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Dans l’attente d’un traité de pa

Assurer la survie d’une certaine France

5.2 L’armistice pour conserver la position internationale de la France

5.2.3 Dans l’attente d’un traité de pa

• L’armistice, une simple convention entre la France et l’Allemagne

Weygand, qui se piquait de pragmatisme, est resté dans l’abstraction quand il s’est agi de comprendre ce que pouvait être un armistice signé avec Hitler.

Un armistice est une convention internationale par laquelle les parties signataires suspendent les hostilités entre elles. Ces parties sont toujours en guerre, mais les armes se taisent sur le champ de bataille, pour laisser la place aux diplomates. Ainsi, pour Weygand, un armistice présentait des garanties, importantes si les plénipotentiaires français envoyés à la rencontre des Allemands négociaient bien. Ces garanties pourraient même être revues à la hausse après la signature, toujours par une négociation habile. Le tout était de s’assurer d’avoir des bases de départ solides, compatibles avec l’honneur national – la non-livraison

403 Alors que le 8 juin encore il fait pression sur Reynaud pour obtenir des renforts britanniques, dans ses notes

du 10 et 13 juin 1940, il n’évoque pas une seule fois l’allié principal de la France.

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de la flotte, le maintien de l’intégrité de l’empire colonial et la préservation d’une partie du territoire métropolitain ainsi que d’une armée française pour le gouvernement Pétain405.

Outre les garanties diplomatiques qu’offrait un armistice en tant que convention, Weygand pouvait s’appuyer sur sa propre expérience pour en faire un instrument au service des intérêts français. Car il ne savait que trop bien que ce serait à lui, ministre de la Défense nationale, de faire face aux obligations de l’armistice et de lutter contre toute tentative allemande d’en déborder. Foch avait été, de novembre 1918 à juin 1919, le commandant des territoires occupés par les Alliés en Allemagne. En tant que son chef d’état-major, Weygand était en charge de nombreuses tâches administratives touchant directement les rapports franco-allemands dans le cadre de l’armistice du 11 novembre. C’est à ce poste qu’il se convainquit que « l’Allemand ne respecte que celui qui lui tient tête […] et c’est aller au- devant de ses exigences que se laisser molester sans protester […] »406. S’il savait que les

positions en 1940 étaient inversées, il se persuadait que tenir tête à Hitler serait une question d’énergie, qu’il fallait mettre au service d’une ligne politique claire et intransigeante. A ceux qui auraient pu lui objecter qu’Hitler avait déjà trahi sa parole, il aurait certainement répondu que c’était en raison d’un manque de fermeté – ce qui allait parfaitement avec sa vision de la IIIème République finissante. Son caractère, vif et impétueux, se prêtait parfaitement à une telle besogne, qui consistait à faire en sorte que l’armistice soit un moyen de geler la situation, tout en empêchant l’Allemagne et l’Italie de prendre des gages sur la France. C’est ainsi que durant tout son passage au ministère de la Défense nationale, il rappela les Allemands et les Italiens aux articles des conventions d’armistice.

Cependant, son incompréhension de ce qu’était en réalité l’Allemagne hitlérienne lui masqua deux grands inconvénients à signer un armistice avec elle.

Persuadé que cette guerre n’était qu’une guerre franco-allemande classique, fruit d’une rivalité qui existait entre la Prusse et la France depuis 1806, il n’en perçu pas le caractère idéologique. S’il y voyait une lutte entre civilisation, c’est au sens de la Première guerre mondiale, c’est-à-dire l’opposition entre la noble race française et la barbarie allemande. De son point de vue, le régime hitlérien n’était que la mue de l’Allemagne wilhelmienne, et si Hitler avait moins de galons sur ses manches que les anciens Kaisers, il n’en dirigeait pas moins de la même manière son pays. Tout au plus le caractère païen de

405 On pourra trouver ces « bases » à la négociation de l’armistice posées par le gouvernement français dans

SHD, 27N 11, Documents relatifs aux armistices de juin 1940.

