immédiates – était en accord avec ce qu’il avait professé avant le déclenchement des hostilités, soulignant la capacité d’arrêt de « faibles troupes occupants des points d’appui »145. La tactique défensive

préconisée par Weygand, fondée sur la profondeur et le quadrillage du terrain en points d’appui fermés, pouvait ainsi trouver-là ses prémices.

Sur l’état d’esprit que devait adopter les unités, il est de notoriété publique que Foch le voulait offensif. Cette exigence s’appliquait également lorsque l’on était contraint à la

144 Archives françaises de la Grande guerre 1/4, annexe 1791, Instruction du général Foch sur l’organisation

défensive des fronts étendus, 1er octobre 1914, cité in Elizabeth Greenhalgh, Foch, chef de guerre, Paris,

Tallandier, 2013 (1ère éd. GB 2011), p. 62.

145 Martin Motte, « Foch théoricien : faut-il brûler Des principes de la guerre ? » in Rémy Porte et François Cochet

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défensive, car il permettait de maintenir l’ennemi sous une menace permanente et soutenait le moral des troupes146. Cela fait écho à ce que nous avons vu plus haut, Weygand usant du même langage dans ses directives lors de la campagne de 1940. Le lien d’héritage peut-être un peu plus affiné et donc affirmé ici. En 1918, Weygand avait dû expliquer au nouvel officier de liaison britannique de son supérieur ce que signifiaient les phrases toutes faites que celui-ci employait, dont la suivante : « On fait ce qu’on peut ». Le bras droit de Foch avait alors indiqué que cela voulait dire que tant que l’ennemi avait l’initiative, peu de choix s’offrait à lui, mais qu’il fallait tout de même tout faire pour contrer l’adversaire147. Autrement dit, ne pas seulement

réagir, mais agir tout court ; ce qui fut l’un des leitmotivs de Weygand en tant que généralissime. Expliquant la pensée de son mentor sur ce point, il est probable qu’il l’avait faite aussi sienne.

De grandes différences existent pourtant entre les tactiques préconisées par Foch et Weygand, ne serait-ce que parce que les deux guerres dans lesquelles ils furent commandant en chef différaient par nature. Par exemple, alors que le maréchal faisait de l’artillerie essentiellement un instrument de pilonnage – notamment pour préparer les attaques – à partir de positions situées en arrière de la ligne de front, le général lui donnait comme mission tout aussi prioritaire de participer directement à la bataille aux côtés de l’infanterie. De même, si Foch est l’un des pères de la bataille méthodique, il n’y a nulle trace dans les ordres de Weygand d’un souci du détail poussé à l’extrême. Néanmoins, les correspondances entre certaines prescriptions des deux hommes sont nombreuses et concernent des points si importants dans le système défensif voulu par Weygand que l’on est fondé à penser que ce système trouvait une partie de ses origines dans les enseignements de celui qu’il considérait comme son mentor.

• Une nouvelle doctrine défensive pour l’armée française ?

Dans une note datée du 27 mai 1940 où il tirait les enseignements des premiers combats, le général Georges reprit l’essentiel des prescriptions de Weygand en matière de lutte contre le tandem char-avion (quadrillage, maîtrise du réseau routier, toujours agir, etc.). Et le commandant en chef du front Nord-Est d’achever sa note par une conclusion assez troublante :

Les principes généraux de notre tactique défensive, continuité, profondeur, contre-attaques, demeurent. La notion de points d’appui, de centres de résistance cerclés, doit être étendue à

146 Elizabeth Greenhalgh, Op. cit., p. 59. 147 Idid., p. 371.

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toute la zone de stationnement des troupes. La défense passive et active contre le péril aérien doit être poussée à l’extrême »148.

Par-là, le général Georges signifiait que les ordres tactiques donnés par Weygand depuis son arrivée à la tête de l’armée s’inscrivaient pleinement dans une doctrine établie de longue date. Tout au plus fallait-il étendre et amplifier l’application de certaines prescriptions inscrites dans cette dernière mais qui n’y avaient pas pris une place suffisante.

De fait, Weygand a considéré la profondeur et la contre-attaque comme des principes fondateurs de sa pensée tactique défensive. Certes, les notions de « points d’appui, de centres de résistances cerclés » avaient été avancées dès la fin de la campagne de Pologne par le haut- commandement français. Cependant, les principes cités par Georges sont des truismes s’ils ne sont pas accompagnés, d’une part, de l’explicitation de la conception générale qui les englobe et, d’autre part, des mesures à prendre pour les mettre en œuvre. Par exemple, tous les généraux s’accordaient sur l’établissement d’une défense en profondeur. Mais ils entendaient bien souvent par ce terme une organisation sous forme d’une succession de lignes, sur un assez faible périmètre (quelques kilomètres) qui plus est. Par rapport à la doctrine et aux instructions régissant jusque-là la tactique française en matière de défense contre les blindés et les avions, le général Weygand a apporté trois changements.

Le premier est technique, concernant les procédés de combats. Si le prédécesseur-successeur de Maurice Gamelin a repris nombre de consignes diffusées de 1936 au 10 mai 1940 par l’état- major de l’Armée, il en donna quelques-unes qui étaient nouvelles ou du moins qui sanctionnait les enseignements des premiers engagements (la place et le rôle de l’artillerie par exemple). Le deuxième est pratique. Il y a chez Weygand un véritable effort pédagogique et descriptif. Il a donné une définition relativement détaillée de l’organisation d’un point d’appui et la façon de le défendre, définition absente dans les instructions rédigées avant sa prise de fonction. De ce fait, il est justifié que le terme de « hérisson » demeure accolé à lui. Surtout, la note n°1142 3/FT du 24 mai et l’ordre général d’opérations n°1184 3/FT du 26 mai, même s’ils seront complétés par d’autres directives, ont constitué les deux documents de base de la lutte contre le tandem char-avion dans les mesures pratiques à adopter. Or, et on peut s’en étonner, avant ces dates-là il n’y avait pas de document rassemblant, donc fixant, les principes de cette défense, mais seulement un ensemble épars de consignes149. Par conséquent, par son travail, d’un côté

148 SHD, 27N 85, Note du général Georges sur les enseignements à tirer des premiers combats (10 au 25 mai 1940),

n°2149 3/IM, 27 mai 1940. C’est nous qui soulignons.

149 SHD, 27N 79, Note sur l’étude établie par le Cabinet militaire sur la défense contre les engins blindés (non

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de définition et de l’autre de synthèse, Weygand a permis que l’armée de Terre ait une véritable doctrine antichar et anti-aérienne.

Le troisième est conceptuel. Tout d’abord, dans l’ordre des schèmes de pensée, les prescriptions s’inscrivaient dans une vision de la guerre plus adaptée au mouvement, plus offensive que celle d’un Gamelin ou de l’IGU de 1936. On retrouve clairement ici la filiation avec le maréchal Foch. Ensuite, en faisant du quadrillage et de la maîtrise des voies de communications les principes clés de la façon de penser l’organisation des positions, Weygand amenait l’armée française à rompre avec le dogme de la ligne. Une des implications est que la profondeur n’a pas le même sens chez lui que pour Pétain ou Gamelin. Concrètement, cela se traduit par le fait qu’il a placé la notion de points d’appui cerclés à la base de l’établissement des dispositifs défensifs à l’échelle tactique, alors que pendant la drôle de guerre le haut-commandement n’en faisait qu’une mesure annexe, destinée à seulement renforcer ces dispositifs. Il ne s’agissait pas seulement d’« étendre » cette notion, mais bien d’en faire le fondement de la défense à la française. Par conséquent, Weygand n’a pas uniquement prescrit quelques nouvelles façons de combattre ou fixé la doctrine défensive française dans ses aspects pratiques : il a œuvré pour en changer une partie (restons prudent) de la conception, de la façon de la penser.

La tactique défensive préconisée par Weygand n’était pas le fruit de sa seule imagination, loin s’en faut. Celui-ci a tiré parti des conversations qu’il pouvait avoir avec des officiers revenant du front, de son expérience auprès de Foch, des notes produites par le GQG plus classiquement. Néanmoins, là où il n’y avait eu que des amorces de changements chez Gamelin et Georges, il a su fournir à l’armée de Terre française une doctrine défensive cohérente, synthétique et en de nombreux points novatrice, tant sur le plan pratique que théorique. Si nous ne pouvons pas nous prononcer plus en avant sur la tactique de manière générale – nos connaissances militaires étant relativement faibles, nous pouvons cependant avancer que Weygand a été le père français de la tactique moderne150 de lutte terrestre contre les chars et les avions.

2.3 Les entraves

défense contre les engins blindés pourrait être demandée au [quartier général du front] Nord-Est ». Preuve par l’inverse qu’un tel document n’avait pas été produit lorsque les Allemands attaquèrent à l’ouest.

150 Nous entendons par moderne le fait que cette tactique a souvent été appliquée pendant toute la Seconde guerre

mondiale. Bruno Chaix souligne que l’efficacité de cette tactique « contre les formations blindées et aériennes a été depuis maintes fois démontrée ». Cf. Bruno Chaix, Op. cit., pp. 93-94.

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