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l’idéologie nazie et le côté populacier de ses manifestations ont donné d’autres raisons à cet homme, fervent catholique et imbu d’hiérarchie, de rejeter le pays de Goethe. Mais il ne décela pas toute l’ignominie du régime nazi, les dangers que son expansion faisait courir au monde libre, et par conséquent les risques que comportait l’armistice pour la coalition des démocraties. Pour les mêmes raisons, il ne vit pas ceux qui concernaient la France elle- même. D’un naturel modéré – au sens contraire de fanatique ou exalté – et épris d’une « conception moyenâgeuse de l’honneur qui lui [fit] voir dans l’affrontement franco- allemand une joute chevaleresque »407, il s’attendait à ce que les Allemands aient des exigences dures, mais se comporteraient loyalement. Or, comme le fit remarquer Reynaud à Pétain, le gouvernement français n’avait pas à faire « à Guillaume Ier, mais à Gengis Khan »408, sous-entendant par-là que, non seulement Hitler ne respecterait pas sa parole,

mais aussi qu’il demanderait toujours plus à la France. Et, en effet, l’un des plus graves inconvénients d’un armistice signé avec le caporal-chancelier était que, contrairement à 1918, cet armistice ne comportait pas de garants, de même que ceux qui étaient en position de force n’étaient en rien semblables à un Poincaré ou à un Clemenceau. Par conséquent, les Français n’allaient pouvoir faire jouer cet instrument que dans la mesure où les Allemands le voudraient bien.

• Un préalable au traité de paix

L’armistice est certes une convention internationale qui suspend les hostilités entre les parties signataires, mais, à la différence d’une trêve, il est signé en vue de la conclusion d’un traité de paix, c’est-à-dire de la fin des hostilités. En 1814, entre les puissances coalisées et Napoléon, en 1871, entre Bismarck et Jules Favre, et le 11 novembre 1918, l’armistice n’avait été que cela : le préalable à un traité de paix qui intervint quelques mois plus tard. Weygand savait cela, en tant qu’historien militaire et participant à l’armistice de 1918. Mais, surtout, il voulait qu’il en soit ainsi en juin 1940, comme d’ailleurs tout le gouvernement et les généraux français. Dans le message que Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères, avait fait transmettre aux Allemands, à 0h30 le 17 juin, par Felix Lequerica, ambassadeur d’Espagne, il était question des « conditions de la paix »409. Dans l’esprit des membres du

gouvernement français, cette confusion entre demander l’armistice et demander la paix,

407 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Op. cit., tome II, p. 699. 408 Paul Baudouin, Op. cit., p. 149.

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montre que, pour eux, négocier avec les Allemands permettrait de mettre fin à la guerre. De la même façon, lors des négociations à Rethondes, Huntziger signala par téléphone à Weygand, en réponse à une question de la veille de celui-ci, que « le gouvernement allemand a refusé formellement de parler de conditions de paix. »410. Tout au long des négociations d’armistice, Weygand s’inquiéta et s’irrita de ne pas obtenir de la part des Allemands, des éclaircissements sur les conditions de paix. On voit donc que, pour lui, comme pour tous les responsables militaires français, l’armistice ne saurait être qu’un moyen de mettre fin aux hostilités, pour ainsi préparer à tête reposée une conférence de la paix qu’ils pensaient imminente. Il ne changea pas de point de vue au cours de l’été 1940, nous allons le voir.

Même début septembre, c’est-à-dire lorsqu’il a pu constater que l’Angleterre tenait bon, il ne pensait pas autrement. Comme nous l’avons déjà vu, selon lui, elle ne pouvait au mieux qu’espérer un match nul. Mais, en juin 1940, il était convaincu qu’elle demanderait elle aussi la fin des hostilités. Partant de là, il pouvait penser que les Britanniques pourraient s’entendre avec l’Allemagne sur le dos d’une France exsangue, qui se serait sacrifiée en vain puisqu’acceptant de ne pas demander l’armistice sans l’accord de son allié. Cette hypothèse lui paraissait d’autant plus plausible qu’il reprochait à ceux-là une trop grande collusion avec celle-ci depuis les années 1920, et ce aux dépens de la France411.

Ainsi, s’il considéra à partir du 10 juin que la France ne devait regarder que son intérêt, c’est également parce qu’il souhaitait qu’elle apparaisse aussi forte que son allié à la table des négociations de paix. Si l’Angleterre ne voulait pas comprendre qu’il était dans l’intérêt des membres de la coalition de mettre le plus rapidement possible fin à la guerre, tant pis pour elle. Mais la France ne travaillerait pas pour le roi de Prusse.

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